L’ouvrage d’Hélène Diebold se propose de “délier” la Délie de Maurice Scève.

Hélène Diebold propose dans cette étude une relecture de sa thèse soutenue en 2006 à l’université de Strasbourg, sous la direction du professeur Gilbert Schrenck. Dans l’ouvrage qu’elle intitule simplement Maurice Scève et la poésie de l’emblème, elle nous ouvre les pages de l’un des recueils poétiques les plus novateurs dans le panorama littéraire de la première partie du XVIe siècle, celle, précisément, qui est au carrefour des grands rhétoriqueurs et de la Renaissance des guerres d’Italie. Maurice Scève, que d’aucuns voient comme un poète “tres-obscur”, pour ne pas dire hermétique, n’est pourtant pas un illustre inconnu dans les histoires littéraires puisqu’il renouvelle, à la suite d’Alciat, ce que l’on a appelé les livres d’emblèmes.

En effet, sa Délie, Object de plus haulte vertu (1544) se présente comme une savante association d’une image, d’un motto (courte sentence qui l’accompagne) et d’une épigramme qui suit cette dernière. Savante, l’œuvre l’est, car les emblèmes “cristallisent une poétique de l’effort, où ‘c’est au lecteur de s’élever au niveau du poète et non au poète de s’abaisser à celui du lecteur’”. De plus, ils permettent de “déchiffrer le texte scévien et [d’] entrer dans le projet poétique qui sous-tend le recueil”. Certains critiques littéraires jugent que les emblèmes de Maurice Scève ne sont qu’illustratifs. Hélène Diebold assure, avec d’autres, le contraire. “Il nous semble, écrit-elle, qu’une telle approche dénature les emblèmes de la Délie, […] c’est remettre en cause sa texture et sa dynamique.” Et d’ajouter fermement plus loin : “Les figures contribuent à la réception de l’œuvre : elles captent l’attention du lecteur, sa curiosité et l’entraîne dans un cheminement qui va de l’image au texte et du texte à l’image.”

Avec force, la critique affirme sa position et va jusqu’à dire que “la Délie introduit dans son principe poétique une forme nouvelle, dont les contours théoriques ne sont pas encore fixés”, et pour cause, puisque Maurice Scève développe un concept de l’image qui lui est propre. Hélène Diebold organise donc sa réflexion en trois parties : la première développe les enjeux des emblèmes scéviens, puis leur spécificité et enfin leur originalité dans le contexte éditorial lyonnais du XVIe siècle. Allant plus en profondeur, elle s’intéresse davantage à la composition de la Délie et au rôle structurant des emblèmes. Dans une dernière partie, l’on saisit l’importance des emblèmes comme des signes evidentz qui retracent l’expérience de l’amant-poète qui cherche à travers son itinéraire amoureux (le premier emblème symbolise la naissance de l’amour, le dernier l’image du tombeau) une poétique “emblématique” de l’intime et de la création.

Maurice Scève et l’emblème  
Dans cette première partie, Hélène Diebold entraîne son lecteur sur les traces de l’auteur et de ses “emblesmes”. Tout d’abord, elle montre la manière dont ils constituent un savant mélange de plusieurs genres, proches des emblèmes en vogue à l’époque   . L’usage qu’en fait le poète est donc, comme elle l’affirme, “inédit” à la lumière de l’“organisation du recueil”, car s’ils sont une base minime de réflexion sur la nature humaine, ils ne sont en aucun cas des leçons explicites sur la morale, la nature, les sciences ou bien encore la Bible. La Délie s’attache à croiser un “art d’aimer” et une “expérience de l’amour” toute intime, en mêlant portraits poétiques, figurés ou réalistes, ce que l’on ne peut guère trouver dans les recueils d’emblèmes ou de devises de l’époque. Les gravures sont alors le reflet de cette nouveauté qui combine enseignement et dévoilement de l’expérience personnelle du poète lyonnais. Force est donc de constater que ceux qui considèrent “ces bois gravés comme de simples illustrations” se trompent lourdement. Au contraire, les emblèmes encouragent le lecteur “à déchiffrer […] la portée discursive des images” et font corps avec le texte poétique, ce que ne proposent pas les autres œuvres d’emblèmes à la même époque.

Si la Délie est ce carrefour des genres et des influences littéraires dont bénéficie le premier XVIe siècle, cela est assurément dû à la sensibilité de l’auteur. Italianisant, Maurice Scève, citoyen lyonnais, ne pouvait qu’être sensible aux charmes intellectuels du pays de Dante. Celui-ci a très tôt fréquenté les grands textes italiens, “lectures dont son œuvre se fait l’écho, tant par l’intertextualité que par la présence des emblèmes”. Cette immixtion d’influences et cette combinaison de savantes poésies et de figures énigmatiques ont valu au chantre de Délie de nombreuses critiques contemporaines. On y a vu une “complaisance à l’hermétisme” [Pontus de Tyard] alors que d’autres, à l’inverse, ont perçu dans cet art, “la marque de la Renaissance”, ce plaisir de la varietas “où l’esprit d’ouverture et de curiosité, écrit Hélène Diebold, […] côtoie le plaisir d’une esthétique raffinée et énigmatique, caractéristique de cette première moitié du siècle”.

“Emblèmes bizarres, bizarrement entremêlés…” (Ferdinand Brunetière)
Dans cette deuxième partie, Hélène Diebold met savamment en exergue une citation de Montaigne qui dit utiliser “quelque emblème supernuméraire” pour satisfaire à la fois le chaland et l’organisation de son texte. De là, elle s’interroge sur la fonction des emblèmes scéviens : sont-ils fioritures ornementales ou nécessaires pour créer un “ensemble signifiant”, une “unité de composition” ? Et s’il y a “unité”, comment la saisir ? Ces questions qui font sens trouveront leurs réponses dans l’étude de “l’enchaînement des gravures ainsi que leur cohésion” et dans l’analyse “des correspondances [complexes] entre ces emblèmes et les dizains”. Elles permettront in fine de saisir le dévoilement du poète “dans l’énigme de son texte et dans l’entrelacs des discours”.

En effet, les motti et les titres dialoguent avec la gravure et encouragent à entrevoir une complémentarité entre les signes. De plus, et c’est une spécificité scévienne, le motto est repris dans le dizain-compagnon soit dans l’intégralité (avec quelques changements pour respecter la syntaxe et la prosodie), soit substantiellement avec des changements lexicaux qui n’altèrent en rien le message, soit il est intégralement modifié et dans ce cas, il détourne l’emblème d’un sens apparent “vers une lecture plus subtile”. Le sens de l’emblème n’est pas modifié par ces ajouts ou ces modifications, il est même renforcé. Mais ce n’est pas exclusif, parfois, la modification accentue un sens plutôt qu’un autre, en apportant une nuance (renforcement de la relation amoureuse entre le je et le tu, passage d’une affirmation dans le motto à un questionnement dans le dizain-compagnon, etc.).

Qu’ils soient légers ou plus conséquents, ces changements forcent le lecteur à chercher “la richesse et la densité du texte”. Quand les transformations sont plus importantes (le motto s’écrit alors sur deux vers, par exemple), l’expérience personnelle du poète-amant devient une “leçon humaine générale”). Ces modifications, parfaitement analysées par la critique, engagent à la fois des changements de perspective mais aussi des réflexions sur la vie du poète-amant (“La femme qui bat le beurre” de l’emblème, par exemple, dont le motto est “Plus l’amollis plus l’endurcis”, se métamorphose, dans le dizain-compagnon, en une vue plus personnelle. L’on passe alors d’une scène de la vie quotidienne à une situation décrivant l’amour du poète, deux pronoms personnels sujets apparaissent et le pronom complément d’objet devient l’être aimé (la femme qui fait souffrir) : “Je l’amollis, & plus je l’endurcis”). Tous ces changements entre l’image et le texte sont à prendre en compte, car leur relation privilégiée “permet à l’amant-poète de se d(écr)ire” et ne sont finalement, selon Hélène Diebold, qu’un “enrichissement de sens”. Ils permettent à d’autres moments “d’amplifier le discours de l’emblème, par les précisions qu’[ils] apportent”. Deux cas d’école sont alors expliqués : Orpheus et Le Tumbeau et les Chandeliers. Le premier est le seul où le motto n’est pas repris dans le dernier vers. “C’est en réalité, écrit la critique, l’ensemble du dizain-compagnon qui développe l’emblème et permet au poète de se transformer en nouvel Orphée”. Dans le second, “le dizain sert d’intermédiaire entre la portée gnomique du discours emblématique et le caractère particulier et intime des poèmes”.

Puis est dressée une liste des motifs des images, les “figures” comme les nomme le Père Ménestrier. Le suivant, Hélène Diebold reconstruit à partir de ces éléments figuratifs l’univers scévien, toujours, elle le réaffirme avec force, “afin de montrer la complémentarité des emblèmes et des dizains”. La conclusion semble sans appel : le monde de Scève est varié. Et cette variété (variation ?) cristallise “l’hétérogénéité et la cohérence” (C. Alduy). Bigarrés, les emblèmes le sont : animaux merveilleux coudoient ceux de la ferme (le coq), la Bible se lit avec les textes antiques, le quotidien s’ouvre sur l’extra-ordinaire… Cette diversité si éclatée est pourtant réunie… Où ? Et bien dans la figure tutélaire de Délie qui est la seule capable d’unifier et de donner un sens à cette palette de mondes.

Après les figures iconiques, la critique s’intéresse à l’écriture en en soulignant clairement l’importance à travers deux procédés de style : la comparaison et la métaphore. En effet, signifiant et signifié valsent ensemble et brouillent les représentations. Le lecteur est donc mis en garde sur la difficulté du texte, et convié à “décrypter” les attributs des emblèmes. Ainsi les emblèmes deviennent-ils mots et les mots peinture, cette “parleuse muette” selon le père Ménestrier, et le dizain se transforme en une “parfaite synthèse des deux arts, peinture et poésie”.

L’Ut pictura poesis prend donc toute sa valeur dans la production scévienne. Et l’art du portrait en est l’une des expressions flagrantes comme en témoigne, “au seuil de l’œuvre”, le médaillon qui représente le portrait réel de l’auteur ainsi que les “cinquante figures” qui constituent en quelque sorte “autant de miroirs de soi” et de Délie. Les portraits renvoient alors “aux deux pôles majeurs du texte emblématique” : exprimer les angoisses et les douleurs de l’amant-poète et chanter la beauté idéale de la Dame.

Après avoir montré que le croisement des domaines de la peinture et de la poésie fait sens, Hélène Diebold analyse les structures afin, de nouveau, d’en dégager du sens. Car, s’appuyant sur Guy Demerson, la critique partage le sentiment que “l’organisation des vignettes, des devises et de leur commentaire poétique impose un rythme à la lecture”. Ce rythme de lecture est imposé par les correspondances entre les thèmes et les motifs utilisés par Maurice Scève. Revenant à maintes reprises, ces derniers se déclinent cycliquement tout au long du recueil. S’ils reviennent par cycle, déterminer “avec fermeté un ordre particulier” est, pour Hélène Diebold une tâche impossible. L’on pourrait, affirme-t-elle en conclusion, voir “quelques signes d’organisatio” : un enthousiasme plus marqué au début et un malaise plus conséquent dans les dernières séquences. À travers ces lectures croisées, ces correspondances entre dizains et emblèmes et ces reprises cycliques, c’est à une mise en “abyme” du poète que le lecteur assiste. Toute la richesse, voire le sens même, de la Délie réside ici, dans cette superposition de significations, dans ce va-et-vient entre textes et emblèmes, entre mots et icones (“Les emblèmes de la Délie, écrit l’universitaire, puisent et s’épuisent dans le corpus poétique”). Et même si, de l’aveu de la critique, “il reste difficile d’établir un sens à la lecture, on peut cependant se laisser guider par les signes de ce texte protéiforme, qui révèlent son microcosme”.

Mettant en relation le macrocosme (le monde réel du poète) et le microcosme scévien (le monde de Délie et de la création), Hélène Diebold cherche un autre sens à la Délie. Celui-ci émerge de l’observation des mouvements complexes entre l’extérieur et l’intérieur, signes évidents de la volonté auctoriale “de rendre son intimité sous la forme concrète et visible”. Cela reviendrait alors à dire que “le monde visible et palpable permett[rait] de signifier l’indicible”. Ce sont les analyses des paysages qui permettent alors à l’universitaire de mettre en évidence les profondeurs de la vie intérieure. Et c’est par le truchement d’une poésie “simple et émouvante” que s’exprime le microcosme délien. Tout d’abord par l’observation des saisons, des cycles naturels (Délie est “lunaire”) et du temps humain qui, de la plainte à la rêverie érotique, encourage l’introspection. Cette dernière se fait aussi par le biais de la ville de Lyon qui inspire à plus d’un titre les poètes, comme en témoigne Du Bellay : “Et ta Delie enfle ta Saone lente” (L’Olive, CV). Alentours et environs (pensons aux deux fleuves tant chantés dans la poésie lyonnaise) permettent à celui qui sait en saisir la beauté de se contempler lui-même, car “le paysage est intériorisé” et favorise l’épiphanie des sens, des émotions, mais aussi et particulièrement du moi scévien.

Délie est donc la muse, l’inspiratrice de Scève, Hélène Diebold le montre à diverses reprises. Mais elle est aussi associée à d’autres figures, comme celle de la Diane mythologique, la Diane chasseresse. La critique montre parfaitement le glissement entre l’une et l’autre. Ainsi, dans l’œuvre du poète, son égérie prend-elle les allures de la divinité et s’approprie alors toutes ses caractéristiques. Elle permet aussi à Maurice Scève, par des jeux de miroirs et d’images, de montrer que, si Délie est une Diane, Diane, elle, est une anti-Vénus, car elle “est l’incarnation de la Vertu, de la virginité et du refus de l’amour”. Par conséquent, “l’association de Diane-Délie, écrit Hélène Diebold, permet au poète d’établir une comparaison, voire une rivalité, entre sa Dame et Vénus”. Et cet antagonisme entre les représentations féminines s’inscrit “au cœur du mythe” et est développé dans la Délie.

D’autres figures, “connexes” comme les nomme la critique, tissent tout un “réseau complexe de correspondances”. Ainsi les figures féminines, telles Europe, Daphné, Libytine, Dictymne ou Clytie, participent-elles à la construction de la Délie. À travers ces représentations de femmes (toutes liées plus ou moins à Diane), l’image de la Dame se déploie en kaléidoscope. Si la féminité est bien mise en lumière par le poète, les figures masculines (Apollon, Endymion ou Actéon) sont aussi présentes à maintes reprises et lui permettent, par une certaine complémentarité, de chanter sa Dame, toujours en rapport étroit avec Diane qui apparaît plus que jamais comme l’image fondatrice de Délie. Et “le nom, affirme, V.-L. Saulnier, prend secrètement un sens personnel”. Puisant aux sources des poésies pétrarquiste et renaissante et de l’antique mythologie, Maurice Scève parvient à “créer un discours personnel et unique, affirme Hélène Diebold, en détournant les signes vers une mythologie intime, soutenue et enrichie par les deux modes de significations”.

Ainsi recherchant toujours le sens à donner aux textes scéviens, la critique a-t-elle montré, dans cette deuxième partie, que, modulant les savoirs mythologiques et les mythes, Maurice Scève, à travers la Délie, cet object de plus haulte vertu, “réalise l’ut pictura poesis”, car les emblèmes, à n’en plus douter maintenant, “s’intègr[ent] à la construction de l’œuvre” et “engagent une dynamique de la lecture”.

“Par signes evidentz”
Cette dernière partie se propose de définir les enjeux de sens de cette présence emblématique. “L’expérience amoureuse, juge avec raison Hélène Diebold, n’est qu’un pré-texte au travail poétique, tourné vers la postérité.” Délie, femme réelle, est mise à distance pour devenir en soi une “femme sujet” et devient par conséquent l’“objet de sa poésie”. C’est aussi comme cela que Simone Perrier voit l’œuvre : “L’amant-et-poète esquisse d’un même geste le don amoureux et la présentation d’un livre, en des termes qui semblent calculés pour formuler à la fois un art d’aimer et un art d’écrire”   . L’amour pour Scève ne correspond pas à un code galant (représenté par Venus et Cupidon), mais il incarne la fureur poétique, l’inspiration et la création. La tâche reviendra donc au(x) lecteur(s) de décrypter le langage à la fois amoureux et poétique, dans les dizains comme dans les emblèmes. Chemin faisant, l’interprétation du recueil et de ses “signes evidentz” est lié à l’itinéraire amoureux de Maurice Scève pour sa Dame et au parcours de celui-ci en tant que poète. C’est dans la conjonction analytique des emblèmes et des dizains qu’il peut dire son “expérience personnelle”.

L’amour qui conduit à déclarer sa flamme à Délie est un parcours difficile, Maurice Scève le sait et le chante grâce aux images emblématiques et aux verba (les mots). Certes, les codes amoureux sont établis, car ils suivent la tradition, mais Scève donne à l’art d’aimer des nuances personnelles. Ce sont ces touches intimes que le lecteur doit “délier” pour apprécier tout le travail de création scévien. Du pétrarquisme au néoplatonisme, le poète puise à diverses sources comme il l’a aussi fait pour imag(e)-iner les emblèmes. Il ne sera pourtant par question de lister les sources dans cette partie, mais, de l’aveu d’Hélène Diebold, de “montrer que la Délie, dans ses emblèmes comme dans ses dizains, se construit par référence aux topoï et idées de cette première Renaissance, nourrie de pétrarquisme et de platonisme”. En analysant ces influences, pour ne pas dire ces sources, la critique parvient à dégager une définition de l’amour scévien qui, enrichi par les courants de pensée et de la philosophie, est ambigu et complexe à l’instar du Grand Œuvre lui-même. Tantôt d’inspiration chaste, tantôt d’évocation charnelle, l’amour dans la Délie n’est qu’oscillations entre retenue et désir(s), pouvant aussi se comprendre par cette belle expression oxymorique extraite du dizain 424, l’amour est “pudiquement pervers”. En effet, “les spasmes du corps, écrit la critique, sont le reflet des tensions de l’âme”.

“Par signes evidentz”, c’est aussi la recherche évidente d’un dépassement de l’amour qui fait mal et qui fait souffrir pour atteindre la plénitude de l’écriture et dans l’écriture. Dépassant les tensions de la souffrance et de la mélancolie, Maurice Scève, l’amant-poète “s’est approprié un art nouveau” grâce aux difficultés de l’expérience (des expériences ?). Le “souffrir” du poète aboutit dès lors au “non souffrir”, c’est-à-dire à l’ultime récompense pour lui, l’œuvre écrite. L’œuvre est donc à présent “de la vie à la mort” tournée vers ce que disait Hélène Diebold, la “ postérité”. Se tourner vers celle-ci, vers la reconnaissance de son œuvre par un a-venir, est pour Maurice Scève une quête poétique. Mais il ne faudrait pas considérer la Délie comme une œuvre de théorie ou de théorisation, non, l’œuvre “propose une expérience et une pratique poétique”. “Elle est, ajoute la critique, une tentative personnelle pour atteindre la perfection de l’art ; elle témoigne des efforts renouvelés pour surmonter les obstacles de la création. Elle constitue d’une certaine manière un testament, dans lequel le poète lègue au lecteur son parcours”. Et ce dernier se décline alors en jeu de miroir, objet si apprécié dans les emblèmes et les dizains. Il permet facilement de comprendre que le parcours scévien est en fait une sorte de mise en abîme de la création poétique. Le miroir et ses jeux de reflets, de correspondances, réels ou déformés, facilite “le passage d’un monde à l’autre”, du monde de l’amour et de la souffrance, au monde de la poésie, avec ses inspirations et ses créations. Pour Maurice Scève, il apparaît aussi être un révélateur de conscience : il se voit et observe sa poésie en train de se créer. La poesis prend donc ici tout son sens étymologique.

Les emblèmes de la Délie représentaient/peignaient, nous l’avons vu dans les deux premières parties, la femme aimée et l’amour. Mais Hélène Diebold montre dans cette dernière partie que les emblèmes sont aussi, et de façon plus prégnante, les “emblèmes de la poésie” même. En effet, se regardant souffrir, le poète “s’interroge sur la ‘vertu’ de sa Dame, donc de sa poésie”. L’écriture de la Vertu, voire son interrogation, met en exergue le travail de Scève : il est le moyen le plus efficient pour lutter contre l’oubli, car “le travail que Scève poursuit, dans toute son œuvre, est une lutte contre l’oubli. Son attachement à la ‘Vertu’ est significatif d’une poésie conçue comme universelle, intemporelle immortelle”.

Au terminus de cette lecture, on peut dire que l’œuvre de Maurice Scève, que d’aucuns qualifient encore d’obscure ou d’hermétique, s’ouvre et apparaît en pleine lumière. Délie devient alors pour le lecteur du XXIe siècle un object de plus haulte vertu, un livre d’expériences, un testament sur une époque et sur les influences philosophiques. “De mort à vie” telle pourrait être finalement l’emblème du livre d’Hélène Diebold qui, par des analyses fines et sérieuses, parvient à nous faire (re)découvrir la vie et l’œuvre de Maurice Scève, mort il y a plus de quatre cents ans et qui revit sous nos yeux, à travers sa Délie.

On pensera aussi au moment de cette parution (2011) aux futurs agrégatifs qui, après s’être imprégnés de la Délie, pourront facilement puiser dans Maurice Scève et la poésie de l’emblème d’Hélène Diebold de nombreuses idées et analyses de dizains ou d’emblèmes, voire y trouver les clés nécessaires à une meilleure compréhension, car, finalement l’intérêt de cet ouvrage critique n’est, in fine, que de donner du sens au Microcosme scévien et délien.