Un plaidoyer pour la liberté, l’égalité et la tolérance.

"C’est ici un livre de bonne foy, lecteur". Frédéric Lenoir, philosophe de formation, aime bien Montaigne, et le dit. Certains ont voulu voir dans ce nouveau livre un pamphlet. Il n’en a cependant jamais le ton, ni les formules assassines. On serait plutôt tenté d’y voir un plaidoyer pour la liberté, l’égalité, la tolérance. Certes, les cent cinquante premières pages reprennent l’essentiel du vieux réquisitoire contre l’église catholique romaine, coupable à travers les siècles d’innombrables reniements à l’égard du message évangélique : Croisades, Inquisition, guerres de religion, tortures et bûchers, procès (Galilée bien sûr !), chasses aux sorcières de toutes sortes, condamnation au silence des théologiens suspects, mise à l’Index de milliers d’auteurs. Hélas, tout ceci n’est point neuf, et l’on pourrait bien sûr élargir le procès aux autres églises, point exemptes, elles non plus, de violences et d’anathèmes. La coupable est toujours la même : l’Institution, ses dogmes, son appareil répressif, sa pastorale (?) de la soumission. Vieux, très vieux débat, depuis les Spirituels Franciscains du XIVe siècle, Jean Hus, Erasme et Luther, jusqu’à Alfred Loisy ("Il y eu Jésus-Christ et nous avons eu l’église", 1902 !) et tant d’autres depuis. Il me semble d’ailleurs qu‘au delà des humanistes de la Renaissance et des philosophes des Lumières , l'auteur ne fait pas au modernisme la place qu‘il mérite.

Mais venons-en plutôt à la thèse centrale du livre : tout l‘enseignement de Jésus ( F. Lenoir connaît bien les Evangiles, les cite abondamment et a même une tendresse particulière pour saint Jean : le livre se referme d‘ailleurs sur le superbe dialogue avec la Samaritaine…) aurait donc été oblitéré, perverti par l'Institution, et, paradoxalement, ce seraient tous ceux qui, depuis disons le treizième siècle, ont progressivement réhabilité la raison, la liberté de conscience, l‘esprit critique, qui auraient retrouvé et diffusé le mieux le vrai message du christianisme, lequel aurait donc fait l‘objet d‘un retournement, après le fatal détournement. Ainsi s‘expliquerait que tant de traits de notre civilisation aient eu pour matrice le christianisme, dont les innombrables traces sont encore visibles dans nos villes et nos campagnes, notre calendrier et nos fêtes, dans tant d’expressions de notre langage quotidien elles-mêmes et naturellement aujourd’hui dans les Droits de l‘homme… Le legs de l‘Evangile serait donc bien ce message de liberté et d'amour, d'espoir aussi dans une religion de l'esprit, enfin dégagée du carcan des institutions, des dogmes, des rites, des espaces sacrés et des cérémonies collectives , qui ne sont que moyens et non fins, en vue du but véritable, la relation personnelle, intime, mystique, avec un Dieu qui est d‘abord transcendance.

Bien entendu, la thèse ne sera pas du goût de tous, et des réserves s'expriment déjà, et pas seulement à Rome ou dans le milieu clérical. Il est vrai que l’historien, plus encore le théologien, ne manqueront pas de reprocher au livre certaines approximations ou lacunes. Rien à voir pourtant avec je ne sais quel Traité d’athéologie, au succès aussi récent qu’inexplicable, et sur lequel d’ailleurs Frédéric Lenoir s’explique fort bien   . Souhaitons seulement au "Lenoir"   autant de lecteurs. Il le mérite.


--
crédit photo : Куртис Перри/flickr.com