Brillant et profond exercice de phénoménologie, cet ouvrage expose la condition de donation de tout étant : l’étant nous est toujours donné d’une certaine façon, selon un certain mode d’être. Mais il court toujours le risque de finir par nous apparaître d’une autre façon, selon un autre mode d’être, qui lui serait moins propre. Après avoir montré pour différents étants et différents modes d’être les dangers inhérents à leur donation, Jean-Yves Lacoste ébauche l’hypothèse d’un mode d’être dans lequel nous arriverions peut-être à nous mettre à l’abri du danger.

La réflexion de Lacoste part des deux analyses de ce que nous sommes dues à Heidegger, celle d’Être et Temps et celle des écrits plus tardifs, ainsi que du constat que ces dernières se contredisent. La première étudie le Dasein et son rapport à l’angoisse comme expérience fondamentale ainsi qu’au souci, à l’outil et au reste de l’être-au-monde ; la seconde privilégie le "mortel" dans le cadre du quadriparti. A partir de ces analyses heideggériennes, l’auteur décrit phénoménologiquement des phénomènes qui entrent en contradiction avec le mode d’être du Dasein et montrent ainsi les limites de la pensée heideggérienne. Ces phénomènes comme l’innocence, la paix ou la joie d’être sont tels qu’ils dépassent le mode d’être du Dasein, l’existence, vers un nouveau mode d’être que Lacoste appelle la vie. Cette compréhension de la vie comme mode d’être au-delà de l’existence ouvre la possibilité d’une nouvelle façon de comprendre l’être, eschatologique, dans laquelle l’être peut être pensé hors de danger.

La première étude met en évidence qu’il faut s’interroger sur les modes d’être sous lesquels se donnent les étants pour pouvoir penser l’être. Maintenant la différence ontologique, l’auteur s’applique à montrer que tous les étants ne se donnent pas authentiquement sous le même mode d’être. A partir de là peut être pensée l’idée d’un danger dans l’être, danger de ne pas considérer l’étant sous le bon mode d’être, de ne pas considérer chaque étant   comme il doit être. En effet, s’interroger sur l’être requiert nécessairement qu’on s’interroge sur les étants dont chacun a une sorte de propriété ontophanique. Il y a plusieurs modes d’être irréductibles les uns aux autres et tout questionnement sur l’être doit passer par une prise en compte et en considération de ces modes d’être   . Les modes d’être différents révèlent chacun d’une certaine façon l’être (ainsi l’œuvre d’art accomplit-elle pour Heidegger un rôle particulier de monstration de l’être). Parce que seul l’homme s’interroge sur l’être et en possède une précompréhension, il faut partir d’un étant particulier qui conditionne l’accès à l’être : le Dasein dont le mode d’être est l’existence et – plus tard, toujours chez Heidegger – le "mortel". Dès lors, tout étant – ou toute apparition ou tout phénomène – se présente à une conscience et c’est à une certaine forme de conscience que les étants se donnent selon différents modes d’être.

Dans la seconde étude, l’auteur examine l’objectivité des étants, c’est-à-dire leur constitution et leur réduction comme objet. La question fondamentale qui succède à ce qui a été acquis dans la première étude est : "le phénomène […] a-t-il les moyens de nous dicter l’accueil que nous lui réservons ?"   . Sa réponse est évidemment négative puisque nous sentons bien que nous n’avons pas simplement la possibilité de percevoir les choses comme elles devraient être perçues ou de ne pas les percevoir. Il arrive que nous nous représentions des étants sans les sentir, sans qu’ils agissent sur nous, sans qu’ils attirent sur eux notre attention, sans qu’ils manifestent en nous une affection, et de telle façon qu’ils soient ainsi simplement perçus. Ce mode d’être dans lequel des étants ne sous apparaît que leur représentabilité, c’est ce que Lacoste définit comme le mode d’être de l’objet : "et si l’on veut alors donner un nom à ce que nous percevons hors de toute affection, de quelque manière que l’affection se trouve mise entre parenthèses, il faudra désormais, en un sens rigoureux, parler d’objet."   Nous pouvons donc choisir de se laisser affecter par une œuvre d’art, et la laisser apparaître sous un mode d’être qui lui est spécifique, irréductible à son objectité, ou bien percevoir l‘œuvre d’art sans la sentir et la réduire à son objectité. La possibilité d’être saisie de façon inadéquate est le danger que court la chose réduite et constituée comme objet.

A cette étude de l’objectivité comme un mode d’être possible de l’étant, Lacoste passe dans sa troisième étude à une réflexion profonde et minutieuse sur le mode d’être de la chose, à partir d’une lecture de la conférence de Heidegger sur la chose, dont il reprend l’idée générale que la chose, loin d’être cet abondant n’importe quoi, ce vague quelque chose qui serait le dénominateur commun, voire la dénomination la plus commune des étants, est rare. Elle est rare parce que la chose possède chez Heidegger une signification précise. La chose est d’après une lecture de son étymologie ce qui est "service de rassemblement" : "le pont est une chose parce qu’il unit les deux rives d’un torrent. Il n’y a donc des choses que là où il y a des hommes (…). La chose unit, et n’unit que ceux – les mortels chez Heidegger – auxquels elle permet d’être ensemble ou d’être les uns avec les autres, actuellement ou potentiellement. Et en accomplissant ce service, la chose fait plus : c’est à une totalité des mortels, des divins (…), du ciel et de la terre qu’elle permet de se manifester comme unité harmonieuse."   La chose alors a pour caractéristique de ne pas s’en tenir à l’"afin que". La chose révèle, manifeste en totalisant, et à ce titre, elle est irréductible à l’utilité. La chose, pour être chose, pour se manifester pleinement et véritablement comme chose, s’oppose à un usage utilitaire   . Parce que rares sont les choses qui ne sont pas pour l’homme des instruments, rares sont les étants qui se manifestent comme choses. Aussi pour penser la chose comme chose doit-on quitter le monde de l’être-au-monde   , sortir de la première philosophie phénoménologique, centrée sur le Dasein, de Heidegger pour suivre sa réflexion postérieure à la Kehre. C’est seulement une fois qu’on la laisse se manifester comme chose qu’on comprend que la chose est chargée d’une puissance symbolique, dense et forte, que ne possèdent pas les objets du monde, réductibles pour ainsi dire à leur instrumentalité : "ce faisant, ce ne sera pas des étants en provenance du monde de la vie que nous percevrons, mais des étants plus riches de sens, des étants capables de nous manifester plus que ne nous donne le monde"   Cette apparition de la chose est inaccessible pour le Dasein dans le monde. Elle ne se manifeste pas à lui. Le danger est alors clair : nous courons le risque, philosophiquement comme existentiellement d’appréhender des outils là où sont des choses, là où des choses pourraient se manifester comme telles si nous arrivions à y être attentifs.   A partir de là, l’auteur montre le dépassement de la chose vers le sacrement, en montrant que sortant de l’art comme du sacré, l’eucharistie est ce qui montre que les choses (le pain, le vin) ne sont que des choses. Par elle, les hommes sont moins des mortels que des vivants, par l’acte qui annule les prétentions de la mort même. Alors la perception est dépassée vers de l’imperceptible, car on ne perçoit rien de différent entre le vin de table et celui qui est reçu à l’autel. Tout se joue au niveau non plus du percevoir, mais du sentir. Et par le sentir je peux sentir dans le vin consacré le don de Dieu aux hommes. C’est par le sentir que la réalité liturgique peut faire sens pour moi, et non dans la perception purement neutre et sensible, voire sensitive.   . Ainsi, pour qu’il y ait mise en présence de la chose, il faut un lien à l’ordre de la perception. Concernant l’inapparent (qui peut prendre la forme d’une réalité sacramentelle), la perception est incapable de conduire à une saisie authentique.

Dans la quatrième étude, J.-Y. Lacoste définit l’existence comme le mode d’être propre à l’homme et à lui seul. L’existence se distingue alors de la subjectivité comme de la subjectité, si l’on suit la terminologie précise de l’auteur. La subjectivité "lie conscience connaissante et conscience affective."   A la subjectivité ne se manifestent que des objets, c’est-à-dire des étants conçus et donnés sur le mode de l’objectité. Si une vie était constamment capable d’avoir un rapport d’affection et de connaissance à tous les étants qui lui étaient proposés, on pourrait identifier existence et subjectivité. Or, il est évident que je ne suis sujet que dans certains moments envers certains étants et non pas constamment ni à l’égard de tout ce qui se présente à moi   . Parce que non seulement le mode du sujet n’est pas constant, mais qu’en plus il ne rend pas compte de la totalité de l’existence vécue (dans laquelle les expériences à la mesure du sujet sont débordées par la complexité et l’intensité de la vie de celui-ci), on peut dire avec J.-Y. Lacoste : "qui dit existence, dit critique vécue de la subjectité."   L’existence court le danger d’être réduite à la vie   , à l’animalité, de manière analogue à l’objet qui peut être réduit à sa seule objectité. Je suis certes vivant, comme un animal, mais je suis également existant dans un sens particulier et propre à l’homme, c’est-à-dire que j’entretiens à un rapport spécifique au monde. Il existe des phénomènes par lesquels nous sommes totalement existants (chez Heidegger dans Être et Temps, par exemple, être-dans-le-monde comme être projeté, ou celui du souci comme "essence" de l’existence), comme il existe des phénomènes où ne sommes pas vraiment existants (le sommeil, par exemple, ou ceux dans lesquels le souci serait absent). Néanmoins, il est inimaginable de concevoir un mode d’existence d’où tout souci serait absent, et plus généralement d’où tout élément "existential", c’est-à-dire structurant notre être pour Heidegger, serait absent. Au détour d’une réflexion sur la difficulté de parler de la mort comme d’une expérience et de voir comment on peut essayer de penser ce qui ferait la totalité ou la plénitude de l’existence, l’auteur en vient à trouver dans l’angoisse, chez Heidegger, une expérience telle qu’elle semble pouvoir nous donner ou nous faire accéder à une forme de préexpérience de la mort, et telle qu’ainsi nul existential ne nous ferait défaut après elle   . Dans l’optique de textes plus tardifs de Heidegger, l’existant cède la place au mortel. Le terme désigne un rapport de maîtrise face à la mort, plus qu’une condamnation à l’égard de laquelle l’homme serait plongé dans une passivité inerte. Contrairement à Être et temps, qui propose une idée de la totalité de l’existence à travers l’angoisse comme expérience de la mort sur le mode de l’anticipation, ces textes tardifs   "proposent également une expérience maîtresse, mais dans laquelle la totalité est donnée sur le mode de la présence."   La "sérénité" peut, d’après, l’auteur être cette affection fondamentale pour le mortel, comme l’angoisse l’était pour l’existant, le Dasein. Dans la sérénité du mortel, comme dans la résolution face à la mort, cette dernière est appropriée par l’homme. Et une telle maîtrise et appropriation permet d’envisager la totalité de son être. Approfondissons ces analyses, l’auteur en vient à repenser l’existence. Il la présente alors comme ce qui échappe à toute tentative de définition définitive, dans la mesure où on ne peut que la décrire, et que cette description ne peut que résulter de l’assemblage, jamais complètement adéquat, de deux descriptions : celle du Dasein dans le monde et celle du mortel auprès des choses. Angoisse et sérénité nous donnent toutes deux l’accès à cette totalité qui semble alors fluctuer entre les deux modes d’appréhension   . Et si on avance encore dans l’analyse, critiquant avec rigueur l’angoisse comme la sérénité, on se rend compte que finalement, l’existence se donne toujours sur un mode fragmentaire, dans la mesure où nous ne pouvons jamais dire que nous vivons l’existence en totalité : "nous ne pouvons qu’anticiper ou mimer une eschatologie réalisée (le rapport serein avec soi-même)". En effet, notre rapport serein avec nous-mêmes n’est jamais définitif avec certitude, il peut toujours être, comme le dit l’auteur, "déconstitué". L’angoisse et le monde peuvent venir chasser ma sérénité de mortel auprès des choses si je suis rattrapé par le souci, tout comme ma résolution face à la mort peut m’échapper si je perds le rapport au monde quand je perçois et sens la proximité des choses. Une telle fluctuation entre être-dans-le-monde et appartenance au Quadriparti, entre appel du « monde » et appel de la "Terre", une telle oscillation entre ce qui nous affecte comme Dasein et ce qui nous affecte comme mortel, invite à penser une relation dialectique entre le "monde" et la "Terre."   Considérer une cruche non plus comme un instrument mais comme une chose, c’est déconstituer le monde pour faire advenir le Quadriparti, l’inverse, c’est déconstituer le Quadriparti pour revenir au monde. On change de perspective, on change de pôle pour exister. L’homme existe alors aussi bien sur Terre que dans le monde, mais il existe de façon différente dans ces deux façons.

C’est à partir de cela que Lacoste va engager ce qu’il appelle une "critique de l’existence" dont la cinquième étude expose les premiers éléments. L’analyse porte d’abord sur la facticité, qui permet de justifier que l’existence nous soit donnée dans une multiplicité de faits parfois contradictoires. De plus, il remarque de tenir le langage du phénomène exige qu’en tant que phénomène nous soient montrées certaines choses, et qu’en même temps d’autres nous soient dissimulées – ce qui, à nouveau, interdit de penser une existence pleinement accomplie, entière et complète : "accepter qu’il n’y ait pas de manifestation qui ne s’accompagne d’une dissimulation est totalement nécessaire."   L’auteur réfléchit ensuite de façon non théologique à ce qu’il appelle "l’être-en-paix" ou la "Paix", pensée comme expérience possible, et non comme mode d’être véritable. Cette Paix se vit au présent, mais dans un présent authentique, c’est-à-dire non pas un présent dans lequel on fuit la pensée du futur, mais un présent dans lequel on se trouve en paix, "comme un instant heureux toujours renouvelé, ou comme une durée que nous trouble jamais un souvenir malheureux ou un avenir apeurant."   Cette méditation profonde et très riche, par laquelle il prend au sérieux la possibilité d’une telle expérience proche de la totalisation de l’existence puisque cela engloberait passé, présent, futur – mort comprise, lui permet de comprendre qu’on peut penser ensemble des expériences contradictoires sans que cela occasionne nécessairement une tension : celui qui est en Paix tout en se souvenant de souvenirs malheureux rester en Paix.

A cela s’oppose ce que l’auteur appelle des "phénomènes contre-existentiaux". Ces derniers ne disent rien sur l’être en tant que différent de l’étant, ils dissimulent ou contredisent, directement ou non, les analyses heideggériennes de certains existentiaux (l’innocence s’oppose à l’être-en-dette, comme la joie non-intentionnelle à l’angoisse), et relativisent ainsi la portée de la mort. A titre d’exemples sont développées deux descriptions phénoménologiques d’une grande finesse et d’une grande rigueur sur la joie et l’innocence. J.-Y. Lacoste en conclut que "le fait d’exister peut se lire doublement, à l’ombre de la mort et à partir de phénomènes qui dissipent cette ombre."   , et, consécutivement, ils montrent que l’homme risque d’être réduit aux mesures et aux caractéristiques du Dasein, ce qui serait un danger dans la réflexion sur l’existence.

C’est avec une réflexion sur une dimension absolument fondamentale de l’existence, l’affection que l’auteur poursuit son analyse dans la sixième étude en notant l’hypothèse que "l’affection à sa racine [serait] indifféremment existentiale ou contre existentiale. Que l’affection puisse jouer son rôle sans qu’aucune tonalité affective ait les moyens de se donner le statut d’affection fondamentale nous permet de le demander"((p.220). En effet, on ne peut pas justifier que l’angoisse soit l’affection fondamentale qui donnerait le bon accès à notre être, comme on l’a vu auparavant, notamment parce que la « sérénité », à sa façon, ou les contre-existentiaux pourraient peut-être revendiquer un tel statut. Cette analyse, acceptant en les relativisant les analyses de conscience non-intentionnelles, montre l’impossibilité d’avoir un accès absolument valable à nous-mêmes. Tout accès à soi, toute tentative de se saisir en totalité, est empêchée, parce que toutes les affections par lesquelles nous nous sentons sont lacunaires. Aucune n’a la possibilité – pas même l’angoisse, on l’a vu – de nous livrer un passage nous menant de notre se-trouver-et-se-sentir à un moi saisi dans sa totalité((p.221 : "et si l’auto-affirmation de soi advient comme se-trouver et se-sentir ou se-trouver-et-sentir, alors affection et connaissance, et leur intentionnalité, suffisent à dire comment nous faisons la toujours partielle découverte de nous-mêmes.")). On en déduit l’impossibilité de se saisir à notre commencement et à notre fin, contraint de ne se connaître chaque fois qu’ici et maintenant, sans pouvoir convoquer d’expérience fondamentale qui nous ferait accéder à un moi saisi dans son intégralité : "je me suis toujours déjà trouvé, je n’ai toutefois trouvé que des fragments de moi-même, je sais certainement que je ne ferai jamais d’expérience absolue de moi-même (…) Nous sommes partiellement livrés au hasard de nos humeurs comme à autant de révélateurs de notre rapport au monde."   Si la constitution de l’homme, telle qu’on peut la déduire de la pensée heideggérienne pose l’homme comme extase, comme toujours tiré vers le futur et hors de soi pour s’ouvrir au monde, selon plusieurs modalités (le souci, par exemple, ou la résolution), l’être-en-paix permet de penser un rapport de l’homme de lui à son intériorité (sans être évidemment réductible à une illusoire introspection), que l’auteur appelle enstase   . La Paix nous oriente à la fois vers le présent et le futur. Par le phénomène de la fatigue, magnifiquement et puissamment décrit, posant un rapport spécifique au corps et à la solitude, illustre avec pertinence l’idée d’un mode d’être de la conscience dans lequel on est davantage tourné vers soi, vers notre intériorité, que vers le monde ou les autres. Les descriptions minutieuses de la veille et du repos corroborent la possibilité de penser ces états essentiellement enstatiques. Ces expériences mettent en évidence un primat du présent (pp.252-253 : "l’amenuisement extrême de toute futurité") qui relativise radicalement le pouvoir-être qui définit l’existant chez Heidegger   . Ces expériences conduisent à penser que l’existence est dérivée d’un mode d’être plus fondamental, premier, qui serait celui de la vie : dans les phénomènes vécus comme dans tous les phénomènes, "l’enstase n’interdit pas l’extase […]. Il reste que la vie, entendue comme rythme primordial de l’affection, est bien présence minimale et donc "fondamentale" d’un soi. Moi "minimal", disons-nous. Pour prendre connaissance de nous-mêmes, avons-nous besoin d’une précompréhension de l’être ou de nous appréhender en totalité ? On nous permettra d’en douter. Le moment viendra, toujours, où nous prendrons conscience de notre "futurité" et de tout ce qui la révèle ou l’accompagne."   . Et de cette confusion entre expériences vécues, et expériences existées, c’est-à-dire entre affections enstatiques et extatiques, naît le danger pour la vie d’être réduite à l’existence. Autrement dit, d’être reconduite toujours à ce cas particulier d’elle-même qu’est l’existence. Cette confusion est moins dans les mots que dans les expériences mêmes qui ne se donnent que rarement purement enstatiques ou extatiques. Ce qui est clair en revanche, c’est que l’affection prime la connaissance, et que c’est à partir de cette conception de la vie   (une vie strictement irréductible à l’organique, au biologique, car elle inclut l’aptitude à sentir et à se sentir) que peuvent se former des manières d’exister.

Dans la septième étude, l’auteur met en évidence le rapport entre affection et désir dont l’expérience est immémoriale et qui se trouve entre enstase (si l’on se tourne vers le présent du manque) et extase (dans la mesure où nous sommes projetés vers l’avant, vers l’objet du désir). La paix, dont il a déjà souvent été question, a ceci de particulier qu’elle se caractérise par l’absence de trouble, de manque. Rien des trois formes de la temporalité (présent, passé, futur) ne vient troubler la paix. Si la paix semble pouvoir satisfaire tous les désirs, il en reste un qui peut menacer sa quiétude : le désir de l’Absolu. Or si l’Absolu n’est pas possédable – par définition –, "la non-possession n’interdit pas la jouissance."   L’exemple de la prière dans laquelle nous ne jouissons pas de l’absolu, mais qui rend possible de trouver la paix illustre cette remarque. L’expérience sacramentelle permet de jouir du présent sans être inquiété par la démesure de ce désir de l’Absolu, à ceci près que cette expérience sacramentelle risque constamment d’être vécue sur un mode inadéquat (par exemple si on est distrait pendant cette expérience, ou que l’on confond ce qui nous est donné par elle avec la donation en elle-même)   . Cette expérience a le caractère de l’instant au sens de Kierkegaard, au sens où "l’instant n’a pas de réalité historiale : "les vérités historiques contingentes" sont bien là, mais c’est l’horizon d’une béatitude éternelle pour qui croit."   .

La huitième et dernière étude clôt l’analyse de Lacoste. Elle récapitule les différents dangers mis en évidence dans les études précédentes, et montre que ce qui fait que ce qui nous apparaît est toujours en danger de ne pas être saisie sous le mode d’être qui lui est le plus propre, c’est que cette apparition nous est toujours donnée. Dès lors "le danger est inscrit dans la logique du don. "Donation", "être en danger", les deux doivent être tenus comme indissociables."   Pourquoi ? Parce que le danger est que nous satisfassions du "donné comme donné, sans le référer à la donation."   Mais si l’être est en danger parce que le futur est tel que l’évènement et l’inquiétude sont toujours possibles, il reste pertinent d’envisager la possibilité du tout Autre, du nouveau, d’une eschatologie cohérente. Comme l’écrit l’auteur concluant son ouvrage, "de la loi que l’"il y aura" fait peser sur l’"il y a", nous avons également l’expérience. D’un "je suis" ou d’un "c’est", qui nous permet de former le concept d’un au-delà de tout danger, l’expérience également ne nous manque pas."