A quelques semaines de l'élection présidentielle, le candidat socialiste se dévoile. Sans tabou, il raconte son parcours, explique qui il est et montre le chemin sur lequel il compte mener la France si les électeurs lui font confiance en mai prochain.

“Pour que les Français me fassent confiance, ils doivent davantage me connaître. Ainsi, je veux leur parler franchement de mon parcours, de notre avenir et, surtout, de mon projet pour la France”   .

Illustrant à merveille la sacralité de l’élection présidentielle, considérée comme la “rencontre d’un homme et d’un peuple”, François Hollande publie un ouvrage en forme de pas de côté - un livre comme pour s’écarter des turbulences médiatiques, où sévit la dictature de l’instant, et s’adresser directement au peuple français, aux citoyens qui, au printemps, seront appelés aux urnes. Simplement, modestement, le candidat socialiste se dévoile, s’explique - qui il est, d’où il vient, ce qu’il pense - ce qu’il veut incarner. À l’heure où les citoyens sont abreuvés d’informations en flux continu, à l’heure où les responsables politiques dévoilent chaque jour de nouvelles propositions qui relèguent les précédentes aux oubliettes, faire le choix du livre, c’est rompre cette fuite en avant en offrant la possibilité au citoyen devenu lecteur de s’extraire du battage médiatique pour prendre le temps de découvrir celui qui se présente à la magistrature suprême. Non pas découvrir le détail de ses propositions - pour un catalogue de mesures, mieux vaut se référer à son programme de 60 propositions distribué en version papier par les militants socialistes et en version numérique sur Internet. Non, pour découvrir l’homme, sa substantifique moëlle. Car si “tout dans [sa] vie [l]’a préparé à cette échéance”   , il est de sa responsabilité de faire la lumière sur ce “parcours [qui] a ainsi fixé [ses] idées”   .

Tout au long de ces 170 pages, François Hollande se dévoile, avec clarté et transparence, sans aucune impudeur. Il revient sur son enfance - un père aux opinions politiques opposées à celles qui naissaient dans un esprit adolescent en construction, une mère assistante sociale qui lui a transmis un certain altruisme et une écoute des préoccupations des gens. Sans tabou, il revient sur sa vie politique qui, toute entière, l’a façonné, l’a construit, l’a nourri intellectuellement.

Jeune auditeur à la Cour des comptes issu de l’ENA, symbole de la méritocratie républicaine, il s’implante en Corrèze et se nourrit de la force de ses habitants, “ouverts, solidaires, tolérants et durs à la tâche”   , révoltés devant “l’injustice”, “l’arrogance”, “l’indifférence des importants”   . Plusieurs fois au fil des pages, il revient sur ces terres corréziennes devenues siennes et desquelles il tire toute sa légitimité démocratique.

Devenu Premier secrétaire du Parti socialiste, il évoque ces années de gouvernement Jospin durant lesquelles il était intimement associé à la conduite de la politique nationale - il défend le bilan de ce quinquennat tout en reconnaissant une campagne présidentielle ratée car désincarnée. Il évoque le traumatisme du 21 avril, l’incompréhension du référendum de 2005 - “je leur parlais gouvernance, droits fondamentaux, politique intérieure commune, ils me répondaient dérégulations, délocalisations, dépossessions”   . Sans tabou, il parle également de l’élection présidentielle de 2007. Après avoir un temps envisagé présenter sa candidature, il s’abstient au nom de l’unité du parti, si précaire suite aux divisions internes nées de la campagne référendaire et, quand sonne le glas de l’espoir Royal, il avoue ressentir une “tristesse personnelle qui entrait en résonnance avec la déception collective”   .

Alors, à l’heure de quitter la tête du Parti socialiste, le député de Corrèze prend du recul et, à l’aune de son analyse des circonstances politiques, il décide de prendre la route - la route, bien réelle, qu’il sillonne dans l’ombre, des mois durant, à la rencontre du peuple français ; la route, plus métaphorique, de sa candidature à l’élection présidentielle.

Invariablement droit, il prêche un exercice du pouvoir - fût-il présidentiel - simple et maîtrisé, à l’opposé de la présidence toute en démesure de Nicolas Sarkozy. Invariablement droit, il base toutes ses orientations politiques sur deux mots-clés, justice et jeunesse, piliers de son action.

La justice comme principe d’action, parce qu’une politique ne peut pas être comprise, tolérée - ne peut pas susciter d’adhésion populaire - lorsqu’elle n’est pas empreinte de justice. “Si l’on est juste, on peut être ferme, on peut exiger l’effort, refuser la facilité, demander des sacrifices s’ils sont nécessaires”   .

La jeunesse comme orientation de l’action, parce que l’on ne peut pas tolérer que les enfants d’aujourd’hui vivent moins bien que leurs parents - un déclassement générationnel irait à rebours de l’élévation constante du niveau de vie dans notre pays depuis des générations.

Si souvent décrié comme un homme indécis et “mou” (il faudra quand même un jour que l’on m’explique ce que c’est, un homme “mou” !), François Hollande se montre, au contraire, déterminé, solide dans ses convictions - prêt à prendre ses responsabilités, à trancher, à décider. Il loue, à cet égard, Lionel Jospin, “la clarté de ses choix”, “la rigueur de ses arbitrages”   et Pierre Mendès France - “Gouverner, c’est choisir”   , disait-il. Mais, encore une fois, il se place à l’opposé de Nicolas Sarkozy, “omniprésident”   : il entend rétablir “dans toute sa dimension la fonction de Premier ministre”   et ne compte pas se substituer aux ministres qui “exerceront toutes leurs compétences”   - en somme, il ne prévoit rien de plus que le “retour à une pratique constitutionnelle “normale””   ...

Révolté non par l’argent en soi - il revient d’ailleurs sur sa phrase, “trop abrupte”   , selon laquelle il n’aimait pas les riches - mais par “l’arrogance des privilégiés”   , il entend remettre l’homme au cœur d’une société financiarisée où l’argent est devenu roi. “Les fortunes acquises par le travail et l’investissement sont légitimes. Mais le pouvoir excessif de l’argent doit être combattu. Au fond, il n’est qu’une règle en ce domaine : la justice”   .

Patriotique, il veut redonner ses lettres de noblesse à l’industrie française, sacrifiée sur l’autel de l’économie de services promise par le libéralisme triomphant, et, corollaire, ramener une “classe ouvrière oubliée”   au cœur de la vie de la nation. Défenseur de la laïcité “non pas comme une valeur de gauche”   mais “comme un cadre juridique et politique qui donne à chacun liberté et protection contre toutes les tentations intolérantes”   , il rejette le “modèle communautaire anglo-saxon”   : “la République ne reconnaît pas les communautés”   et si, “d’aventure, tel ou tel groupe intégriste s’avisait de vouloir imposer sa volonté à d’autres individus, de s’ériger en lobby pour le compte de courants de pensée hostiles à la liberté, il [le] trouverait sur sa route”   . “La République est sévère mais juste”   . Dans le droite lignée de Lionel Jospin et de Jean-Pierre Chevènement, il veut mettre en application le “droit à la sûreté”   promis dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : pour lui, l’insécurité est une “démission de la République”   , une inégalité aussi intolérable que les inégalités économiques.

Ferme, il l’est tout autant sur les questions internationales. Si “la République française rayonne bien au-delà de ses frontières”   , il n’entend pas abandonner les outils puissants dont dispose la France - arme de dissuasion nucléaire, siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU.

Lucide dans son diagnostic sur l’état actuel de la construction européenne, il est déterminé à donner une impulsion nouvelle à l’Europe politique, abandonnée depuis l’expansion aux anciens pays du bloc communiste au profit d’une simple “Europe de marchés sans autre garde-fou que les disciplines budgétaires”   . Pour ce faire, il entend rassembler les pays fondateurs qui devront “définir les tâches de l’avenir et conduire la marche”   pour faire une Europe respectueuse de “la volonté des peuples”   et qui ne soit “pas seulement le syndic des intérêts nationaux”   .

“Je veux une présidence exemplaire pour une France réconciliée”   , explique François Hollande. Dans ce livre, l’homme se fait candidat autant que le candidat se fait homme. De la même façon qu’il est attaché à la “continuité de l’Etat”   , à “l’ancienneté de la France”   dont avait su faire preuve François Mitterrand en réunissant à Versailles la première grande conférence internationale de son septennat ; de la même façon qu’il “aime les grandes heures de l’histoire de France”   qui “ne commence pas avec la Révolution”   mais “puise loin dans les épreuves traversées par les générations qui nous ont précédés”   , s’il est là où il est aujourd’hui, “le hasard n’y est pas pour grand-chose”   . Son parcours d’homme nourrit inévitablement son destin de candidat dans une triple continuité idéologique, temporelle et géographique (on retrouve là la tradition française de l’homme politique qui s’appuie sur une relation presque charnelle avec son territoire pour endosser un destin national).

Les Français lui confieront-ils le mandat qu’il sollicite pour “changer de destin” - tracer un nouveau chemin pour la France ? Nous le saurons dans très peu de temps. Mais, au-delà, parviendra-t-il à redresser la France ? Parviendra-t-il à redonner ses lettres de noblesse à la Politique ? “Je veux qu’on dise, avec le recul du temps : son quinquennat a été juste”   .

L’Histoire jugera