Une présentation complète et magistrale d'un long XIIIe siècle, moment charnière dans la constitution du royaume de France, qui intègre et restitue les derniers champs de recherche de l'historiographie.

Professeur d'histoire médiévale à l'Université de Bretagne Occidentale de Brest, Jean-Christophe Cassard est spécialiste de la Bretagne médiévale, un espace périphérique du royaume de France. Dans ce volume de la première histoire de France du XXIe siècle, Jean-Christophe Cassard nous propose de cerner ce qui fait la spécificité du royaume de France au Moyen Âge central en faisant le point sur l'avancée de la recherche historique. L'essor économique et démographique, la vitalité intellectuelle et artistique, la révolution des techniques et le développement de l'Etat monarchique français sont étudiés conjointement dans la mesure où ce dernier réalise l'appropriation politique, économique, culturelle et idéologique d'un ensemble territorial transformé progressivement en une collectivité.

Loin d'être une étude compartimentée du royaume de France, distinguant la prospérité économique  et les mutations sociales de la réussite politique des Capétiens, cet ouvrage propose une grille de lecture globale d'un moment particulier de l'histoire de la France où se met en place une nouvelle société qui affirme son unité en dépit d'une fragmentation apparente entre diverses entités géopolitiques et divers groupes sociaux. Les progrès de l'encadrement religieux et surtout ceux de la royauté, accompagnés et soutenus par l'essor généralisé de l'économie ne sont pas étrangers à la cristallisation d'un sentiment collectif, avant même la naissance du sentiment national étudié par Colette Beaune. Au point que l'on puisse parler d'un âge d'or capétien, dont la chronologie est en partie calquée sur les vicissitudes de la dynastie, du règne fondateur de Philippe II Auguste, à la fin du « miracle capétien » et à la crise de succession de 1328.

L'ouvrage débute par une mise en perspective du règne fondateur de Philippe Auguste qui affirme définitivement l'autonomie et la primauté du pouvoir royal dans le royaume de France et dans l'Occident chrétien. En effet, les contours de la domination capétienne n'épousent pas nécessairement ceux d'un royaume mouvant et hétérogène. De même, le rayonnement de la royauté capétienne s'appréhende également de façon informelle par l'influence qu'elle exerce à partir de cette époque sur l'ensemble de l'Occident médiéval, des royaumes francs de l'espace méditerranéen à la papauté française installée à Avignon, au plus près du royaume de France.

Mais c'est surtout au sein du royaume que le roi, qui se veut « Empereur en son royaume », enracine et consolide un pouvoir devenu monarchique. Des discours et des représentations de la royauté apparaissent, qui exaltent la personne royale, l'élevant au-dessus de ses sujets, personnifiant le principe monarchique et son espace de domination. Parallèlement, les organes du gouvernement se définissent et donnent lieu au développement d'une administration centralisée, en charge du domaine royal sans cesse accru, mais aussi de territoires sur lesquels le roi n'avait plus qu'une autorité nominale, tout en réservant une certaine souplesse à l'administration des territoires périphériques, notamment par les biais des apanages. L'enracinement du pouvoir royal dans le royaume est concomitant de l'encadrement accru des fidèles par l'Eglise. Celui-ci passe par l'éradication des voix discordantes, les hérésies, et la christianisation du temps et de l'espace. 

Une fois posé le cadre politique et religieux du royaume de France, la présentation du cadre économique et social vient justifier l'expression d' « âge d'or » caractérisant le Moyen Age central. La révolution technique et les grands défrichements ont été les facteurs d'une prospérité agricole généralisée qui aboutit rapidement à faire du royaume de France « un monde plein ». La prospérité des campagnes et la révolution des techniques nourrissent à leur tour l'essor du commerce et des villes qui donnent naissance à de nouveaux paysages et à une nouvelle société. L'ouvrage ménage en effet une place importante aux villes et à la société urbaine qui renaissent après plusieurs siècles d'errance. Nouveaux centres politiques et pôles économiques, les villes constituent un microcosme dynamique et original avec leurs propres enjeux et leurs propres stratégies. C'est aussi l'époque des cathédrales et des universités où s'élaborent, se cristallisent et s'échangent un regard et des discours communs sur une société mouvante. Car en effet, la présentation de ce « beau XIIIe siècle » concède un certain nombre de nuances à un tableau qui n'a rien d'idyllique : cet « âge d'or » ne réduit en rien les inégalités sociales qui parcourent l'ensemble des groupes sociaux, paysans et artisans, marchands et pauvres citadins, mais aussi les nobles dont bon nombre sont en voie de déclassement.

Un des grands mérites de cet ouvrage est qu'il redonne la parole aux contemporains en s'appuyant sur des sources originales et judicieusement choisies. Par cette démarche, l'historien restitue pleinement le bouillonnement culturel de l'époque et s'inscrit dans les questionnements soulevés par l'histoire culturelle, l'histoire des mentalités et plus récemment par l'anthropologie historique. A travers l'évocation des différents groupes sociaux et de l'arrière-plan culturel, le lecteur peut appréhender le quotidien des Français du XIIIe siècle et accéder à une analyse plus fine des mécanismes et des rapports sociaux. L'autre grand mérite de cette étude est de contredire la vision traditionnellement linéaire et uniformisée de l'économie et de la société françaises et de restituer la diversité et la succession des temporalités. L'auteur prend ainsi en compte les dernières avancées de la recherche historique, notamment en relativisant la « crise de la fin du Moyen Âge » déclenchée par l'arrivée de la Peste Noire en 1347 et quasiment concomitante de l'extinction dynastique et des difficultés successorales dont elle a fournit le prétexte.

En effet, dès 1270, la conjoncture économique se dégrade dans un « monde plein » à l'équilibre fragile. Crises de subsistance, épidémies et tensions sociales de plus en plus aiguës assombrissent le tableau de cet âge d'or, sans que pour autant ces difficultés ne viennent réellement menacer la construction monarchique menée par les rois capétiens. Bien au contraire, le roi arrive à s'imposer  définitivement comme le dépositaire d'un pouvoir supérieur, le lieutenant de Dieu sur terre, source et garant d'un droit rénové à l'aide d'une nouvelle catégorie de conseillers, les légistes. Les progrès de la fiscalité royale constituent la manifestation la plus concrète, mais aussi la plus contestée, de la construction monarchique opérée par la royauté capétienne. Malgré un contexte socio-économique de plus en plus tendu, l'Etat monarchique ne cesse d'accroitre son pouvoir et sa fiscalité en s'appuyant de plus en plus sur les élites urbaines, et met en place une uniformisation progressive d'un territoire de mieux en mieux contrôlé. L'état des feux de 1328, à l'extrême fin de la période, est à ce titre le document le plus connu et le plus manifeste de la volonté politique de recenser, quadriller et contrôler l'ensemble du royaume, en recensant le nombre de feux, c'est-à-dire de foyers, par paroisse. À la fin de ce long XIIIe siècle, les Capétiens ont su opérer le passage du royaume des Francs au royaume de France, celui de la féodalité à la royauté. « Primus inter pares » , le roi est désormais le représentant d'un pouvoir souverain et non plus suzerain, au terme d'un processus long et complexe,  qui porte en germes les causes fondamentales de la guerre de Cent ans sur laquelle ouvre cette étude.

Sources, iconographie, cartes, chronologie et généalogie viennent judicieusement illustrer et appuyer le propos, mais c'est surtout la dernière partie de l'ouvrage, « l'atelier de l'historien » qui lui confère une certaine forme de valeur ajoutée. Jean-Christophe Cassard nous propose ici de prolonger la réflexion sur la postériorité du « beau XIIIe siècle » par l'analyse d'événements et de figures passées à la postérité et devenues des « lieux de mémoire ». Ce faisant, l'auteur rappelle que le travail d'historien est un travail perpétuel de réécriture, de réinterprétation, adoptant un questionnement face à des sources « indépassables » ou renouvelées par une nouvelle grille de lecture. Mais il nous rappelle également que le discours historique est le reflet et le produit de sociétés contemporaines, la recherche historique est sans cesse amenée à se déplacer, à se développer et à se surpasser face à une mémoire et à des interrogations collectives qu'elle nourrit, informe et qui la questionnent à son tour.

Un point est consacré à l'apport des travaux de grands médiévistes, Georges Duby, Jacques Le Goff et Michel Pastoureau, démontrant le renouvellement permanent des questionnements et des méthodes des historiens. Le discours historique est également questionné par les représentations contemporaines, suscitant des débats auxquels l'historien tente de répondre. Ainsi, les figures de sainteté, parfois incompréhensibles selon nos grilles de lecture contemporaines, les mémoires de l'Inquisition, du catharisme et des Templiers sont confrontées aux sources médiévales et aux travaux des historiens