Dans un essai érudit et savoureux, Alberto Manguel nous invite à une lecture vivante et stimulante.
Il s’agit d’un nouvel essai enthousiaste d’Alberto Manguel en faveur des livres et de la lecture, considérée comme une “activité créatrice éminemment humaine”. Pour lui, “nous sommes dans l’âme, des animaux lecteurs” et “des mots sur une page confèrent au monde une cohérence”. La lecture n’est pas un divertissement et comporte une “éthique” : il existe une “responsabilité dans notre manière de lire, un engagement à la fois politique et privé dans le fait de tourner les pages et de suivre les lignes. […] Parfois, au-delà des intentions de l’auteur et au-delà des espoirs du lecteur, un livre peut nous rendre meilleurs et plus sages”.
Pour ce lecteur-écrivain à la culture encyclopédique, “un livre devient un autre livre chaque fois que nous le lisons”. S’il ne se fait pas d’illusions sur la nature humaine et les atrocités du monde, il affirme cependant : “Entourés d’incertitude et de toutes sortes de peur, menacés par l’absence, le changement et la douleur, la sienne et celle du monde, pour laquelle on ne peut offrir aucune consolation, les lecteurs savent qu’il existe au moins, ici et là, quelques lieux sûrs, aussi réels que le papier et aussi vivifiants que l’encre, pour nous accorder le gîte et le couvert durant notre traversée de la forêt obscure et sans nom.”
Ces différents essais, qui nous font croiser Borges, Don Quichotte, Pinocchio, comportent chacun en exergue une citation de Lewis Carroll avec laquelle se tissent différents échos. Ils se présentent également comme des fragments d’une autobiographie, depuis les lectures de l’enfance, les paradoxes troublants d’un professeur de lycée en Argentine, les travaux au service de différents éditeurs, le récit d’une vocation d’écrivain, jusqu’à la constitution d’une bibliothèque, dans une “grange”, près de sa maison au sud de la vallée de la Loire, bâtiment “suffisamment vaste pour accueillir ma bibliothèque de quelque trente mille livres, assemblés au cours de six décennies itinérantes. "Je savais qu’une fois que mes livres auraient trouvé leur place, j’aurais trouvé la mienne". Cette bibliothèque est “une sorte de millefeuille autobiographique où chaque livre retient le moment où je l’ai lu pour la première fois”, écrit Alberto Manguel qui ajoute : “Ma mémoire s’intéresse moins à moi qu’à mes livres, et je trouve plus facile de me rappeler l’histoire lue autrefois que le jeune homme qui la lisait.”
N’imaginons pas pour autant un livre autocentré dans la contemplation de soi. On y trouve un bel essai sur Che Guevara, et aussi de très nombreuses anecdotes, plus ou moins érudites, mais toujours très agréables à découvrir, comme un secret partagé, dont celle-ci : “L’éditeur Hubert Nyssen a créé le format allongé caractéristique des publications d’Actes Sud en mesurant, verticalement, la distance entre la base de sa paume et le bout de son index et, horizontalement, l’écart entre la racine de son pouce et le bord externe de sa main”…
Pour empêcher la folie du monde, la littérature, si elle n’offre pas de réponses, sait substituer aux vaines questions de bonnes et fécondes “énigmes”. Alberto Manguel procède à des allers-retours entre des questionnements contemporains et des œuvres du passé, avec une intelligence en alerte, qui donne l’envie d’aller lire ou relire ces livres à cette lumière vive, sans craindre la “fin de la lecture” que prédisent les “futurologues” mal inspirés…