Avant même sa publication, l’ouvrage d’Eric Laurent et Catherine Graciet, Le Roi prédateur. Main basse sur le Maroc (Seuil, 217 pages), a vécu des premiers jours tourmentés. Le dimanche 26 février 2012, le journal El Pais a été interdit de publication sur le territoire marocain. Pour quels motifs ? Il semble que la publication des "bonnes feuilles" de l’ouvrage des deux journalistes français ait déplu aux autorités marocaines. RSF (Reporters sans frontières) en a profité pour dénoncer la censure exercée au Maroc tant dans le domaine de la presse que dans le secteur du livre.

En effet, en l’espace d’une dizaine de jours, le quotidien espagnol a subi deux interdictions de publication. Le précédent empêchement a visé une caricature du roi Mohammed VI, le représentant comme une serrure, détenant une clef, à l’image de son royaume cadenassé. Déjà au mois de décembre 2011 et au mois de février 2012 d’autres quotidiens français ont fait l’objet d’interdictions, notamment Le Nouvel Observateur et L’Express, pour avoir publié respectivement des enquêtes sur l’histoire des peuples arabes et la situation de la femmes en Tunisie. Le 22 octobre 2009 déjà, la distribution du journal Le Monde avait été interdite. Le souverain et Dieu sont deux sujets avec lesquels on ne plaisante pas au Maroc, le premier parce qu’il est protégé par un article de la Constitution, le deuxième parce que la tradition musulmane interdit les représentations du prophète.

Le Seuil a immédiatement fait part de sa déception quant à la décision de censure de la publication du journal espagnol. Son président, Olivier Bétourné, a interpellé le gouvernement marocain afin qu’il ne sanctionne pas l’ouvrage. L’Union internationale des éditeurs (UIE) a également très vite réagi   à cette nouvelle attaque, en s’indignant de la décision des responsables marocains et du non-respect de la liberté d’information et d’expression. L’UIE "s’inquiète que le Maroc ferme fréquemment sa porte à des titres qui mettent en cause son régime" et veut alerter sur les entraves commises contre la libre circulation des œuvres par l’entourage du roi.

C’est en effet là que le bât blesse. Le monarque marocain qui a su, fragilement, se détourner d’une révolution venue des pays voisins, joue le souverain susceptible et liberticide. L’ouverture démocratique promise serait-elle compromise pas un souverain qui a trop bien compris la puissance des mots et de l’écrit ? Ce n’est peut-être pas seulement le contenu même des textes qui effraye le souverain et ses affidés mais l’impact de leur circulation et de leur réception