Que ferait Nicolas Sarkozy, demain, s’il revenait au pouvoir ? Au-delà des promesses qu’il a commencé à égrener depuis le début de sa campagne, nous nous sommes employés à l’imaginer en nous appuyant sur les propositions que lui suggèrent les think-tanks qui l’entourent. De cet article de Romain Prudent, qui clôt également Le dépôt de bilan publié par Terra Nova, ressort une vision finalement réaliste de ce qu’il pourrait advenir de la France… Un véritable exercice de "non-fiction", pour mobiliser chacun dans la préservation de l’essentiel.

 

Mardi 3 juillet 2012. Il y a cinq ans jour pour jour, François Fillon, alors Premier ministre, présentait son discours de politique générale devant l’Assemblée nationale. Cette année, c’est Nicolas Sarkozy qui a souhaité s’exprimer en personne. Sa réélection, le 6 mai au soir, a été pour lui une divine surprise, alors qu’il avait été menacé jusqu’au soir du premier tour par Marine Le Pen arrivée troisième, 50 000 voix seulement derrière lui. Réélu, regonflé à bloc, il a décidé de profiter du droit que lui accorde la révision constitutionnelle de 2008 pour faire une déclaration devant le Parlement français, réuni en Congrès à Versailles, avant toute prise de parole de son Premier ministre. C’est pourtant celui-ci qui engagera le lendemain sa responsabilité devant l’Assemblée nationale.

Depuis le 6 mai, la notation de la France a de nouveau été dégradée. La réélection de Nicolas Sarkozy inquiète les marchés et nos partenaires européens. Les micro-plans de rigueur et l’incapacité à relancer une politique d’investissement et de croissance, dont il a fait preuve lors de son premier mandat, n’étaient certes pas faits pour les rassurer. Mais les promesses hasardeuses qu’il a égrenées tout au long de la campagne, le climat de tension qu’il a réactivé depuis son élection, l’arrivée de transfuges du FN au gouvernement et l’accord qu’il a passé avec eux portant sur l’expulsion hors des frontières de 400 000 étrangers avant la mi-2013 – en contrepartie, les nouveaux alliés de l’UMP ont cédé sur le maintien dans la zone euro - ont encore accru la méfiance des partenaires de la France. Avec cette dégradation, ce sont 15 milliards d’euros supplémentaires qui sont venus grever le budget de l’Etat, en année pleine, au titre de la dette.

Rejetant la responsabilité de cette nouvelle dégradation sur une campagne qui l’a empêché d’agir en l’accaparant dans des " débats stériles ", il en a appelé à l’ " Union nationale des Français contre les partis ". Il a annoncé, au lendemain de législatives qui lui ont donné une nouvelle majorité, que la gravité inédite de la crise l’obligerait à une politique de " rupture historique " et qu’il annoncerait dans sa déclaration devant le Parlement les mesures d’urgence à mettre en œuvre. Après le Sarkozy décomplexé, mais entravé, du premier mandat, les Français auront droit, pour ce deuxième tour de piste politique, à un Sarkozy jusqu’auboutiste.

Il est 15h00. Beaucoup d’inquiétude entoure cette allocution. Nicolas Sarkozy monte à la tribune.

" La dette, voilà notre ennemi à tous ". Des les premières phrases, la ligne du propos est clairement affirmée. La France, gouvernée pendant 20 ans par les socialistes, aurait été fragilisée durablement par des politiques inconséquentes. Trop longtemps, les gouvernants auraient hésité à agir, par lâcheté ou en raison d’ " oppositions fanatiques ". Des remèdes drastiques doivent être administrés au pays. Ils doivent être l’occasion de repenser la France. Nicolas Sarkozy le martèle : " il en va de la sa survie ".

Pour résorber la dette, c’est d’abord l’Etat qui devra se remettre en cause. Il " abandonner[a] les missions que peuvent assumer les secteurs privés et associatifs " . Education, culture, santé, police, grande pauvreté, transports, politique de la ville, tout passera dans cette nouvelle Réduction Globale des Pouvoirs Publics (RGPP)… Chaque ministère fera la liste des politiques à exclure du périmètre d’intervention de l’Etat, en se focalisant sur les conséquences budgétaires immédiates de chaque transfert. Un Grenelle pour une " Société Nouvelle " sera convoqué dès la mi-août, sous l’autorité du ministre de l’Economie et des Finances et en présence des candidats au rachat des missions, pour organiser la mise en œuvre effective des transferts de compétences avant fin 2012.

Pour accompagner l’entrée de la France dans cette " Société Nouvelle ", la politique de non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux devra être accentuée : c’est au gel des embauches dans la fonction publique qu’il faudra procéder, immédiatement . Dans l’Education nationale, c’est à une réduction d’effectifs de 140 000 postes d’ici 2017 qu’il faudra ainsi parvenir. A minima… car le développement des écoles privées devra réduire massivement le besoin de professeurs dans les établissements publics. Aussi faudra-t-il procéder au changement de statut des fonctionnaires non-régaliens (enseignants, infirmiers, agents des collectivités locales, …) et transformer leur contrat en contrat de droit privé , pour faciliter l’adaptation de la masse salariale publique à l’évolution des besoins. Pour optimiser ce plan d’économies, il sera procédé à une significative " augment[ation] du temps de travail des fonctionnaires, sans rémunération supplémentaire " .

Un grand plan de cession des participations de l’Etat sera engagé . En effet, pour Nicolas Sarkozy, " la France n’a plus les moyens de disposer d’un fond souverain ". Cessions d’entreprises, cessions immobilières aussi, jusqu’aux églises : ce sera " le dernier plan de privatisation de l’Histoire de France, avant son entrée dans un monde nouveau ". Ce sera aussi la fin " sauf pour la recherche, [de] toute aide publique aux entreprises " , que ce soit pour les emplois peu qualifiés, pour la formation, pour les entrepreneurs, pour les territoires en difficulté… Loin des épisodes d’Alstom et de Gandrange, le Président l’indique clairement : le mot " politique industrielle " doit disparaître du vocabulaire français.

Le budget de l’Etat ne sera donc pas le seul à subir des coupes massives : celui de la Sécurité sociale sera également visé. L’Etat-providence est désormais devenu, pour Nicolas Sarkozy, " un système obsolète qui donne sans compter, un luxe que la France ne peut plus s’offrir ". Pour résorber le déficit chronique de l’assurance maladie, il avance trois mesures phares : " réduire les dépenses de santé par la mise en place d’une franchise annuelle significative, à hauteur de 2 % des revenus du ménage " , " engager une réforme de l’assurance maladie […] modulant les cotisations en fonction du risque " , " focaliser les dispositifs publics de couverture maladie sur les affections de longue durée " . Refusant d’ " assister les assistés ", il promet de " réduire l’étendue des services proposés par la CMU " et de " limiter la perception du RSA dans le temps " . Concrètement, c’est sur les plus pauvres, les classes moyennes et les malades qu’il fera des économies. Mais la droite applaudit. Standing ovation, même.

Nicolas Sarkozy reprend son souffle pour être clair : ces efforts ne suffiront pas. " Une vraie déflation généralisée, brutale, […] une déflation à la mesure de nos folies passées " devra être imposée au pays. Sans se soucier des effets qu’elle a pu avoir au Japon, il estime qu’une baisse des prix, comme en Grèce, devra être organisée en France. Après avoir voulu, il y a cinq ans, être le président du pouvoir d’achat, il l’assume : il faudra désormais avoir " le courage de parler de la baisse du niveau de vie " , pour enfin " purger " la faute morale qu’ont commise les Français en vivant au-dessus de leurs moyens.

Pour améliorer la compétitivité de la France, et au prétexte de vouloir prendre en considération la réalité de chaque entreprise, il annonce qu’il mettra fin au SMIC et au temps de travail universels, qu’il faudra désormais " négocier […] par branche ou par entreprise " . Pour l’emploi des jeunes, déclaré grande cause nationale " dans un esprit d’ouverture ", il instituera les " SMIC Jeunes " , adaptés à la réalité du marché - en d’autres termes, inférieurs aux autres SMIC. Pour ajuster la formation aux besoins des entreprises, il abrogera le DIF (Droit individuel à la formation) qu’il remplacera, pour chaque employeur, par " des obligations de formation par catégorie de salariés " , " pour concentrer les efforts de formation sur ceux qui le méritent et qui sont en capacité d’apprendre ". Dans un monde en perpétuelle accélération, il s’engage à " doubler les seuils sociaux des entreprises " , pour ne plus faire perdre de temps aux PME et libérer les énergies, jusque là contraintes par les syndicats. Il faudra désormais " donner plus à ceux qui méritent plus " : parmi les actifs occupant des logements sociaux, les 15 % de chômeurs devront progressivement laisser leur place à " ceux qui travaillent " ; une préférence policière sera instituée, en reconnaissant aux policiers un droit opposable au logement .

L’éducation, dont il sait gré à François Hollande d’avoir mis la thématique au cœur de la campagne, doit être, il le reconnaît, un levier pour redonner à la France ses capacités d’agir. Aussi souhaite-t-il proposer une politique radicalement différente, pour " donner les mêmes droits à tous les enfants de la Nation ". Il " instaur[era] une tarification à l’élève unifiée en France " , qui octroiera une même dotation aux établissements, en fonction du nombre d’élèves qu’ils accueillent. Qu’ils soient publics ou privés, dans des territoires difficiles ou plus favorisés, quel que soit le profil et les besoins de leurs élèves. Il instituera également la sélection à l’entrée de l’université, dès la première année , pour que chaque jeune puisse être orienté " vers ce qui lui convient " et puisse devenir " ce qu’il est vraiment ".

Aussi la France, pour entreprendre ces bouleversements sans perdre son identité, devra-t-elle, il l’assène, réaffirmer quelques repères, réaffirmer ses origines. Pour Nicolas Sarkozy, il faudra désormais se rappeler de ses racines " judéo-chrétiennes " , en les gravant dans la Constitution. Il faudra redonner aux Français la valeur de l’engagement, par une " préparation civile au mariage " , dispensée par les maires aux futurs époux. Il faudra aussi garantir l’autorité de l’Etat et la sécurité des citoyens. Suite à l’intolérable meurtre, en début de semaine, d’un policier dans le cadre d’un contrôle d’identité, il sera procédé à une " réforme de la légitime défense " et à une " libéralis[ation du] contrôle d’identité " .

" Ainsi renforcée, la nation française pourra poursuivre sa mission et continuer à éclairer l’Europe et le monde ". Nicolas Sarkozy conclut. La feuille de route est tracée : liquidation de l’Etat, aventurisme économique et social, intransigeance identitaire. Pourtant, les nouveaux parlementaires de droite sont debout : ils l’ovationnent, unanimes, enthousiastes. Le quinquennat est lancé

 

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Par Romain Prudent, 
Secrétaire général de Terra Nova