Le samedi 11 février, nonfiction.fr et la Fondation Jean-Jaurès organisaient une journée d'études sur l'idéologie du sarkozysme. Olivier Py, metteur en scène qui vient d'achever son mandat de directeur de l'Odéon-Théâtre de l'Europe   , y donnait son point de vue sur le sujet et son application dans le domaine de la culture. En voici la version écrite, dont nous publions aujourd'hui le deuxième volet sur quatre.  

 

II - Mes rencontres avec Nicolas Sarkozy

Permettez moi un épisode court en forme de digression anecdotique. J'ai rencontré quatre fois Nicolas Sarkozy dont deux fois individuellement. C'est par ces rencontres que j'ai construit mon idée de l'homme et de sa politique. Il ne m'a pas fait de confidences, je ne crois pas qu'il en fasse jamais, il communique, et chaque fois les phrases qu'il m'a dites j'ai constaté, humiliation d'orgueil, qu'il les avait dites à d'autres. Ce ne sont pas des confidences mais des outils de communication de sa politique.

Dans la première de nos rencontres au théâtre du Rond Point, il était alors candidat à l’élection présidentielle et je l'avais un peu secoué sur la politique culturelle et sur le fait que selon moi la politique se fait avec des idées et non des images. Je lui avais lancé cette formule : "celui qui règne par l'image périra par l'image". Me prenant à part, il m'avoue qu'il ne croit pas qu'il soit nécessaire d'avoir les intellectuels de son côté pour gagner une élection présidentielle, mais qu'on ne peut pas gagner si on les a contre soi. Les intellectuels, donc les idées. Nicolas Sarkozy croit aux idées, croit qu'on fait de la politique avec des idées, il est idéologique, mais il pense que cela ne suffit pas. Il a sans doute raison, le storytelling, l'affect, l'image choc peuvent aujourd'hui plus que la formulation d'un concept.

A notre seconde rencontre, il a affirmé son attachement pour le cinéma néoréaliste italien. Sincère incontestablement, et sincèrement incontestable, il tenait à apparaître comme un homme qui avoue ne pas tout savoir. Il affirmait avec une humilité sincère et stratégique être incompétent sur un grand nombre de sujets. Il était cependant d'une précision aiguë sur les dossiers culturels. Et il a alors lancé cette formule "ce n'est pas toujours facile d'être hypermnésique". J'entendais au delà des facultés neuronales de l'homme, un attachement culturel pour la mémoire. Une culture qui se fondrait sur un devoir de mémoire, une pensée culturelle qui serait elle aussi hypermnésique. C'était avant la loi mémorielle sur le génocide arménien. Mais après la récupération maladroite de Guy Môquet et en plein scandale de la Maison de l'histoire de France. La mémoire ce n'est pas l'histoire, l'histoire commence quand la mémoire est morte faute de mémorants. Cette valeur centrale de sa politique culturelle n'est pas du tout libérale. Elle est capitaliste. La mémoire c'est même la capitalisation des faits historiques par ceux qui les ont vécu.

Dans notre troisième rencontre seul à seul, il me disait sa passion pour les religions et la mystique. Là aussi sincère à mon sens, et je découvrais a mon grand étonnement que son film préféré était aussi le mien, Ordet de Carl Theodor Dreyer. Il le dira à de nombreuses personnes et cela mériterait une analyse du sarkozysme à travers ce chef d’œuvre, mystique en effet, réactionnaire aussi, celui que les médiocres prennent pour ce qu'il n'est pas, protestant qui se convertit au catholicisme, croyance en la puissance surnaturelle de l'amour filial, etc... Alors que je lui avouais que les gens de droite me prenaient pour un homme de gauche et ceux de gauche pour un homme de droite il s'est exclamé, "comme moi !" Là aussi sincère, sans doute. Complexe aussi. Il se dit de gauche puisqu'il est anti capital et de droite puisqu'il est libéral.

Enfin, notre quatrième rencontre porte précisément sur la thèse de cette mini-série que je lui ai exposée en quelques mots. Il n'a pas compris ou n'a pas voulu comprendre. Il a répondu qu'il était libéral au sens anglais. Libéral au sens anglais cela veut dire de gauche. Il s'agissait de séduire un homme de culture donc il ne pouvait répondre qu'en se défendant d'être libéral au sens français. Mais dans cet écran "librol" plutôt que libéral, il trahissait aussi que son libéralisme se pensait comme un humanisme. Et il imaginait que je ne serais pas capable de le comprendre, au moins théoriquement...

 

- Ier épisode : "L'idéologue et le sarkozysme"

 

* Prochain épisode : "Le sarkozysme culturel".