Dans ce livre, qui pourrait être un manuel pour apprenti diplomate, le très compétent Dennis Ross, expert démocrate qui a travaillé pour George H. Bush et Bill Clinton sur la question du Proche Orient notamment, nous propose de revenir aux bases de la théorie des relations internationales. Il véhicule un message clé : pour que l’Amérique soit respectée à travers le monde, tout n’est pas une affaire de gros bras et de jeu de coudes : le dialogue, et en particulier l’écoute, sont déterminants. Autrement dit, il faut en finir avec la dictature du « hard power » et revenir à ce que demandait Joseph Nye au début des années 1990 : utiliser sans modération le « soft power » américain.


Mais les temps ont changé. A l’époque du premier Bush et - pourrait-on dire en s’avançant quelque peu sur les échéances à venir - à l’époque du premier Clinton, les dispositions de l’administration américaine au dialogue étaient toutes autres. N’appelait-on pas George H. Bush le « mad dialer », tant il usait de son téléphone pour joindre les dirigeants étrangers ? Si l’Amérique a su négocier, entre autres, la réunification de l’Allemagne, cela ne tient pas au hasard. Les diplomates de ces années avaient mis tous leurs efforts dans la construction d'un vrai dialogue avec les leaders concernés ; ils avaient pris le parti – et le temps – de ne pas appliquer par défaut la stratégie du cavalier seul.


A y regarder de plus près, c’est finalement un saut d’une génération en arrière auquel nous invite Dennis Ross, qui, bien décidé à conserver la part d’idéalisme des positions de Bush fils, préfère de très loin le réalisme gestionnaire de Bush père au paradigme néo-conservateur en marche depuis le début des années 2000. Après tout, c’est l’attitude des Etats-Unis en Irak et leur dégagement sensible de la négociation au Proche Orient qui ont permis à Al Qaida la progression qu’elle a connu depuis 2001. Et quand Dennis Ross parle du travail de James Baker, alors Secrétaire d’Etat de l’administration Bush, le message est clair : il est un grand nostalgique d’une époque où politiques, diplomates et négociateurs savaient encore … négocier. « Une stratégie militaire plus complète, prête à se charger de tous types de missions, une gestion du Conseil de Sécurité à la Baker et une gestion de l’Irak par des acteurs internationaux, et pas seulement américains, tout cela aurait permis d’éviter bien des écueils dans lesquels nous sommes tombés. … Au bout du compte, faire les bons choix politiques ne mène pas toujours au succès, mais en créé au moins les meilleures conditions – et ceci s’applique particulièrement à l’Irak ».


Mais Ross a vu filer le temps trop vite, et une certaine pratique diplomatique s’est enfuie avec lui. Pourtant, il ne désespère pas, et nous offre avec ce livre une raison de plus de croire que les Etats-Unis pourront bientôt retourner au « statecraft », à l’Amérique du dialogue diplomatique. Ce retour est-il encore possible ?

Boris Jamet-Fournier


Statecraft and How to Restore America’s Standing in the World, de Dennis Ross, Farrar, Straus & Giroux, 370 pages, USD 26 env.