Actualité oblige: c’est à un autre récit sur le passé, un alter ego de l’histoire qu’est consacrée cette première "chronique historique", à quelques semaines de distance de l’interdiction d’exercer prononcée à l’encontre du juge espagnol Baltasar Garzón   , alors qu'il s’apprêtait à rouvrir la boîte de Pandore en même temps que l’enquête sur les crimes du franquisme, au mépris de l’injonction à oublier prescrite par la loi.

Depuis une quinzaine d’années, de nombreux auteurs espagnols – romanciers, poètes, dessinateurs… – réinvestissent les lieux d’affrontement de la guerre civile et remuent les terrains de la défaite républicaine pour y semer les graines d’une reconquête de la mémoire. Ainsi des environs du village de Gestalgar-Los Yesares, aux confins de la Province de Valence, où la résistance au fascisme fit long feu, et où, dernièrement dans Paradis   , l’écrivain Alfons Cervera tente de substituer aux plaintes silencieuses des fantômes la polyphonie de mémoires partielles et désaxées. Ainsi d’Antonio Altarriba et de Kim qui, dans le roman graphique L’Art de voler   , tentent, au moyen de l’encre noire, de restituer les rouges des affiches de la CNT et du sang versé, de reconstituer l’iconographie d’une guerre qui fut aussi celle des images.

C’est dans cet investissement du passé par la création littéraire que propose de faire voyager le 26e dossier (gratuit) publié par l’association de libraires initiales sur le thème "Fiction et mémoire, la guerre civile espagnole" : alternant entretiens, portraits d’auteurs témoins ou contemporains et présentations d’ouvrages, cette somme ouverte par une riche bibliographie et donnant à lire un extrait de la sobre révolte d’Alfons Cervera saisit l’élan irrésistible d’une rébellion littéraire contre les geôliers de la mémoire.

La fiction plutôt que l’histoire : quand se fissure l’impératif d’oubli décrété au nom d’une transition démocratique incertaine, quand il s’agit d'inventer une mémoire refoulée et non plus, ou non pas encore, d’exhumer les restes de souvenirs ayant payé le prix de la paix civile, c’est bel et bien hors les murs et bien loin des tours de l'institution historienne qu’on voit éclore les récits comblant les friches du passé. Orchestrant l'ordre anarchique des cris, ils assument alors, selon les modalités propres à la fiction, le concert des heurts et des frottements de mémoires nécessairement fragmentaires ; et font peut-être ainsi, à leur manière, œuvre de pacification

Pour aller plus loin :

-"Fiction et mémoire, la guerre civile espagnole", initiales, dossier n° 26, janvier 2012, distribué par les libraires du réseau initiales.