“Atlas des énergies mondiales”, c’est un vaste programme pour un si petit ouvrage. Particulièrement dense grâce à une maquette bien agencée, il donne, en moins de cent pages, des clefs de compréhension du sujet énergie.
Le premier chapitre fait office de remise à niveau en reprenant les notions de base du sujet. Il aborde les définitions essentielles comme celle de l’énergie, mais aussi les différences entre énergie “primaire”, “secondaire”, “finale”, et “utile”. Ces distinctions sont fondamentales pour éviter toute confusion (volontaire ou non) sur les chiffres. On se souvient par exemple du débat sur le nucléaire durant la présidentielle de 2007, où chacun avançait des pourcentages de production d’électricité à tort et à travers, et surtout sans commune mesure, pour conforter son point de vue .
Révisions des notions de base
Ce chapitre présente également des éléments techniques sur les énergies renouvelables ou le transport de l’énergie. Ce dernier n’est pas à négliger : l’approvisionnement est un réel enjeu géostratégique et le deviendra d’autant plus avec la raréfaction des ressources fossiles. Les cartes sont particulièrement éloquentes. Celle du réseau électrique français illustre par exemple le manque d’infrastructures en Bretagne, et explique le vif débat autour de la construction de nouvelles centrales à gaz. C’est surtout la carte des réseaux de gaz en Europe qui retient l’attention. Le monopole des exportations russes est bien représenté, notamment avec le projet “Nord Stream “. On aperçoit aussi la tentative des européens de s’en affranchir avec le projet “Nabucco” acheminant des gaz d’Asie Centrale.
Ces éléments démontrent surtout que chaque pays doit composer son propre mix énergétique, c’est à dire une combinaison de différentes sources d’énergie la plus efficace en fonction de ses caractéristiques géographiques, physiques et politiques.
Dernière mise au point intéressante lorsqu’on aborde le sujet énergétique (et surtout de réduction de la consommation) : les concepts d’”ACV” (ˮAnalyse du Cycle de Vie”) et d’”énergie grise”. Cette dernière est trop souvent oubliée quand il s’agit de faire le bilan carbone des nouvelles technologies. Les auteurs donnent l’exemple des voitures actuelles : si elles consomment beaucoup moins de carburant (et émettent moins de Gaz à Effet de Serre -GES-) que leurs ancêtres, leur mise au point (conception, fabrication) fait exploser leur empreinte écologique.
Le second chapitre fait un point sur les principales sources d’énergie existantes : les ressources fossiles - ou “de stock”- conventionnelles ou non (pétrole, gaz, charbon), les sources renouvelables -ou “de flux”-, et le nucléaire. Pour chacune, il présente les avantages de leur exploitation et les problèmes posés.
Fossiles vs renouvelables, le match
Si le pétrole et le gaz se transportent plutôt bien pour une consommation lointaine, le charbon est lui principalement utilisé localement. L’historique de son exploitation est particulièrement intéressant. Mieux réparti à la surface du globe que les deux autres sources fossiles, il a été la ressource phare de la révolution industrielle. Associée aux terrils et aux corons, elle semble être l’énergie du passé, du moins pour l’Europe. En effet, le charbon reste la première source mondiale d’électricité et le spectaculaire développement de la Chine est assis sur ses ressources charbonnières. Ses mines (légales ou non) tournent à plein régime et ses réseaux routier et ferroviaire peinent à absorber le flux croissant du charbon vers les centrales électriques.
Le point sur les renouvelables est très pertinent. Souvent présentés comme la panacée, leurs avantages doivent être nuancés. Pour la biomasse comme pour l'hydraulique, le potentiel est énorme. Bien moins émettrices que les énergies fossiles, les renouvelables suscitent beaucoup d’espoir, mais éveillent surtout les convoitises. Le cas des agrocarburants est éloquent. En concurrence directe avec la production agricole alimentaire, car plus rentables, ils poussent les producteurs à la déforestation et annulent par là-même les bénéfices de leur utilisation. Les biocarburants de première génération joueraient ainsi un rôle certain dans la famine actuelle en Afrique de l’Est .
Le message principal de ce chapitre est qu’il n’existe pas de solution miracle et encore moins d’énergie propre. Ainsi, une énergie renouvelable ne peut être considérée comme telle que “si elle se régénère dans les mêmes proportions qu’elle est utilisée” .
L’énergie du développement
Le troisième chapitre fait le lien entre l’énergie et le développement humain et montre toute la complexité de cette relation. Il commence par identifier les très grandes disparités mondiales de consommation, plus que révélatrices : un habitant des USA jouit par exemple de 8 tep/an, alors qu’un africain du Sahel ne peut compter que sur 0,4 ! La confrontation des cartes de consommation d’électricité, de l’Indice de Développement Humain, de PIB par pays et de part de la population sans accès à l’électricité dans le monde est particulièrement convaincante. Tout est lié : “il n’y a pas de développement humain sans un accès minimal à l’énergie.”
La démonstration entre ensuite dans le détail de ces disparités. Les échange mondiaux d’énergie, le développement des renouvelables ou du nucléaire, laissent à l’écart les pays les plus pauvres. Les inégalités semblent également avoir un sexe, puisque 70% de la population mondiale vivant en dessous du seuil de pauvreté sont des femmes. L’une des raisons pourrait être l'accaparement de leur temps et de leur énergie par la recherche de combustibles (biomasse) pour le foyer. Beaucoup de pays africains sont encore loin d’avoir achevé leur transition énergétique, retardant d’autant la réalisation des objectifs du Millénaire. L’atlas présente de nombreux exemples locaux, comme la “télémédecine en Gambie” ou “l’électrification rurale du Maroc”, en illustration .
Les énergies et leur environnement
Dans le chapitre 4, l’atlas aborde le sujet sous son angle environnemental, à l’aide de schémas, de diagrammes et de croquis, principalement.
Ce chapitre commence par expliquer le phénomène du changement climatique, c’est à dire le rôle des GES (Gaz à Effet de Serre), des autres polluants et de la déforestation dans le réchauffement de la planète. Le message principal est de démontrer le caractère inédit du phénomène : jamais la concentration de CO2 dans l’atmosphère n’a atteint un niveau aussi important en si peu de temps.
Mais les GES ne sont pas les seules nuisances : un tableau montre “une (...) hiérarchie des nuisances au-delà du rejet de GES” et met très bien à plat les différents risques et inconvénients des principales sources d’énergie primaire . Il permet à l’auteur de rappeler malicieusement que “l’énergie la moins polluante est celle que l’on ne consomme pas” .
Un seconde partie est consacrée à des questions plus difficiles car plus polémiques : viabilité des agrocarburants, nucléaire comme “solution pour l'environnement” ou encore propreté de la voiture électrique. L’entreprise est intéressante, car ces questions sont celle que tout citoyen un tant soit peu informé se pose. Cependant, elle ne va pas vraiment jusqu’au bout de ce qu’on pourrait attendre. Les réponses sont purement techniques et occultent le caractère politique de ces interrogations, laissant de côté une partie de la réponse.
Des ressources sous contrainte
Pour aborder le problème de l’énergie contrainte, le cinquième chapitre évoque la “grande question des réserves” (sous-entendu fossiles), éminemment polémique. La réponse oscille en effet au gré des définitions des “réserves” et des chiffres officiels plus ou moins crédibles. Là encore, des explications techniques s’imposent.
La première contrainte sur les énergies est d’ordre physique, mais ne relève pas que des sciences “dures”. L’estimation des réserves est un processus “technique [...] et économique[..]” mais aussi et surtout politique. Il est le résultat de calculs stratégiques et les données réelles relèvent souvent du secret d’Etat. On se souvient par exemple des révélations de Wikileaks sur les capacités de production saoudiennes . Une partie du chapitre est d’ailleurs judicieusement consacrée aux acteurs de l’énergie. Les Etats, les grandes compagnies multinationales, l’OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole), l’OPAEP (Organisation des pays arabes exportateurs de pétrole) et l’AIE (Agence Internationale de l’Energie) sont les principaux protagonistes des négociations. Chacun de ces acteurs s’est plié à l’exercice des scénarios pour le futur de l’approvisionnement, comme le montre l’atlas. Il est cependant dommage qu’il ne confronte pas différentes projections pour en souligner les contrastes parfois cocasses. Si l’OPEP estime que les réserves conventionnelles actuelles sont largement suffisantes pour couvrir la demande mondiale , l’AIE dessine prudemment 3 scénarios de demande ((WEO 2010, p102) et avance la solution des sources non-conventionnelles pour répondre à la demande future.
Une autre contrainte forte sur les énergies renouvelables est bien sûr le potentiel des gisements. Les cartes confirment ce que nous savions déjà : Marseille a plus d’intérêt à installer des éoliennes que la ville de Lille. Ce que nous savions peut-être moins, c’est que tout le territoire français possède une ressource renouvelable à exploiter, qu’elle soit éolienne, solaire ou géothermique.
Enfin, la principale contrainte sur les énergies est déjà (et sera de plus en plus à l’avenir) leur prix. Le pétrole est une donnée fondamentale du commerce international : il représente 13,8% du marché mondial des marchandises, et 53,9% du marché des matières premières. Le prix du baril n’a jamais été aussi haut que ces dernières années. Si les auteurs ne s’attardent pas sur les causes de cette envolée, ils en soulignent bien les conséquences, notamment sur les prix des autres énergies comme le gaz.
Solutions et pistes d’action
Le dernier chapitre parachève l’atlas. Fort de toutes les informations données, il propose des pistes d’action au lecteur. La première est la réduction de la consommation par l’accroissement de l’efficacité énergétique et la maîtrise de la demande. Les auteurs passent ensuite en revue les comportements et les infrastructures qu’il faudrait adapter pour y parvenir : diversifier les ressources et les approvisionnements, adapter les transports, l’aménagement du territoire et l’urbanisme, réduire les inégalités et changer nos modes de consommation. Les solutions proposées sont connues, mais le message est clair : c’est notre modèle de société qu’il va falloir globalement changer.
... qui restent en deçà de l’ambition initiale !
Apporter des réponses, c’est peut-être sur ce point que l’atlas pèche. L’objectif initial était de répondre à la question de savoir si “un développement équitable et propre [était] possible”. Méthodique et très complet, le livre donne les clefs pour comprendre les enjeux principaux. Armé du vocabulaire technique et d’ordres de grandeur, le lecteur, même novice, pourra forger sa propre opinion.
Cependant, tout un pan du sujet paraît avoir été escamoté, ou du moins pas assez accentué, c’est son caractère éminemment politique. Le but était probablement d’éviter toute polémique ou parti pris, mais il prive le lecteur d’un complément d’information très important.
Pour preuve, deux exemples
Tout d’abord le nucléaire: les pages qui lui sont consacrées abordent uniquement les aspects physiques des phénomènes nucléaires et techniques de la sécurité du stockage et du confinement. Le fait que le nucléaire soit un choix politique en France, par exemple, n’est pas mentionné. Rien n’est dit sur la polémique du traitement des déchets ((http://bit.ly/qH1FGu)), la bataille que se livre AREVA et les groupes des pays émergents pour les réserves (limitées) d’uranium ou sur encore le coût de l’EPR . Sans tomber dans la controverse, un mot sur ces quelques événements indissociables de l’industrie nucléaire auraient été faire bonne mesure. Ils auraient également permis de contrebalancer le propos des auteurs qui, au moment de répondre à la question “le nucléaire, solution pour l’environnement ?” paraît un peu trop prompt à la satisfaction.
Autre exemple: la voiture électrique. Encore une fois le livre fait état des avancées techniques des moteurs pour en célébrer “la renaissance”. Quid de l’approvisionnement énergétique de ces nouveaux bolides ? Une étude menée récemment montre que la question reste en suspens . Si le parc français parvient à 2 millions de véhicules électriques en 2020, comme cela est prévu par le gouvernement, la puissance demandée au moment du rechargement appellerait 6 000 MWe (l’équivalent de quatre réacteurs EPR), en recharge dite “lente”. L’étude avance que ce choix fort consommateur a été fait pour répondre à un manque de débouchés de l'industrie nucléaire française. Sans aller aussi loin, l’atlas aurait pu rappeler que ce choix n’est pas celui d’un fort développement des renouvelables, contrairement à ce que fait l’Allemagne.
Ceci nous amène à conclure que la véritable question à laquelle cet atlas répond ne serait pas " un développement équitable et propre est-il possible ? " ( son sous-titre) mais plutôt : “ le voulons-nous vraiment ?”