La botte de la Méditerranée et ses petites îles du sud ont été le scénario tragique de la vague migratoire issue du printemps arabe. Le débarquement de plus de quarante mille immigrés, dans les cinq premiers mois de 2011, a révélé à l’Europe les problèmes politiques mais également sociaux d’un pays qui compte désormais 4.570.317 immigrés.

La condamnation de l’Italie par la Cour de Justice européenne a fait la une des journaux italiens. Les juges de Luxemburg accusent et sanctionnent le pays pour l’expulsion, en 2009, de 200 clandestins arrivés de Lybie par bateau. Le fait de leur avoir refusé le recours aux tribunaux italiens, constitue une infraction à la Convention des Droits de l’Homme.

La crise actuelle amplifie les tensions sociales. L’insécurité s’accroit et les Italiens démontrent une attitude inquiétante qui ne reflète pas leur tradition de navigateurs et d’émigrés. La hausse de la présence étrangère sur le territoire italien a déclenché de véritables épisodes de violence qui poussent à se poser la question : “Est-ce que la société italienne favorise l’intégration ?”

La Loi Bossi-Fini

L’immigration est actuellement réglée par la loi Bossi-Fini, n°189, approuvée le 30 juillet 2002. La loi a été proposée par Umberto Bossi et Gianfranco Fini, membres respectivement de la Ligue du Nord et de l’Alliance Nationale, partis du gouvernement de l’époque, présidé par Silvio Berlusconi. La concession du permis de séjour uniquement à ceux qui ont un travail avant leur arrivée en Italie, est l’un des points forts de la loi. En outre elle prévoit la réduction du temps d’expulsion du clandestin et l’augmentation des pouvoirs de la Marine Militaire pour bloquer les navires d’immigrés avant qu’ils ne touchent les côtes italiennes.

Les pages noires de l’intégration

Rosarno est une petite ville du sud de l’Italie, dans la région de la Calabre.
Le 7 janvier 2010 s’y écrit le scénario noir d’une révolte d’immigrés. Il s’agit d’une réaction à une embuscade, apparemment organisée par des citoyens italiens, aux dépends de deux immigrés, blessés par des munitions en caoutchouc. On parle d’une région où l’agriculture a une place importante et les travailleurs, souvent clandestins, gagnent vingt-cinq euros pour douze heures dans les champs. Peut-on appeler cela du travail clandestin ? Ou est-il plus approprié de parler d’esclavage ? La révolte oppose les immigrés exaspérés par les conditions inhumaines de travail et de vie – ils habitent dans d’anciennes usines ou dans des campements – et la population du village. L’affrontement est violent. Une véritable “chasse au noir” commence et le racisme explose. Le sud de l’Italie est durement touché par le chômage et depuis les années soixante, soumis à la présence de la mafia qui, dans cette région, prend le nom de Ndrangheta. C’est un “réseau criminel”, riche et puissant, qui exploite l’immigration, en particulier pour le travail agricole. Lire le compte-rendu des journées de Rosarno et les déclarations des habitants révèle une grave tension sociale.
Un habitant déclare : “J’habitais à Nice, avec ma femme et mes filles, puis je suis rentré, je ne voulais pas faire grandir mes filles dans une ville pleine d’immigrés. Je souhaitais pour eux un milieu sain, comme Rosarno. Je suis rentré et je les (les immigrés) ai retrouvés même ici”.

Les articles, parus dans les principaux journaux italiens, témoignent de rumeurs qui ont alimenté la haine. Une femme aurait subi un avortement après avoir été frappée par des Africaines et une petite fille aurait perdu un œil. Les immigrés partent, des bus viennent les chercher pour les amener ailleurs. Après quelques jours les habitants de Rosarno organisent une manifestation, ils écrivent sur une banderole “nous ne sommes pas racistes”, ils disent avoir cohabité vingt ans avec ces étrangers.

Florence, 13 janvier 2011 : Gianluca Casseri déferle dans un marché du centre ville et tire sur des Sénégalaises. Samb Modou et Dior Mor sont tuées. Le “tueur raciste” se dirige vers un autre marché pour en assassiner d’autres mais la police le poursuit et il se suicide. Casseri fréquente Casa Pound, un “centre social de droite” présent dans plusieurs villes du pays. Les représentants de cette association condamnent le raid et déclarent à la presse vouloir rencontrer la communauté sénégalaise. Cette dernière n’accepte pas et organise une manifestation pour les victimes et pour demander la fermeture du centre social. Mais si officiellement le crime est condamné, le maire déclare le deuil de la ville, les politiciens de tous les partis désapprouvent fermement cette folie xénophobe, une certaine partie du web n’est pas d’accord. Stormfront, un site Internet néonazi violent et extrémiste, décrit Casseri comme un héros : “Il a eu du courage, il nous a libéré de la racaille africaine qui infeste notre pays.”.
Le “massacre de Florence” est-il le geste d’un fou ou un coup d’éclat qui dévoile des résurgences racistes ?

Racisme, un alibi crédible !

Les crimes, les vols et en général toutes les actions illégales perpétuées par des immigrés sont les raisons principales de la peur, et dans certains cas, de la haine à leur égard. L’Institut des études sur l’opinion publique a publié un dossier sur l’attitude des italiens à l’égard des immigrés ; presque la moitié des interviewés se déclare en grande partie d’accord avec l’affirmation “la conduite de certains immigrés peut justifier des opinions racistes”. L’homme noir devient très souvent le bouc émissaire privilégié de la délinquance. Si nous devons trouver un coupable, nous croyons qu’attribuer le crime à un étranger est tout à fait crédible. L’alibi raciste est considéré plausible.

Novi Ligure, janvier 2001 : une jeune fille tue sa mère et son petit frère avec la complicité de son compagnon. Tous les deux seront jugés coupables ; mais au début les jeunes attribuent l’homicide à des albanais.
Turin, novembre 2011 : une fille accuse un tzigane de l’avoir violée. Les habitants de son quartier organisent un raid dans un champ tzigane à proximité et des cabanes sont brulées. Elle avouera après avoir perdu la virginité avec son petit copain et avoir eu peur de l’admettre à ses parents qui la soumettaient à des visites gynécologiques périodiques pour la contrôler.

Alors que les Tsiganes et les Albanais sont souvent victimes de stéréotypes tels que de la violence et le vol, d’autres comme les Africains mais, surtout les Asiatiques et les Philippins sont “acceptés”. Ces derniers travaillent comme personnel de maison. Les Italiens les acceptent parce qu’ils sont serviles, comme résignés à accepter l’humble travail au service des familles. Ils se promènent avec notre chien et des fois élèvent nos enfants. Ils ont un rôle défini qui s’inscrit dans les conventions de la société.

Le côté politique de la discrimination

Il faut souligner que dans le contexte politique italien, il existe un parti qui fait de la provocation discriminatoire son cheval de bataille. La Ligue du Nord nait officiellement en 1989 de l’union de différents mouvements autonomistes du nord de l’Italie. Le parti, fondé par Umberto Bossi, soutient le fédéralisme fiscal, l’augmentation des pouvoirs des régions du nord en raison de leur majeur poids économique et est, depuis toujours, en faveur du durcissement des lois sur l’immigration. En 2010, la Lega avait poussé les médecins et le personnel hospitalier à dénoncer les clandestins arrivés aux urgences. Mais ce qui frappe le plus, et qui donne la mesure de la violence de leur propagande, ce sont les manifestes explicitement xénophobes : “Dégagez”, qui est une traduction bien adoucie. Ou encore l’image d’un Amérindien et la phrase : “Ils ont subi l’immigration, aujourd’hui ils vivent dans des réserves” et encore “Face aux immigrés clandestins, la torture est une légitime défense ”. Le consensus pour les idées de la Ligue, ne se limite pas au Nord du pays. Le Parti a des partisans également dans le sud du pays, dans les régions qui doivent se confronter à une importante présence d’immigrés. Au lendemain des faits de Rosarno, une partie des habitants se disait d’accord avec les méthodes d’expulsions peu orthodoxes proposées par Umberto Bossi, ceci malgré le mépris que le parti affiche, très explicitement, pour la population du sud “i terroni”, improductifs et paresseux. La Ligue du Nord a une section de jeunes très active qui agit sur le web, dans les écoles et les universités, et qui exerce une forte attraction pour des jeunes en quête d’identité et d’appartenance à un groupe social. Pour donner une image réaliste de cette partie de l’Italie fortement hostile à la présence étrangère, il faut jeter un coup d’œil sur le message diffusé par certaines associations de jeunes. Certaines d’entre elles véhiculent des valeurs non seulement racistes mais aussi fascistes, c’est-à-dire explicitement inspirées d’une idéologie condamnée par la loi Scelba du 20 juin 1952.

On peut citer l’exemple de Casa Pound qui est une association de promotion sociale fondée en 2003, qui prend le nom du célèbre poète. Le nom de Casa Pound a été lié par la presse au nom de Casseri, le tueur de Florence, mais les représentants de l’association rejettent toute responsabilité quant au geste homicide. Casseri fréquentait le siège de l’association de Pistoia et écrivait sur leur site internet mais il n’avait jamais parlé des ses intentions violentes au sein de l’association. Dans une entrevue avec Monsieur Gianluca Iannone, représentant national de Casa Pound, la journaliste Lucia Annunziata   demandait : “Les idées de l’association peuvent-elles inciter à des actes racistes et brutaux ?”. Le porte-voix répliqua qu’au contraire, les membres de l’Association organisent des rencontres avec les communautés étrangères et prennent des initiatives de bénévolat. De toute façon il suffit de lire leur programme politique pour découvrir leur vocation fasciste, qu’ils revendiquent de toute façon sans honte. Au sujet des flux migratoires, Casa Pound propose de les bloquer, sans mâcher ses mots. L’association voudrait aussi revoir les accords de Schengen, pour établir des critères plus stricts d’un point de vue social, économique, politique et culturel. En se référant aux exemples des pays de l’Union Européenne comme la Bulgarie ou la Roumanie, Casa Pound affirme qu’il ne peut pas exister un “tiers monde interne à l’Europe qui exporte, vers les pays les plus riches, esclaves et délinquants”.

L’actuelle situation de l’Europe montre très clairement l’impact de l’immigration sur la société future; les gens émigrent à la recherche d’un travail, de droits sociaux et d’une vie meilleure. Afin d’orienter notre société vers une acceptation pacifique de la diversité, il faut retenir que les flux migratoires sont la conséquence d’une inégalité sociale.
Tant qu’il y aura une différence aussi grande entre pays riches et pays pauvres, il y aura des gens de ces derniers pays qui seront prêts à partir, même sur de petites embarcations, pour tenter de s’offrir une chance de survie. Le fait qu’il existe des partis, des mouvements ou des gens qui cherchent à arrêter ce phénomène, par des moyens plus ou moins violents, démontre que les sociétés ont encore peur. Nous avons peur du changement, de renoncer à nos avantages et de nous confronter aux autres. La société italienne doit sérieusement prendre des mesures efficaces en ce qui concerne l’accueil et l’intégration des étrangers. Le nouveau gouvernement Monti n’a pas encore pris position. La gestion des flux migratoires est-elle une question d’importance secondaire ? Les Italiens sont capables d’une grande générosité, ils ont été eux-même un peuple d’émigrés. Les grands parents sont partis pour l’Amérique, il n’y a pas si longtemps. Les Italiens n’auront plus peur si l’Etat propose une vraie politique d’intégration et suspend la construction de barrières, réelles ou législatives, qui de toute façon n’entament pas la volonté de ceux qui ont décidé de les sauter