Le rapporteur de l’ACTA au Parlement européen, David Martin, a publié son projet de rapport où il recommande aux parlementaires de rejeter le texte. L’ACTA, accord commercial anti-contrefaçon, traité international sur les droits de propriété intellectuelle, s’inscrit dans la veine des projets de type Hadopi qui visent à lutter contre le piratage. Il provoque de fortes polémiques : selon ses opposants, il menacerait la liberté et la neutralité d’Internet. En clôture d’un débat qui a eu lieu le 12 avril au Parlement européen à l’initiative du groupe social-démocrate, David Martin avait déclaré que le traité allait "forcer les FAI   à agir comme des forces de police", ce qui n’est pour lui "pas acceptable". Il avait mis l’accent sur les "termes trop vagues" du traité, notamment en ce qui concerne la distinction de l’usage commercial et privé, et insisté sur la nécessité d’un débat sur la révision du droit de propriété intellectuelle. Cette notion est actuellement discutée et ACTA pourrait selon lui geler ces réflexions.

ACTA a été signé par la Commission européenne en janvier à Tokyo. Pour que le traité entre en vigueur dans l’Union européenne, le Parlement doit à présent le ratifier. La prise de position de David Martin fait écho aux protestations et inquiétudes qu’a provoqué ACTA dans la société civile. Le mouvement populaire a atteint son point d’orgue en janvier et février dernier, lors de l’adoption d’ACTA par plusieurs parlements nationaux et de sa signature par la Commission européenne. Dans plusieurs villes d’Europe s’étaient tenus des rassemblements : le masque de Guy Fawkes est le symbole de ces protestations dont le mouvement Anonymous s’est fait le porte-drapeau. Ces manifestants dénoncent la restriction des libertés sur Internet qu’entraînerait l’accord mais aussi le manque de transparence du processus des négociations.

Lutte de pouvoir

Le processus d’adoption d’ACTA s’inscrit au cœur des tractations entre la Commission et le Parlement. Alors que la Commission défend fortement le traité, le commissaire au Commerce Karel de Gucht a formulé le 4 avril une question à la Cour européenne de Justice concernant ACTA : "Le traité anti-contrefaçon ACTA est-il compatible avec les traités européens, en particulier avec la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ?" Officiellement, cette saisine de la Cour par la Commission vise à répondre aux inquiétudes des citoyens, centrées sur "la possible atteinte que ce texte pourrait avoir sur nos droits fondamentaux". Officieusement, la saisine vise à retarder le vote qui, s’il intervient maintenant, verra probablement un rejet d’ACTA : le délai avant que la Cour se prononce est d’environ 18 mois.

Karel de Gucht a demandé au Parlement d’attendre la réponse de la Cour à la question que lui a posée la Commission, mais le calendrier sera vraisemblablement maintenu : la ratification d’ACTA devrait être votée en séance plénière en juillet ou septembre comme prévu.   Le 27 mars, la commission INTA en charge d’ACTA avait voté contre la saisine de la Cour européenne de justice par le Parlement. Pour les opposants à ACTA, mettre le problème sur un plan juridique vise à détourner l’attention : la question posée est d’ordre politique et doit être discutée dans l’enceinte appropriée, le Parlement.

"On ne sauvera pas les dinosaures en interdisant les météorites"

Le débat autour d’ACTA met en lumière le flou autour du problème des droits d’auteur et de l’échange sur Internet. Le numérique amène une donnée nouvelle sur le marché de la culture, qu’il faut prendre en compte, mais il devient de plus en plus évident que des politiques répressives comme Hadopi ou ACTA ne régleront pas le problème qu’il faut inscrire dans une réflexion plus large. Comme l’a dit en clôture de la réunion de jeudi Johannes Swoboda, président du groupe social-démocrate au Parlement européen, "on ne sauvera pas les dinosaures en interdisant les météorites" : il faut travailler à des adaptations. A gauche, le consensus à propos d’ACTA n’a pas été facile à atteindre, notamment à cause de la question de l’emploi. Les parlementaires britanniques, issus du Labour, ont longtemps mis en avant la nécessité de soutenir les travailleurs des industries (notamment culturelles) pour plaider en faveur d’ACTA. Mais le groupe S&D a aujourd’hui adopté une ligne unifiée pour le refus d’ACTA. Le groupe libéral PPE, majoritaire au Parlement   , est encore divisé sur la question : à ce jour, l’équilibre du Parlement semble pencher vers un refus.

Au-delà de ces problèmes sur le fond du traité, le processus de négociations et d’adoption d’ACTA souligne des mécanismes questionnables. Avant d’être soumis à ratification par le Parlement, le traité a été négocié pendant des années   dans des circuits extérieurs au débat public et échappant au contrôle démocratique. Le Parlement européen s’est rapidement positionné en demandant l’ouverture des débats : en mars 2009, il avait déjà adopté une résolution appelant à rendre publics les documents sur ACTA, ce que le gouvernement américain a refusé pour des raisons de sécurité nationale. Une première version officielle a été publiée en avril 2010.

Les tractations actuelles reflètent les luttes de pouvoir entre la Commission et le Parlement, et confortent l’image caricaturale d’une Commission technocrate, à la solde des multinationales, contre un Parlement vu comme seul espace démocratique de l’Union Européenne. Aujourd’hui le Parlement n’a pas le pouvoir d’amender ACTA, il peut seulement l’accepter ou le refuser. Cette dimension est une clé d’un éventuel refus : les parlementaires n’ont eu, à aucun moment, aucun droit de regard ni marge de manœuvre sur le traité. S’il ne les satisfait pas, ils n’ont d’autre choix que de le refuser

 

* À lire également :
- L’analyse de la version finale d’ACTA par la Quadrature du net

 

Article mis à jour le 17/04/2012