* Nonfiction.fr publie chaque mois un article du Japon à l'envers, un blog consacré aux aspects méconnus de la société, de la vie politique et de la culture populaire de l'archipel japonais.

 

Samedi 11 février, pour commémorer les 11 mois du début de la catastrophe de Fukushima, ce sont plus de 10 000 personnes qui se sont rassemblées près du parc Yoyogi à Tôkyô. Après un concert du groupe punk the JUMPS, quelques personnalités opposées au nucléaire civil comme Ôe Kenzaburô se sont exprimées. L'écrivain qui lutte depuis longtemps contre les armes nucléaires et pour la mémoire d'Hiroshima - on lira ou relira avec profit ses Notes de Hiroshima publiées chez Gallimard - est aujourd'hui devenu l'une des figures de ce mouvement antinucléaire renaissant.

Les antinucléaires se sont ensuite séparés en deux manifestations distinctes, car "il y a trop de monde" d'après un manifestant. Etaient présents plusieurs dizaines d'ONG et associations antinucléaires mais aussi différents syndicats, certains venant des préfectures touchées par le tsunami et l'accident nucléaire - Fukushima, Ibaraki. Parmi les différents groupes antinucléaires, certains proposent des modes d'actions innovants.

Ne plus payer l'électricité

C'est le cas de "Ne payons plus Tepco !" (Tôden Fubarai, 東電不払い) qui propose ni plus ni moins d'arrêter de payer les factures d'électricité à la compagnie d'électricité de Tôkyô (Tepco). Si cette idée ressemble aux différentes actions d'autoréductions en Europe - refus de payer les transports, réquisitions dans les supermarchés, etc - elle vise ici à refuser de payer pour une électricité produite à partir de centrales nucléaires. Ces militants dénoncent aussi les tarifs pratiqués par Tepco. "Les ménages sont la poule aux oeufs d'or de Tepco" écrivent-ils dans un tract distribué samedi. "Alors que le kilowatt est facturé 20,8 yen aux particuliers, il est de 13,7 yen pour les entreprises. Résultat : alors que les particuliers ne représentent que 40% des ventes, ils représentent 90% des bénéfices de Tepco !". Conscient du risque de voir son électricité coupée par de telles pratiques, ce groupe encourage à accumuler les retards de paiements comme autre stratégie d'action.

Absence de débouchés politiques ?

On le voit, les antinucléaires essayent de s'organiser par eux-mêmes. Car force est de constater que les débouchés politiques à cette lutte contre le nucléaire n'existent pratiquement pas au Japon. Samedi, seuls le Parti social-démocrate (Shamintô, 社民党) et le Nouveau parti socialiste (Shinshakaitô, 新社会党) étaient présents dans le cortège. Ce sont aujourd'hui les deux seuls (petits) partis à afficher sans ambiguïté leur volonté de sortir du nucléaire, mais ils ne sont pratiquement pas présents au parlement. Ainsi en dépit d'une opinion publique opposée en très grand nombre à l'énergie nucléaire, il n'y a aucun débouchés politiques possible pour cette idée. A moins qu'un référendum ne soit organisé.

C'est l'un des espoirs récents chez les militants antinucléaires. Une pétition demandant l'organisation d'un référendum dans la préfecture de Tôkyô  aurait rassemblé plus de 250 000 signatures en à peine deux mois d'après l'association "Décidons ensemble, pour un référendum national pour l'énergie nucléaire". Si ce chiffre s'avère vrai, il dépasse donc le seuil légal des 214 000 signatures à partir duquel le gouverneur de Tôkyô est dans l'obligation d'organiser un référendum. L'ensemble des personnes de plus de 16 ans résidants à Tôkyô - étrangers y compris - pourrait donc avoir le droit de s'exprimer dans les prochains mois sur la poursuite de l'exploitation des centrales nucléaires par Tepco.

Mathieu Gaulène