Henri Lagarde mesure l'écart de compétitivité avec l'Allemagne dont souffrent les PME françaises.

On ne compte plus, depuis quelque temps, les livres expliquant les raisons du déclin de la compétitivité française, de la dégradation de la balance commerciale et de la disparition des emplois industriels, mais celui-ci procède d’une manière originale. L’auteur, qui  a eu une longue carrière comme chef d’entreprise, a en effet eu l’idée de comparer avec l’aide d’un cabinet fiscal international les comptes de résultats de deux PME, française et allemande, opérant dans le même secteur d’activité   et présentant ainsi des structures de coûts comparables. Les écarts qu’il met à jour sont extrêmement importants, tous en défaveur de la France, et ils ne laissent guère de doute sur la nécessité de prendre des mesures énergiques pour redresser la situation (même si les écarts en question mériteraient d’être confirmés sur d'autres exemples qui permettraient également de se faire une idée de leurs domaines de validité, en terme de secteurs, de taille d'entreprise, etc.).

La faute à la durée du travail et aux cotisations sociales

Pour un même chiffre d’affaires, en ayant reconstruit un compte de résultat pro forma pour l’entreprise allemande, l’auteur peut ainsi comparer le poids des différentes natures de charges. Il choisit d’aligner les salaires bruts moyens annuels malgré un écart constaté de 8% pour l’entreprise française, qu’il juge peu représentatif de la situation des deux pays   . Il retient toutefois une durée du travail en horaires de base à temps plein (ne supportant donc pas de majorations pour heures supplémentaires) plus élevée en Allemagne de 9% et en déduit que l’entreprise allemande économise autant de salaires   .
Il n’est pas certain que ce raisonnement soit à l’abri de toute critique, d’autant que l’auteur avait pris le soin de nous indiquer préalablement que les deux entreprises avaient une productivité comparable, avec le même chiffre d’affaires annuel par salarié, cela à 2,5% près en faveur de l’entreprise française   . Le montant des salaires ainsi calculé a-il été recoupé avec les comptes réels de l’entreprise allemande ? Probablement. Mais ne retrouve-t-on pas alors tout simplement l’écart des salaires moyens signalé ci-dessus en faveur de l’entreprise française ? Et comment faire la part entre les heures et la rémunération horaire ?
Quoi qu’il en soit, l’écart sur le montant des salaires bruts représente ainsi près de 2 points de chiffre d’affaires en faveur de l’entreprise allemande. Cet écart s’accroît considérablement avec la prise en compte des charges patronales, puisque celles-ci se montent à 38,1% des salaires bruts pour l’entreprise française contre 16,6% seulement pour l’entreprise allemande, pour atteindre près de 7 points de chiffre d’affaires.
Les autres achats consistent principalement dans des achats de biens intermédiaires, d’énergie (de gaz) et de sous-traitance. Ils sont également inférieurs de 5% pour l’entreprise allemande, pour des raisons de plus forte concurrence, de distance et, à nouveau, de moindres charges sociales et fiscales (comme nous allons le voir). Et c’est également le cas des investissements industriels et donc des amortissements, qui en constituent la contrepartie au compte de résultat, notamment en raison de la force de l’Allemagne dans le domaine des équipements industriels. Ensemble, ils représentent ainsi à leur tour un écart de 3 points de chiffre d’affaires, toujours en faveur de l’entreprise allemande. A ce stade, celle-ci dégage ainsi un résultat de près de 10 points supérieur à son homologue, ce qui est tout à fait considérable.

La faute à la fiscalité

Les charges fiscales constituent la dernière source d’écart. L’impôt sur les bénéfices des sociétés est nettement plus élevé qu’en Allemagne. En outre, les CFE (cotisation foncière des entreprises) et CVE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises), qui ont remplacé la taxe professionnelle, et les autres taxes diverses sont prélevées, en France, que l’entreprise dégage du résultat ou non, contrairement à leurs équivalents allemands, la taxe collectivités locales et la taxe de solidarité (créée pour financer le coût de la réunification allemande), qui  sont elles proportionnelles au résultat.
Au total, le taux de prélèvement par rapport au résultat avant impôt et toutes autres taxes représente alors 47,5 % pour l’entreprise française contre 26% pour son concurrent allemand, dont 23% et 14% respectivement pour le seul impôt sur les bénéfices des sociétés. Le résultat dégagé à l’étape précédente sera donc beaucoup moins ponctionné en Allemagne qu’en France. Pour rappel, le taux de base de l’IS est en France à 33,3% contre 15% en Allemagne. En France, le taux réduit de 15% est limité aux entreprises qui réalisent moins de 7,6 M€ de chiffre d’affaires et seulement pour la partie de leur résultat qui n’excède pas 38 K€.
La comparaison des prix de revient industriels, explique l’auteur, fait ainsi apparaître un écart de 16% (soit 12 points de chiffre d’affaires), dont l’entreprise allemande pourra alors abattre une partie pour remporter un marché   . Cet écart à lui seul suffit à expliquer le déficit de compétitivité des entreprises françaises, d’autant qu’il a vocation à se cumuler : “L’entreprise allemande, qui accumule en conséquence d’année en année de meilleurs résultats, engrange au fil du temps des réserves financières qui lui permettront de faire face aux à-coups, d’investir davantage en équipements de modernisation et d’amélioration de la qualité, en R&D et en prospection commerciale, de mieux payer ses salariés [même si ce n’est pas exactement ce qu’elle a fait dans la période récente]… et donc de prendre encore une longueur d’avance.”   .

Les écarts concernant les possibilités de chômage technique

L’auteur se livre ensuite à un dernier exercice de comparaison, en montrant comment ces deux entreprises encaisseraient une forte baisse de leur chiffre d’affaires. Outre le jeu des dispositions fiscales ci-dessus et le fait que l’entreprise allemande ne soit imposée que sur son résultat, joue ici l’écart entre les dispositifs de chômage technique entre les deux pays.
Confrontée à une baisse de son chiffre d’affaires de 35%, l’entreprise française mettra 30% de son effectif en chômage technique, à condition d’obtenir les autorisations nécessaires, en bénéficiant d’une baisse de sa masse salariale brute chargée de seulement 4%, alors que l’entreprise allemande réduira son effectif proportionnellement à la baisse de son chiffre d’affaires pour une réduction de sa masse salariale brute chargée d’un montant équivalent (en usant des dispositions mises en œuvre début 2009 pour parer à la crise). Nul besoin de chercher plus loin l’explication de l’incroyable résistance dont ont fait preuve les emplois en Allemagne en 2009.

Les mesures à prendre

On a évidemment un peu de mal à comprendre comment l’ampleur de ces écarts a pu être aussi largement ignorée en France ces dernières années, alors même que les réformes qui y ont conduit étaient parfaitement connues. A moins de se dire que la compétitivité des entreprises avait complètement disparu des radars de nos économistes (sauf, pour quelques-uns, en ce qui concerne la durée du travail, mais qui reste l’aspect le moins convaincant de la démonstration ci-dessus).
Et l’auteur a beau jeu, au regard d’une telle situation, de noter qu’il n’y aurait sans doute pas grand-chose à attendre, tout au moins pour les PME françaises, d’une relance de la consommation allemande   , dont on nous répète sans arrêt qu’elle constituerait la solution à nos problèmes et à ceux de la zone euro.
 Il en tire en ce qui le concerne un certain nombre de propositions fiscales (basées en partie sur ce qui a été fait au Danemark, à partir de 1978, ou, plus récemment, à partir de 1998, en Allemagne), telles que :
- une réforme des taxes destinées aux collectivités locales, pour les asseoir, à recettes égales, sur le résultat courant avant toute taxe ou impôt ;
- une forte diminution du taux d’impôt sur les bénéfices des sociétés, tout au moins pour la partie des résultats non distribués sous forme de dividendes (les intérêts financiers au-delà d’une certaine somme (un moyen de lutter contre les LBO), les dividendes distribués au-delà de 25% du résultat net, le montant des sommes allouées par l’entreprise au rachat d’actions et des sur-rémunérations de certains dirigeants seraient ajoutés à l’assiette de l’impôt) ;
- la suppression de l’essentiel des niches fiscales, régimes spéciaux et niches sociales ;
- la suppression de l’impôt sur la fortune et, en revanche, la création de tranches supplémentaires d’impôt sur le revenu des personnes physiques ;
- l’augmentation d’un point par an de la CSG durant la phase de redressement ;
- une forte baisse des charges sociales patronales supportées par les entreprises ;
- et enfin l’augmentation de la TVA à 22% ou 25%, en restreignant fortement le nombre de produits et services bénéficiant d’un taux réduit (les objectifs de redistribution et de justice sociale peuvent être atteints par d’autres moyens, explique l’auteur).
Il resterait à évaluer si ces différentes mesures peuvent s’équilibrer budgétairement et comment elles devraient être agencées pour raccourcir autant que possible la période de redressement, car il faudra 5 ans, nous dit l’auteur, avant qu’elles ne produisent des effets visibles   . Un livre dont les idées pourraient bien être au cœur de la campagne présidentielle