Gerrit Gohlke, critique d’art à Berlin, dont nous avons restitué de manière condensée le propos dans la chronique précédente, ajoute cependant à son propos quelques considérations sur les arts et les techniques. Nous les mettons ici en avant, en précisant que leur intérêt réside moins dans le propos même que dans la liste des artistes cités. Ce sont des artistes moins connus en France. Occasion était donc donnée d’en parler devant un large public, celui de nonfiction.
Ce qui intéresse Gerrit Gohlke dans le cas de l’art et de l’ordinateur, ce sont donc moins les rapports arts et sciences, que les apports de la technologie à la recherche plastique. Le problème demeurant toutefois de savoir comment on réfléchit la notion d’art dans ce cadre.


Il commence par souligner que l’art du net ou le net-art n’est certainement pas le seul genre esthétique qui permet de saisir les mutations du monde contemporain au travers de ses nouvelles technologies. De nombreux artistes ont pu accéder, au moment de leur mise en public, à des programmes d’ordinateurs comme photoshop. Par cet intermédiaire, ils ont pu commencer à utiliser des photographies trafiquées pour en faire la matière de leur art.
Un artiste comme Thomas Ruff, écrit Gerrit Gohlke, conçoit des portraits appelés "images fantômes"(Thomas Ruff, Andere Portraits, Siebdrucke, 1994­95   , qui correspondent à des manipulations d’images par ordinateur, manipulation des figures individuelles à partir de leur vieillissement obtenu par le logiciel. Un autre artiste, Dieter Huber procède à des mutations digitalisées des langues de personnes qui s’embrassent. Il transforment les langues en un organe nouveau, et présente ses nouveaux personnages comme des clones numérisés.


Il reste, remarque l’auteur, que ces artistes fraye avec les limites éthiques de l’art. Ils ne travaillent pas véritablement le rapport arts et sciences, et ne font plus jouer à l’art un rôle critique.
Il cite ensuite l’artiste Inez van Lamsweerede   . Elle digitalise et retravaille aussi des photographies. Ce sont, cette fois, des corps de femmes et d’enfants, dont elle modifie les différents points naturels remarquables, ou les sexes. Elle obtient des images de clones, qui permettent d’étudier la plasticité des images relativement aux corps humains. Elle s’installe dans le cadre déjà ancien des mutations biologiques, et des savoirs de ces mutations. Cette fois, elle est plus proche d’une démarche arts et sciences, en utilisant les savoirs dispensés par la biologie.
Dans le même ordre d’exemples, l’artiste Thomas Grünfeld, par exemple, construit, depuis la fin des années 1980, des êtres hybrides, qui sont composés à partir de parties de différents animaux, mixés en un corps humain. Le spectateur ou plutôt l’observateur de ces œuvres fait alors l’expérience de combinaisons de produits naturels. Il faut alors se souvenir de Giuseppe Arcimboldo, et de ses portraits des années 1563.


Ces quelques exemples du moins, insiste Gerrit Gohlke posent de nombreux problèmes. Non seulement ils interrogent le rapport des arts aux nouvelles technologies, ce qui ne coïncide pas exactement avec le débat arts et sciences, mais encore ils obligent à se demander si ces nouvelles technologies ne sont intéressantes pour les artistes que si elles leur permettent de reproduire des modèles artistiques anciens. Le risque est évidemment que les artistes s’enferment dans des jeux de répétition qui ont par avance un peu épuisé leur substance. Autrement dit, la question de fond est de savoir à partir de quand et sous quels modes les arts pratiqués à l’aide de l’ordinateur ont trouvé ou vont trouver leur autonomie, et montrer au public un véritable travail original prouvant par là même que la technologie peut proposer des moyens nouveaux et pas seulement être cantonnée à un moyen de reproduction