Pascal Picq livre ici un ouvrage décousu et sans grand intérêt en comparant la vie politique des humains à celle des autres primates.

Comment faire passer des propos politiques d’une platitude navrante (comme par exemple : "Quand a-t-on servi pour la dernière fois une bonne daube à la cantine de l’ENA ?"   ) tout en brillant en société ? Première solution : être un humoriste et s’en moquer dans Radio Bistrot : Deuxième solution : être paléoanthropologue et donner un aspect savant à son discours en faisant fond sur la primatologie.

C’est la seconde option que choisit Pascal Picq dans L’Homme est-il un Grand Singe Politique ?, non sans la combiner (hélas) à la première (car les paléoanthropologues aussi ont le sens de l’humour). Se réclamant d’Aristote et de Darwin, Pascal Picq (qu’on a connu nettement plus en forme) se propose en effet de rapprocher les comportements politiques des hommes de ceux des autres primates, pour montrer, contre les « idéalistes » qu’il y a plus en nous de singe qu’on voudrait bien l’admettre.

L’intention est louable, mais l’exécution exécrable. L’ouvrage se divise en trois grandes sections. Après un préambule halluciné, une introduction présentant l’objectif de l’ouvrage et un prologue consistant principalement en un résumé du fameux roman de Pierre Boulle La Planète des Singes, on arrive enfin à une série de courts portraits (treize en tout) présentant la vie sociale de différentes espèces de singes, du singe vervet au chimpanzé en passant par le macaque rhésus. Les portraits sont trop courts pour être vraiment instructifs et trop nombreux pour qu’on en retienne quelque chose – l’absence d’illustrations ne permettant même pas de se faire une idée correcte de chaque espèce. Mais surtout, le propos est totalement parasité par la tendance de l’auteur à vouloir faire de l’humour. On trouve par exemple des références à Ségolène Royal dans la description des femelles bonobos : "les femelles bonobos n’ont pas besoin des mâles pour survivre ni pour élever leurs jeunes : indépendance écologique, parentale et affective. Elles ont réglé les problèmes de mâlitude. De plus, une autre caractéristique des bonobos est qu’ils se déplacent volontiers sur deux pieds quand ils sont au sol ; ce sont les plus bipèdes des grands singes après les hommes. Ainsi sont les femelles qui marchent debout face à l’évolution et à la politique avec gracitude."   On trouve aussi des jeux sur les sigles de parti dans la description des macaques : "les spécialistes en macacalogie arrivent à distinguer trois groupes , tous rangés sous l’acronyme UMP pour Unicity of Macaca Populations. Inutile de préciser qu’on est loin d’un compromis facile. Un ancien groupe, dit rhésus et proche rhésus (RPR), a tendance à vouloir dominer. Ce n’est pas évident avec un autre groupe que les paléontologues considèrent comme pas tout à fait éteint, car les macaques fossiles sont nombreux et peu aisés à distinguer des actuels. Par commodité, on le range sous le signe UDF pour unité des fossiles. "   Il y en a comme ça à toutes les pages, sauf quand l’auteur sort de son sujet pour parler du dernier film de James Bond ou de romans policiers.

La seconde partie continue cette galerie de portrait en effectuant un zoom sur l’espèce dont le comportement politique est le plus étudié : les chimpanzés. Une série d’anecdote sur les chimpanzés débouche sur une réflexion sur les facultés mentales nécessaires à l’exercice de la politique puis sur un plaidoyer pour « une approche évolutionniste de la politique », qui conclue que la domination masculine est plus une construction humaine qu’un donné de notre condition politique (car, après tout, il existe des femelles chimpanzés qui ont de l’influence). Plus intéressante que la première, cette partie souffre de la comparaison avec des études plus sérieuses sur le sujet, en particuliers celles de Frans De Waal, comme La Politique du Chimpanzé   . ou plus récemment Le Singe en Nous   . Ici, tout est très superficiel, et les références scientifiques complètement absentes (la bibliographie consiste en une simple liste de 16 ouvrages, dont 7 sont de Picq lui-même et 4 de De Waal). Pour couronner le tout, le court plaidoyer pour une approche évolutionniste de la politique consiste principalement en une lecture rapide de l’histoire de la philosophie politique, opposant d’un côté les méchants "idéalistes" (comme Marx) aux penseurs sérieux qui intègrent la perspective évolutionniste dans leur réflexion politique (comme Fukuyama).

Sans transition réelle, la troisième partie est consacrée elle… au singe dans les fables (principalement dans celles d’Esope et de La Fontaine). L’auteur y recopie et commente sans profondeur la figure du singe dans ces cours récits. Le tout aboutit à une conclusion dans laquelle l’auteur donne libre cours à ses positions politiques et utilise la primatologie pour parvenir à des conclusions aussi révolutionnaires et étonnantes que celle selon laquelle Chirac a gagné face à Balladur parce qu’il était plus proche de ses électeurs (il pratiquait mieux l’épouillage) et n’hésitait pas à tâter le cul des vaches. Tout ça pour ça.

En conclusion, l’ouvrage de Pascal Picq est trop faible et superficiel pour avoir un quelconque intérêt : le sujet était intéressant, mais le propos est miné par un humour et des saillies politiques malvenues. Surtout, il a déjà été traité ailleurs de façon plus rigoureuse (mais tout aussi accessible). Allez donc acheter à la place un ouvrage de Frans de Waal et un DVD d’Anne Roumanoff et vous n’y perdrez pas au change