Comme le pressentait l’ensemble des enquêtes d’intention de vote   , les élections présidentielles argentines du 23 octobre dernier ont vu la victoire sans concession de Cristina Fernández de Kirchner (Front pour la Victoire), réélue dès le premier tour pour un second mandat (2011-2015) avec 53,96% des suffrages. Ces résultats confirment ceux obtenus lors des élections primaires ouvertes, obligatoires et simultanées, qui se sont tenues le 14 août 2011, où Cristina Kirchner s’était déjà imposée avec plus de 50% des votes et un important écart de voix vis-à-vis de ses concurrents les plus proches   ).

Dans ce cadre, malgré les rebondissements qu’a connus le premier mandat de Cristina Fernández de Kirchner, nous assistons à un processus continu de récupération de la popularité de la figure présidentielle, et ce particulièrement depuis le 27 octobre 2010, date de la mort prématurée de Néstor Kirchner. L’objectif de cet article vise donc à dresser un bref bilan de la première présidence de Cristina Kirchner (2007-2011), tout en apportant des éléments permettant d’éclairer les résultats du dernier scrutin présidentiel argentin.


La mandature 2007-2011
Le 28 octobre 2007, la formule Cristina Fernández de Kirchner - Julio Cobos, qui se présentait sous la bannière du changement dans la continuité   , obtient 44,92% des votes, permettant ainsi à Cristina Kirchner d’être élue au premier tour et de prendre la succession de son mari.

Dans le contexte des luttes électorales de 2007, le gouvernement kirchnériste possédait un important crédit en tant que principal protagoniste de la récupération – principalement économique – initiée au cours de l’année 2002. C’est pourquoi l’une des premières données qu’il convient de prendre en compte est une amélioration globale de tous les indicateurs économiques depuis l’avènement du kirchnérisme en Argentine dès l’élection de Néstor Kirchner en 2003. En effet, lors de l’arrivée au pouvoir de Néstor Kirchner, le pays peinait à sortir de la plus grave crise économique, sociale et politique de son histoire qui avait fait passer plus de la moitié de sa population sous le seuil de pauvreté. Si les Argentins considérés comme pauvres ou très pauvres en 2002 représentaient 57% de la population, ils ne sont plus que 24% en 2007, chiffre toujours élevé mais substantiellement inférieur à celui de 2002, selon les données de l’INDEC (Institut National des Statistiques et du recensement). Le taux de croissance du PIB est lui aussi révélateur du processus de récupération économique argentin : il était de -10,9% en 2002, mais passe dès l’année suivante à 8,8% avant de croître régulièrement les années suivantes. S’il a fortement régressé durant l’année 2009, en raison principalement de la crise internationale, il est remonté l’année suivante à 9% et les prévisions du Fonds Monétaire International pour l’année 2011 sont de 6%.
Cependant, malgré ces améliorations dans le domaine économique, les conflits apparaissent dès les premiers mois de l’année 2008, symbolisés par ce que l’on a coutume d’appeler la crise " del campo ", en référence à l’affrontement prolongé entre le gouvernement et une grande partie des producteurs agricoles qui refusent la hausse des taxes sur les exportations. Cette crise a des ramifications complexes : elle donne lieu à la défaite du kirchnérisme aux élections de mi-mandat et, par conséquent, à la démission de Néstor Kirchner de la présidence du Parti Justicialiste qu’il occupait depuis mai 2008. Dans ce contexte de perte de popularité du " couple présidentiel ", les pronostics annonçant la fin de l’expérience kirchnériste sont forts nombreux.


Nonobstant, le gouvernement kirchnériste a poursuivi la mise en place de politiques publiques appuyées par la majorité de l’opinion publique, parmi lesquelles nous pouvons mentionner la loi relative aux moyens de communication qui régule l’espace audiovisuel, l’établissement de l’assignation universelle par enfant   , la promulgation de la loi autorisant le mariage homosexuel, pour ne citer que quelques exemples parmi les plus récents. Ces différentes politiques publiques s’inscrivent dans ce que l’on nomme communément " le modèle K ", c’est-à-dire un " modèle productif avec inclusion sociale "   caractérisé par une massification des dépenses publiques. C’est dans le cadre de la reconfiguration du scénario argentin et au moment où l’opinion publique ne sait pas encore qui de Néstor ou de Cristina Kirchner sera le candidat en vue des élections présidentielles du mois d’octobre 2011 que survient la soudaine disparition de Néstor Kirchner le 27 octobre 2010.

Réactualisation d’un succès politique
Ainsi, la campagne électorale de 2011, qui vise à renouveler une partie des sénateurs et des députés et élire les plus hauts représentants de l’exécutif national, s’inscrit dans un " environnement stratégique "   particulier marqué tant par la naissance de vives inquiétudes quant à la capacité de Cristina Kirchner à gérer le front kirchnériste en l’absence de Néstor Kirchner que par le fait que l’année 2011 peut être caractérisée comme une année de " campagne permanente " qui a débuté en mars dernier par la tenue d’élections dans la province de Catamarca pour renouveler les hautes autorités de l’exécutif provincial. D’autres provinces, telles que Córdoba, Buenos Aires ou encore la capitale fédérale, ont aussi vécu un processus électoral dans les mois qui ont suivi. A cela, il faut ajouter l’organisation des élections primaires ouvertes, obligatoires et simultanées, déjà mentionnées. Cette année de campagne électorale a été qualifiée à plus d’un titre comme une non-campagne, du fait, entre autres, du résultat tant des élections primaires que des sondages préélectoraux qui remettent en cause la possibilité de la fin du kirchnérisme, aujourd’hui qualifié de cristinisme.
Et, en effet, lors des dernières élections qui ont mobilisé 78,89% de l’électorat argentin, la présidente, candidate à sa propre succession, a obtenu à 53,96% des suffrages reléguant à une lointaine deuxième place Hermes Binner (Frente Amplio Progressista – 16,87%), suivi par Ricardo Alfonsín (Unión para el Desarrollo Social – 11,15%), Alberto Rodriguez Sáa (Compromiso Federal – 7,89%), Eduardo Duhalde (Frente Popular – 5,89%), Jorge Altamira (Frente de Izquierda y de los trabajadores – 2,31%) et enfin par Elisa Carrió (Coalición Civica – 1,84%). De plus, ces élections ont permis au Front pour la Victoire de récupérer la majorité dans les deux chambres qu’il avait perdue après le scrutin de mi-mandat de l’année 2009.
Cette victoire peut s’expliquer par plusieurs raisons. La première est l’empathie pour la douleur de Cristina Fernández de Kirchner suite à la mort de son mari et compagnon de vie qui fit littéralement exploser l’intention de vote pour cette candidate, comme aucun autre événement politique ou économique. Cela est lié à la croyance fort répandue selon laquelle " Néstor Kirchner a sacrifié sa vie à son idéal politique "   , idée très présente dans les spots de campagne où Néstor Kirchner est le grand protagoniste. Ainsi, dans le dernier spot de la campagne intitulé " La Fuerza de él ", Cristina Kirchner met en scène son défunt mari dans une utilisation politique du deuil, elle rappelle qu’il vit dans chaque travailleur argentin, dans chacun de ceux qui perçoivent l’assignation universelle par enfant, dans chaque retraité, référence explicite aux réformes du système de retraites, et dans chaque professeur, en écho aux politiques du gouvernement visant à augmenter le niveau de vie des enseignants et des chercheurs et à faire de l’Argentine un pays compétitif au niveau mondial dans le domaine de la recherche scientifique. La présidente, transformée en veuve, fit donc du deuil une stratégie politique et discursive et modifia sa rhétorique : les discours de 2011 laissent de côté la dénonciation des ennemis réels ou supposés ou de possibles conspirations, pour se consacrer entièrement à la célébration du triomphe du modèle K. Après le grave conflit avec le secteur agro-exportateur, l’année qui vient de s’écouler fut le symbole d’une année " de paix et d’administration " (Página/12, 3 novembre 2011).
Deux faits complémentaires ont aussi contribué à produire cette scène électorale où le cristinisme apparaît comme le grand gagnant : l’image positive du gouvernement auprès de la majorité de l’opinion publique, comme le montre un sondage d’opinion récent   ), se double de la faiblesse de l’opposition. Ainsi, la réélection de Cristina Fernández de Kirchner dès le premier tour des élections présidentielles révèle sa capacité à agir sur deux niveaux. Le premier est d’ordre matériel : sa réélection n’est pas étrangère à son aptitude à agir sur le plan des conditions de vie, ce qui s’est traduit par une amélioration de la situation économique du pays. Quant au second, il correspond au niveau symbolique et se donne à voir par un appel incessant à l’orgueil et à l’auto-estime, à la réapparition des termes " patrie " et " peuple ", à une mise en avant des réussites scientifiques et sportives argentines, etc.

Si le mandat qui vient de s’inaugurer en Argentine ne sera pas exempt d’embûches, compte tenu d’un taux d’inflation difficilement maîtrisable, d’un contexte de crise internationale, des relations conflictuelles avec l’opposition, ou encore du débat pour la succession au sein du kirchnérisme, les dernières élections peuvent être vues comme un plébiscite en faveur de l’approfondissement du modèle mis en place depuis 2003.

 

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