Ce n'est que dans le journal Haaretz du vendredi 23 mars    que les lecteurs du quotidien ont pu être informés des événements graves du lundi soir 19 mars qui ont eu lieu dans le centre commercial Malha, le mall plus important de Jérusalem. Ce soir-là, quelques 400 supporters de l'équipe de football "Beitar Jérusalem" décident de fêter la victoire remportée contre l'équipe "Bné Yéhouda Tel-Aviv". La courte distance entre le Teddy Stadium, antre mythique des "jaune et noir", couleurs de Beitar   , où a eu lieu le match, et le centre commercial Malha, explique pourquoi une foule de jeunes fans hilarants investit rapidement l'étage des restaurants.

Au départ, les chants de victoire couvrent les autres bruits: "rien d'inhabituel", commente un agent de sécurité, cité dans l'article. Pourtant, aux dires d'une vendeuse, l'ambiance chauffe et la tension monte: "Debout sur des chaises, sur des tables, partout, ils faisaient un bruit terrible, criaient "mort aux arabes", brandissaient des écharpes et chantaient en criant". Les témoignages sont étayés d'enregistrements audio-visuels pris par les caméras de surveillance et d'autres appareils d'amateurs   . Les événements dégénèrent rapidement en émeute lors de laquelle les employés de nettoyage arabes, cible directe d'attaques verbales, sont également agressés physiquement, frappés et violentés: "Ils ont attrapé quelques travailleurs et les ont explosé de coups", relate le propriétaire d'une boulangerie située dans l'espace restauration. D'autres bribes de témoignages éloquentes citées dans le journal révèlent la gravité d'un événement raciste qui a duré beaucoup trop longtemps. En effet, il aurait fallu quarante minutes aux services de l'ordre pour évacuer les hooligans sans qu'aucun ne soit arrêté, faute "de plainte déposée contre eux" selon les dires de la police. Les victimes avaient d'ailleurs refusé d'aller à l'hôpital préférant recevoir sur place les premiers soins pour rentrer ensuite directement chez eux.

Le silence frappe la presse écrite et télévisée pendant tout le weekend. A ma connaissance, ni Yedi’ot Aharonot ni Maariv ni Israel Ayom ne parlent de l'émeute raciste. Les trois quotidiens en langue hébreu les plus lus dans le pays protègent d'une indifférence bienveillante l'hooliganisme arabophobe du club de foot beitariste malheureusement réputé pour ses nombreux outrages antidémocratiques. Même complicité honteuse de la part des journaux télévisés, vendredi et samedi.

Sans doute, grâce à la ténacité du journal Haaretz qui publie dimanche 25 mars un second article à la une et l'étaye d'un reportage de fond en troisième page, l'on verra enfin apparaître ce même jour, bon gré mal gré, sur le net, quelques articles supplémentaires. Les téléspectateurs auront droit eux aussi à un court reportage transmis au journal télévisé de la première chaine israélienne, dimanche 25 mars. Quant à la police, suite à la visibilité donnée à des événements que l'on aurait voulu taire, elle annonce l'ouverture d'une enquête judiciaire. Le lendemain, dans les journaux du 26 mars, le chef général de la police israélienne Yohanan Danino exprime son embarras dû au retard inexplicable pris par une enquête qui devait commencer il y a exactement une semaine. Entretemps, les témoins travaillant dans le centre commercial de Malha auraient été priés de ne pas répondre aux questions des journalistes. Quant au quartier général de la police de Jérusalem, son porte-parole annonce l'ouverture de l'enquête et la volonté ferme de trouver les responsables et de les punir.

Selon Haaretz du 25 mars, Zéhava Galon, député et chef du parti de gauche Meretz, aurait demandé au premier ministre Benyamin Nethanyaou d'œuvrer pour l'arrestation des supporters impliqués dans l'émeute. Elle lui reproche la mise en sourdine d'événements graves et le laxisme de la police étrangement passive dès lorsque les victimes sont arabes. Plus virulent encore, le député arabe Ahmed Tibi, ne mâche pas ses mots pour exprimer sa colère face au silence de l'indifférence. "Si ça avait été l'inverse, et que des supporters arabes avaient frappé des travailleurs juifs les titres des journaux auraient crié au pogrom et au lynchage", est-il cité dans l'article d'Haaretz du 25 mars.

Le manque d'empressement des médias israéliens à s'intéresser à une manifestation aussi grave de racisme ainsi que les atermoiements des autorités policières et le mutisme gouvernemental portent préjudice aux principes déontologiques d'une presse s'autoproclamant "crédible, rigoureuse, transparente"   .

L'occultation, ou au contraire la diffusion massive d'éléments informatifs autour d'un événement que l'on anéantit ou emblématise en fonction d'intérêts idéologiques, fabriquent en somme la réalité que la majorité des citoyens s'imaginent vivre aujourd'hui. L'émeute raciste d'hooligans juifs contre une dizaine d'employés arabes constitue un non-événement médiatico-politique, pas de bruit, pas de remise en question, pas de responsabilisation ni d'introspection. Si des circonstances atténuantes sont trop souvent trouvées à des délinquants du fait de leur origine ethnique ou de leur positionnement politique, dans le cas présent, la connivence entre presque tous les médias et les autorités politiques et institutionnelles atteint un degré à vous laisser pantois. Il s’agit d’une part, d'éliminer tout débat sur la discrimination et le racisme en Israël et d’autre part, de violer les lois du pays.