Le regard et le témoignage du président de l'Assemblée nationale. Livre au titre audacieux, qui oscille entre bonnes questions et digressions malheureuses.

Un homme politique peut-il dire toute la vérité ? Le titre du dernier ouvrage de Bernard Accoyer, président de l’Assemblée nationale et médecin oto-rhino-laryngologiste, pose une question essentielle, dont la réponse s’avère seulement esquissée. Pourtant cette interrogation est vitale, notamment dans une société démocratique où, à l’horizon de l’élection présidentielle, il faut emporter la conviction du citoyen.

Qu’est ce que la vérité ? Est-ce celle du diagnostic comme le sous-entend l’auteur ? En partie. Mais une vérité scientifique, dans un domaine où l’exactitude n’existe pas, paraît réductrice. Les chiffres cités, les analyses proposées, les mots employés, tout prête à discussion et à interprétation. Au-delà, il conviendrait de retenir une conception de sincérité, de bonne foi, des propos d’un homme politique. La vérité d’un homme politique serait ainsi davantage sa vérité, sa manière de présenter les choses telles qu’elles lui apparaissent. Elle demeure par essence contingente et son existence absolue laisse songeur. En effet, en démocratie, la vérité repose sur un discours légitimant des actions passées afin de justifier celles à venir.

Néanmoins, lorsque l’homme politique doit expliquer aux citoyens les maux auxquels ils sont confrontés, Bernard Accoyer suggère de manière judicieuse une démarche de vérité. En effet, au regard de son expérience personnelle “il existe un parallèle entre la démarche du médecin et celle de l’homme politique (…) dans les deux cas, la vérité est non seulement la première étape vers le respect, mais également la première étape vers l’efficacité. Au fond, dire la vérité, cela revient à aller droit au but, à gagner du temps et surtout à raisonner à partir du réel et non à partir de représentations, de fantasmes ou d’idéologies”.   Quand on est médecin chaque mot compte, assène-t-il, fort de trente ans de pratique. Et les termes techniques nécessitent d’être utilisés tant à l’égard du patient que du citoyen. Une première vérité, donc, celle de la précision.

L’introduction d’ ”Un homme politique peut-il dire toute la vérité”, aurait ainsi mérité de longs développements sur ce concept un peu réducteur, ce bon mot accrocheur de la part d’un homme qui prétend ne pas les aimer. Or, Monsieur Accoyer estimait, lors de ses vœux à la presse et à propos des échéances de 2012, que, "si nous ratons ce rendez-vous de la responsabilité et du courage, les conséquences économiques et sociales pourraient être comparables à celles provoquées par une guerre".

Dès lors, il convient de solliciter ici l’analyse d’Hannah Arendt selon laquelle, “il n'a jamais fait de doute pour personne que la vérité et la politique sont en assez mauvais termes, et nul, autant que je sache, n'a jamais compté la bonne foi au nombre des vertus politiques”.  

Un regard lucide sur le passé

Avant de proposer son diagnostic dans la deuxième partie de “Un homme politique peut-il dire toute la vérité ?”, Bernard Accoyer revient sur son passé, sur la genèse de son parcours tant humain, que professionnel et politique.

Né en Lyon, Bernard Accoyer est médecin oto-rhino-laryngologiste. Il entre en politique en 1989 en devenant maire d’Annecy-le-Vieux où, depuis lors, il est réélu sans interruption. Député de la Haute-Savoie depuis mars 1993, il est également président de l’Assemblée nationale depuis juin 2007. La première partie de son ouvrage retrace ainsi ses moment clés, celui d’un praticien venu tardivement à la politique. Puis, dans un second temps, l’actuel homme politique marqué UMP prescrit certains remèdes, guidés par une école de pensée réduisant malheureusement le discours de vérité à un propos d’opinion.

En réalité la vérité de “Un homme politique peut-il dire toute la vérité ?”, c’est à dire la bonne foi de Accoyer, ce qui le différencie des autres, c’est surtout entre les lignes qu’elle se dévoile et se révèle, dans les interrogations simples, nécessaires et utiles.
Ainsi, au creux des phrases et des chapitres affleurent des réflexions particulièrement pertinentes. A cet égard, Bernard Accoyer pose la rare question du rapport entre politique et bonheur. “A la question, la politique rend-elle heureux, je répondrais “non” : elle donne des satisfactions, qui sont des satisfactions narcissiques et de pouvoir. C’est un peu maigre comme bilan, mais telle est la réalité. La politique est à l’image des hommes, ambivalente, passionnelle et cynique, égoïste et généreuse”.   Ces réflexions distillées dans le corps du livre mettent alors à mal le vœu formulé de ne pas proposer un testament politique. Le bilan est là. Celui des émotions, avec la première séance de l’Assemblée nationale. Celui des hommes et femmes politiques rencontrés, de son mentor, à Alain Juppé, Jean-François Coppé, ou encore Laurent Fabius. Celui des épisodes majeurs de sa vie au service de la collectivité. Et enfin celui de son bilan personnel.

L’analyse opérée de la dissolution de 1993 comme la conséquence d’un double mensonge (sur les raisons mêmes de cette décision et sur les promesses de campagne, impossibles à tenir en deux ans seulement) permet de dresser un portrait peu flatteur de Dominique de Villepin, complété par l’épisode du CPE, une “histoire de pieds nickelés” selon Bernard Accoyer.

Ce dernier relate un combat désormais moins connu, mais révélateur des dérives de notre démocratie : celui de la lutte contre la psychothérapie pratiquée sans diplôme. Cette lutte, débutée à l’automne 1999, révèle le poids des lobbies, celui de la médiatisation, ainsi que les effets néfastes qui y sont liés. Onze années auront ainsi été nécessaires à l’auteur pour imposer la maîtrise de connaissances en psychologies pour être psychothérapeute.

Des “députés à deux vitesses” face à la défense d’intérêts catégoriels

A cet égard, la distinction choquante entre députés se révèle malheureusement exacte. Ainsi, selon l’auteur d’”Un homme politique peut-il dire la vérité ?”, il existerait des “ députés à deux vitesses, c’est-à-dire ceux qui, en raison de leur expérience, peuvent compter sur un solide réseau de soutiens et d’amis, et puis les autres, qui se heurtent, bien souvent, à un mur de dissimulation, d’indifférence polie, voire d’arrogance. La légitimité démocratique, dont le député est le dépositaire, est encore trop souvent paralysée, voire concurrencée par d’autres pouvoirs, habilement dissimulés sous les velours de la République, laissant trop souvent l’impression de la défense d’intérêts catégoriels”.   Triste constat d’un président d’une chambre qu’il sait être le lieu de tous les conflits d’intérêts, qu’ils soient le fait de lobbys institutionnels, professionnels (avocats, médecins, enseignants) ou encore de cercles d’influence (ENA, Eglise, franc-maçonnerie). Afin de rationnaliser ce qui ne peut l’être, pendant son mandat, Bernard Accoyer a opéré une “institutionnalisation des lobbys”. Ainsi, les lobbys dits institutionnels peuvent agir librement depuis octobre 2009 à la condition expresse de le faire en pleine lumière et de respecter un code de bonne conduite dont le manquement provoque de nombreuses sanctions allant jusqu'à l'exclusion définitive de l'Assemblée nationale.
Par ailleurs, un déontologue agit désormais dans l’hémicycle, en véritable médecin du conflit d’intérêt. Son rôle est avant tout préventif. Pour tous cadeaux dépassant une certaine valeur et tous voyages offerts, une notification doit obligatoirement lui être faite. Si un député refuse de se conformer à cette procédure, le déontologue porte alors l’affaire au Bureau de l'Assemblée nationale qui peut, à son tour, saisir le procureur de la République. Le choix d’un déontologue plutôt que d’une commission apparaît a priori assez judicieux, afin d’éviter de donner impression d'un “arrangement entre amis”.

Le coût de la démocratie parlementaire selon son premier acteur

Président au quotidien de 1250 fonctionnaires pour un budget annuel de 560 millions d’euros, Bernard Accoyer pose l’intéressante question du coût de la démocratie parlementaire
pour l'État. Ce coût s’élèverait à près d'un million d’euros par an et par parlementaire, soit environ 900 millions d'euros annuels. L’auteur souligne les coûts liés à l’augmentation du nombre de députés par François Mitterand en 1986, sans néanmoins s’intéresser à sa nécessité démocratique. Il évoque également le problème du nombre d'élus locaux, que la réforme territoriale devrait faire diminuer d'environ 40% (départementaux et régionaux, soit 2200 de moins).
Les indemnités d'un député sont enfin passées au crible du premier d’entre eux. Leur indemnité principale s’élève à 5.600 euros nets mensuels, cumulée à une indemnité représentative de frais de mandat (IRFM) d'un montant sensiblement égal à l'indemnité parlementaire. Par ailleurs, il bénéficie d'une enveloppe de 8.000 euros, gérée directement par l'Assemblée nationale à laquelle les députés n'ont pas directement accès et qui sert à verser le salaire des assistants parlementaires. Bernard Accoyer justifie ces indemnités, sans revenir sur la récente proposition de diminution, par plusieurs arguments plus ou moins pertinents. Ainsi, elles seraient dans la moyenne européenne, et justifiées tant par le rythme de travail, qu’en raison de la précarité du mandat alors que beaucoup de députés ont arrêté d’exercer leur profession. Enfin, l’aspect psychologique par rapport aux sénateurs joue dans l’appréciation critique de ces indemnités, car les députés sont directement élus par les Français, permettant alors une comparaison plus aisée.  

Une analyse étonnante de la réforme constitutionnelle de 2008

Bernard Accoyer livre également son analyse de la réforme constitutionnelle de 2008 et d’un nouveau parlementarisme rationnalisé. Le rappel historique de l’ancienne impossibilité pour le Président de la République de s'exprimer devant les parlementaires, en raison d’une restriction introduite par les monarchistes contre Adolphe Tiers, alors chef de l'exécutif et orateur convaincant, clôt la parenthèse de l’anecdote pour s’ouvrir sur les réformes essentielles. Ainsi, dans “Un homme politique peut-il dire toute la vérité ?”, Bernard Accoyer analyse l’article 61-1 nouveau de la Constitution, socle de la Question prioritaire de constitutionnalité, proposé par Jean-Louis Debré au Comité Balladur, comme une “guerre larvée entre juridictions, alimentée notamment par la Cour de cassation”.  
L’étonnement suscité continue lorsque le lecteur poursuit sur : “ensuite ces annulations à répétition surchargent l'ordre du jour des assemblées en les contraignant à re-légiférer sur des sujets anciens comme la garde à vue, parfois sous la dictée des juges...”. Il est à croire que les sujets concernant les droits bafoués de milliers de citoyens ne devraient guère intéresser le législateur, obligé de “re-légiférer sur un sujet ancien”. On en viendrait presque à espérer que le président de l’Assemblée nationale n’ait ni écrit ni lu ces lignes.
Certes, la question de l'insécurité juridique, celle de l’équilibre entre droits individuels et intérêt général, sous la pressions d'individus et de lobbies communautaires, se posent. Mais si les QPC en matière fiscale “font les délices des avocats fiscalistes et des innombrables conseillers fiscaux pour démanteler la fiscalité nationale”, il n’en va certainement pas ainsi de toutes les questions ayant passé le filtre de la Cour de cassation ou du Conseil d’Etat.

La deuxième partie d’ “Un homme politique peut-il dire toute la vérité ?” suscite moins d’intérêt hormis sur deux sujets : celui de la place des experts et celui de la sous-traitance.

Les experts face à la démocratie  

L’utopie du risque zéro est battue en brèche par l’ancien médecin ORL. Celui-ci soutient également que le principe de précaution, introduit par la Charte de l’environnement de 2005, est une aberration. Au-delà, se pose notamment la question de la place des experts, dans cette “société de peurs dans laquelle nous vivons”. C’est à juste titre que Bernard Accoyer souligne que “la vérité scientifique qui se fonde normalement sur le doute et la nuance se résume bien souvent à des slogans simplistes qui tournent en boucle sur les plateaux de télévision ou sur Internet. De façon paradoxale c'est à l'heure où la science fait le plus de progrès que le débat scientifique à destination du grand public est la plus pauvre”.

Enfin, le président de l’Assemblée nationale développe la nécessité de la sous-traitance du service public afin de ne conserver des fonctionnaires que pour les missions régaliennes   . Selon lui, “la sous-traitance présenterait un double avantage : réaliser d'importantes économies de fonctionnement, mais également de générer des recettes supplémentaires grâce aux taxes qu'acquitte le secteur privé. Dans mon esprit, les missions de sous-traitance doivent aller le plus loin possible”. Ce discours fondé sur un retour à un Etat minimal apparaît particulièrement réducteur et simpliste. Les économies soi-disant réalisées grâce à la sous-traitance tiennent en une équation qui n’en a que le nom. Afin d’étayer ses propos, on attendait une démonstration plus convaincante. Mais comme en médecine, chaque praticien a sa spécialité et ne devrait pas prétendre opérer dans un autre champ de compétence que le sien, ni même proposer un diagnostic.

Le développement final sur la vision du projet du parti socialiste par Bernard Accoyer laisse une fois encore songeur, mais peut se justifier par l’approche de la grippe électorale. Néanmoins, on perçoit mal, en définitive, la pertinence de l’ouvrage. Son titre est provocateur, accrocheur, et appelait un développement plus court, plus dense et plus percutent. Qu’est ce qu’ “Un homme politique peut-il dire toute la vérité ?” apporte de plus que les autres ? Un témoignage intéressant, celui du président de l’Assemblée nationale, mais en réalité pas tellement plus. Il lui aurait fallu le courage de son audace