Auteur d'un ouvrage intitulé La communication n'est pas un jeu,  publié aux éditions l'Harmattan (2011), Ghyslaine Pierrat  conseille depuis une vingtaine d'années dirigeants politiques et PDG du CAC40. "Spin-doctor à la française", G. Pierrat entend redonner ses lettres de noblesse à une profession décriée.

Nonfiction.fr- Cet ouvrage est clairement un plaidoyer en faveur des communicants. Vous recourez, d'ailleurs, à un registre que l'on n'associerait pas forcément au monde de la communication: éthique, sincérité, vérité…  Existe-t-il une différence de nature entre la communication et la manipulation ?

Ghyslaine Pierrat- L'histoire nous invite à la modestie, elle a défini les contours du métier de « spin-doctor à la française ». Aujourd'hui, il existe un code de déontologie non-écrit. La propagande dans les années 1939-40 a conduit à l'horreur et à l'insoutenable. Ce sont des fondamentaux que nous gardons présent à l'esprit. Je ne suis pas une propagandiste. Je pense que nous sommes investis d'une réelle "responsabilité sociale" dans nos activités. Et, c’est pour cette raison, que nous devons toujours rechercher la « vérité d’une situation ». Permettez-moi de vous préciser que je ne défends pas une corporation mais des enjeux et une discipline que je sais être décisive. Ce n’est pas du tout la même démarche. Et pour répondre à votre question, oui, il existe une grande différence entre manipulation et communication. La communication doit épouser l’éthique et le maximum d’authenticité. Elle est condamnée si elle flirte avec la manipulation intellectuelle.

Nonfiction.fr- Comment être authentique quand on est communicant ?

Ghyslaine Pierrat : Tous les « spin-doctors à la française » jouent un rôle de conseil stratégique essentiel. Le « spin-doctor à la française » doit posséder une autorité intellectuelle, morale et professionnelle forte. Je soutiens qu’en 2012, le mensonge est risqué, très risqué. Avec les nouvelles technologies, tout devient simultané, transparent. Tout finit par se savoir. Je mets toujours en garde et alerte sur ces dangers. De surcroît, l’opinion publique a acquis une vraie maturité informationnelle et elle sait décoder. Tous ces éléments montrent combien nous avons changé d’époque. Le « spin-doctor à la française » est, par définition, inscrit dans la modernité tout en faisant montre d'une grande prudence.

Nonfiction.fr- Mais concrètement, si une entreprise comme Total, par exemple, vous appelle et vous interroge sur sa communication dans le cas de figure suivant : Total fait des profits records et licencie à tout va, quel est votre rôle, votre discours auprès du PDG ?

Ghyslaine Pierrat- Votre question est pertinente et d'une actualité assez récente parce que chacun se souvient des salariés en révolte et des pneus brulés, devant le siège social à la Défense. D’une part, Total est un fleuron de l'économie française et d’autre part, cette entreprise est sujette, par définition aussi, aux communications de crise. Elle peut enflammer le tissu social, créer une contagion à d’autres secteurs. Une mauvaise décision peut avoir un impact considérable. En tant que spin-doctor, mon rôle serait d'analyser, décrypter, comprendre la situation et de poser un diagnostic qui me permet d'identifier les actions à entreprendre. La communication est un métier, un vrai métier. Je n'ai pas de doute qu'aujourd'hui, le président de Total, Christophe de Margerie, a compris la dimension de responsabilité sociale que doit intégrer 'un patron du CAC40. Dans un contexte où la gouvernance est globalisée et la communication omniprésente, démultipliée par le Net, cette prise de conscience est capitale. Le spin-doctor est devenu un co-partenaire. Si le cas se présentait, je serais en contact direct et permanent avec le Président de ce groupe pour contribuer à la sortie de crise. Je devrais pouvoir évoquer, avec ce Président, en confiance totale et absolue, avec pédagogie et fermeté les questions de fonds, l'éthique, la responsabilité sociale, les conséquences sur le long terme.

Nonfiction.fr- Pouvez-vous ciseler les différences des rôles entre vous le spin-doctor et celui du directeur communication ?

Ghyslaine Pierrat- Le spin-doctor est régulièrement appelé pour gérer les communications de crise ou les problématiques d’image d’un Président, d’un groupe, d’enjeux. Le directeur de communication est chargé de communiquer, au quotidien, sur l'entreprise et ses enjeux, sur les résultats, etc... Nous sommes des urgentistes de la communication et nous intervenons souvent quand il y a un blocage. Ceci étant, nous avons vocation à travailler avec les Présidents de groupes comme leur directeur de la communication. D’ailleurs celui-ci peut aussi nous appeler pour évoquer une question délicate, qui pose un problème dans la gouvernance de leur Président. Je suis toujours dans une démarche d’harmonie avec le « Dircom », nous avons intérêt, tous deux de travailler en confiance et dans le respect.

Nonfiction.fr- En 2012, la profession de spin-doctor est-elle vraiment si répandue au-delà des dirigeants du CAC40 ou du monde politique ?

Ghyslaine Pierrat- Le spin-doctoring a finalement toujours existé dans le monde politique. Il y a toujours eu des femmes et des hommes de l’ombre. Mais la fonction s’est institutionnalisée à tous les secteurs. Les grands dirigeants du CAC40 et des PME ont commencé à l’adopter dans les années 80. En 2012, y a de plus en plus de dirigeants de PME qui embauchent un spin-doctor ou qui font appel à lui, ponctuellement. Ils ont compris l'importance de l'image. L'image est un patrimoine et un capital. L’'image a le pouvoir de cristalliser la confiance. Et la confiance se retrouve dans le cours de la bourse.

Nonfiction.fr- Pour être un bon politique aujourd'hui, il faut donc forcément un bon spin-doctor ?

Ghyslaine Pierrat: Précisément, en politique il est entendu que la communication améliore le score entre 1 et 5 % … Et je crois que les femmes et les hommes politiques ont intérêt à réfléchir à deux fois sur le choix de leur futur spin-doctor. Ce choix est fondamental. Le spin-doctor est un bodygard communicationnel et il doit être un vrai professionnel. Oui, je crois que plus aucun politique ne peut tenter l’aventure d’une vie publique, d’un mandat politique, sans avoir un vrai spin doctor à ses côtés !

Nonfiction.fr- Quelles sont les qualités d'un bon spin-doctor ?

Ghyslaine Pierrat- Le « spin-doctor à la française » a la personnalité de la fonction. Il doit avoir une maturité et une expérience assez transversale. Il faut posséder une bonne culture générale et une grande curiosité. De plus, si la disponibilité est essentielle, nous sommes en alerte 24 h sur 24, le talent d'un spin-doctor se mesure au courage de dire la vérité d'une situation à la personne qu'il conseille. Il dérange forcément. Il doit être dans la dimension du sens et comprendre et travailler aussi sur les orientations, le contenu. Je ne suis jamais dans le jugement de valeur mais dans la compréhension des situations. A partir de là, la fonction change de grandeur.

Nonfiction.fr- Certains spin-doctors ne semblent pas partager votre vision du métier. On a vu une Ségolène Royal mal conseillée par son entourage. Autre exemple, l'affaire DSK qui a mis en scène, Ramzy Khiroun, "l'homme à la Porsche"…

Ghyslaine Pierrat-  Dans mon ouvrage, je défends l'importance de la communication quelque soit la gouvernance: financière, économique, politique ou sociale. Je pense que le conseiller que vous citez, a du se mordre les doigts d’être allé chercher un candidat et, en plus de gauche, avec ce véhicule. C’est une boulette. Je ne connais pas sa vision du métier. Je ne porte pas de jugement de valeurs sur mes confrères. Chacun a sa vision du métier et nous nous connaissons tous. La tendance est celle que je décris. Libre à d’autres d’adopter d’autres profils.

Nonfiction.fr- Les candidats à la présidentielle ont-ils déjà fait des erreurs de communication ?

Ghyslaine Pierrat- A droite comme à gauche on relève des erreurs. L'idée d'un référendum sur l’indemnité des chômeurs en est une. Je ne trouve pas que cette idée de référendum soit prioritaire et souhaitable. Elle est maladroite. Les propos de Claude Guéant sur les civilisations, en est une autre et, en plus, avec une faute de vocabulaire. L’affiche de campagne choisie par Nicolas Sarkozy ne me semble pas non plus une réussite. Le parallèle avec Valéry Giscard d'Estaing a été immédiat dans les médias. De même, à gauche, prétendre que l’ « on » va « rassurer » les financiers de la City, et qu’ils en avaient besoin est absolument ridicule en soi. D’une part, ne sous estimons pas les financiers de la City ! Et d’autre part, faut-il s’étendre sur la financiarisation de l’économie ? … Ces erreurs conditionnent les discours, la stratégie et l’action puisque tout est lié.

Nonfiction.fr-  Auriez-vous des modèles ?

Ghyslaine Pierrat- J’en ai un. Il se reconnaîtra.

* Propos recueillis par Estelle Poidevin.