En 94 pages ciselées, No Exit résume le parcours, l’ambition et la déchéance de Nicolas Sarkozy.

 

Vue de l’étranger, la campagne présidentielle française a les allures d’un huis clos interminable. Après The Economist, c’est au tour de Philip Gourevitch, reporter au New Yorker, de nous le rappeler. Connu pour son livre poignant sur le génocide rwandais, We Wish to Inform You That Tomorrow We Will Be Killed With Our Families. Stories from Rwanda (FSG, 1998), il connaît bien la vie politique française. Son récit de cinq années de sarkozysme, publié par le New Yorker en décembre dernier et traduit en français par Allia sous le titre No Exit (huis clos en anglais), est salutaire en ces temps de nombrilisme exacerbé.

"Sarkozy est un homme si singulier qu’il peut sembler facile à caricaturer, mais la caricature se repaît d’exagération, et Sarkozy est tellement outrancier qu’il laisse peu de marge au caricaturiste." Ce livre nous dessine presque naturellement le portrait de ce "bâtard"   de la République aussi motivé par la transgression que soucieux de plaire. Dans un contexte où la France peine à accepter le déclin de son influence dans le monde, que retiendra-t-on d’un homme aussi peu en prise avec la fonction qu’il devait incarner ?

Sous la plume de Philip Gourevitch, Nicolas Sarkozy apparaît à la fois comme le symbole d’une élite mondialisée, fascinée par l’argent et les Etats-Unis, et d’une élite française, tiraillée entre un sentiment très lourd de perte de légitimité   et un besoin insatiable de reconnaissance. Il est à la fois l’exemple du volontarisme politique, porté au pouvoir grâce à sa rhétorique de rupture- "Ensemble, tout devient possible"- et de l’impuissance croissante du pouvoir face à une crise économique d’une ampleur insoupçonnable.

Si Sarkozy s’est démené tant bien que mal pour pousser l’Allemagne à faire des compromis et sauver la Grèce de la faillite, il ne s’est jamais tenu à une ligne de conduite cohérente et à une "certaine idée de la France". Sur le plan international, sa politique a été une succession d’erreurs cuisantes et de coups de poker destinés à compenser ces dernières. Déjà, quand il avait envoyé sa femme Cécilia en Libye pour récupérer les infirmières bulgares détenues par Kadhafi, Daniel Cohn-Bendit l’avait accusé de jouer avec le feu diplomatique pour son profit personnel : "On a instrumentalisé l’Europe pour une thérapie familiale du couple Sarkozy." Au moment où sa popularité atteignait des sommets, sa femme le quittait. Et au moment où sa romance commençait avec Carla Bruni, Kadhafi débarquait à Paris pour un séjour aussi surréaliste qu’humiliant pour l’image de la France. Plus tard, la décision de renverser le régime de ce dernier ne devait-elle pas faire oublier cette réception douteuse et le discours honteux de MAM à l’Assemblée nationale proposant à la dictature de Ben Ali l’aide du savoir-faire sécuritaire français pour calmer les manifestants tunisiens ? On s’éloigne là du texte passionnant de Philip Gourevitch, qui réussit le tour de force de montrer qu’une succession d’événements enclenchés par Nicolas Sarkozy lui-même a considérablement brouillé l’image de président protecteur qu’il cherchait à se forger en pleine crise européenne. En un sens, la multiplication des soupçons de corruption, l’exposition quasi permanente de sa vie privée, et le contraste flagrant entre son attitude décomplexée vis-à-vis de l’argent et complexée vis-à-vis de la culture ont achevé de le rendre étranger à son propre peuple.

C’est en cela que Philip Gourevitch apporte un regard nuancé, délesté des largesses idéologiques qui parcourent trop souvent nos rédactions, sur le parcours de Nicolas Sarkozy et la perception si particulière qu’en ont les Français. On peut regretter que l’essentiel de ses sources proviennent de conseillers du président ou d’intellectuels ayant frayé un temps avec le sarkozysme, Jacques Attali, Pascal Bruckner, Marc Weitzmann ou BHL. Ces derniers réfléchissent néanmoins parfaitement la perte de repères qui frappe le paysage politique français   . Comme la majorité des Français, ils ont été séduits par la posture ultramoderne revendiquée par Nicolas Sarkozy en 2007. Comme elle, ils reconnaissent que cette posture fait courir le président sortant vers la fin de sa vie politique, aujourd’hui

 

Annexe

Voici quelques révélations ou rappels utiles éparpillés dans le livre de Philip Gourevitch :

Pal Sarkozy

- "A l’âge de quatre-vingt-deux ans, en 2010, Pal Sarkozy publia ses mémoires   , où il se décrit, non sans une certaine gaillardise, comme un insatiable accro du sexe, résolu- depuis le jour où il séduisit sa nurse à l’âge de onze ans- à coucher avec toutes les femmes qu’il croiserait sur son passage, du moins jusqu’à ce qu’il épouse sa quatrième et dernière femme en date, un mannequin, il y a quarante ans."(…) "Ce qui a fait de moi qui je suis maintenant est la somme de toutes les humiliations subies pendant l’enfance", a déclaré Sarkozy. Il a souffert d’être petit, d’avoir des parents divorcés et – même après l’avoir abrégé et avoir abandonné le tréma- de porter un nom étranger."  

Berlusconi

- "Dans son cabinet de droit des affaires, Sarkozy entretenait aussi des relations avec des hommes puissants, dont il a profité de l’expérience- le baron de la presse italienne Silvio Berlusconi était l’un de ses clients- et il a commencé à bien gagner sa vie."  

Nettoyer la racaille au Kärcher

- "A l’automne 2005, lors des émeutes qui ont enflammé les cités des banlieues parisiennes avant de se propager dans tout le pays, Sarkozy a orchestré l’intervention musclée de la police et promis de se débarrasser de la racaille en nettoyant les rues au Kärcher – outil capable de déchiqueter une personne. (…) Dans le Sud de la France, au printemps suivant, alors qu’il annonçait ses projets de lutte contre l’insécurité lors d’un rassemblement UMP enthousiaste, il s’est détaché du discours qu’il avait préparé, a levé les yeux, esquissé un sourire narquois et dit : "On m’a fait tout un drame quand je les ai appelés racailles…" La foule l’a interrompu par une salve d’applaudissements et des éclats de rire ; le rictus de Sarkozy s’est amplifié : "Eh bien, quand vous savez ce que je pense de ceux que j’ai dénommés ainsi, a-t-il lancé en se tapotant d’une main la poitrine, ‘racailles’, c’est encore trop affectueux."  

Le Front national

- "Quand j’ai demandé à Musca   ce qui différenciait fondamentalement la position sécuritaire de Sarkozy de celle du Front national, il m’a répondu : "ils ne sont pas réalistes"."  

Villepin

- "Dominique de Villepin, qui a dépensé une énergie considérable, au cours de sa longue carrière politique, à agonir Sarkozy- il l’a longtemps appelé le nain- a un jour déclaré : "Le sarkozysme, c’est le mariage, sur la table de dissection, de la machine à coudre et du parapluie. Le sarkozysme est un surréalisme. C’est fascinant, cette capacité à dire tout et son contraire.""