De Marcel Proust à Fritz Lang, Henri Raczymow compose cinq essais littéraires en forme de miroir autobiographique.

Henri Raczymow, comme Georges Perec (dont est paru récemment le magnifique inédit Le Condottière), descend de juifs polonais émigrés à Belleville : plus jeune de quelques années, Raczymow a en commun avec Perec l’enquête de la mémoire perdue et de l’identité juive mais, à la différence de l’auteur de La Vie, mode d’emploi, le récit de Raczymow reste intimiste, dans l’auto-analyse, là où Perec explosait dans une recherche critique du passé où ce qui est personnel est tangent au collectif.

Ce recueil d’essais littéraires (cinq au total) paraît simultanément au roman Heinz (Gallimard), où il essaie de reconstruire la vie du frère de sa mère, déporté en 1949, l’homme auquel il doit son nom et à propos duquel on ne lui a jamais rien dit. Pour Raczymow, c’est la meilleure occasion pour saisir, de manière oblique, le personnage hostile et muet de sa mère, ainsi que pour esquisser le profil de sa “tribu” familiale.

Psychanalyse, autobiographie et narration se croisent dans le roman comme dans les cinq essais de Ruse et Déni, évocation freudienne au plaisir et à sa négation. Raczymow aborde les auteurs sur lesquels il a travaillé : Jules Renard, Marcel Proust, Maurice Sachs, Paul Morand. Écrivain prolifique (deux autres parutions prévues en 2012), il affronte les œuvres en question, de manière très personnelle, sans références théoriques ou critiques, en croisant les données biographiques et l’analyse du texte, pour mettre en relief des détails périphériques qu’il trouve emblématiques. Ces détails constituent surtout une “constellation autobiographique” de Raczymow lui-même, de sorte que ce recueil apparaît comme une œuvre-miroir de son jumeau romanesque Heinz.

Si, dans le premier essai, en confrontant le Journal inutile aux pages de Poil de carotte, il décrit la relation implicite et très forte entre Jules Renard et sa mère, incapable de l’aimer ; et si, dans le deuxième essai, il décrit deux personnages de Proust (Swann et Bloch), ces deux éléments – l’Œdipe pour une mère froide et éloignée, le judaïsme dissimulé et radicalisé – apparaissent dans le récit sur l’oncle Heinz comme profondément autobiographiques. Le sujet de l’Œdipe, lié à l’homosexualité, revient encore dans le troisième essai consacré à Maurice Sachs qui aurait entrepris, pour cette raison, un parcours autodénigratoire, le conduisant jusqu’à l’adhésion au nazisme.

Raczymow semble bien comprendre la parabole de Sachs (qui voulait être une fille pour obtenir l’amour de sa mère), mais il refuse celle de Paul Morand : sa haine de l’homosexualité et son antisémitisme lui inspire du mépris. D’ailleurs, si l’idée d’écrire Heinz lui vient après avoir vu le film de Zilberman Tout le monde n’a pas la chance d’avoir eu des parents communistes, c’est justement à un film que le dernier essai est dédié : plus précisément au personnage du professeur Wanley et à son incompréhensible procès pour dépravation dans le terrible Femme au portrait de Fritz Lang. Terrible parce qu’il a la forme d’un miroir, “parce que nous sommes cet homme-là”.