Une anthologie savoureuse d’exercices de style sexuels...

Si, pour reprendre l’adage rabelaisien, il est convenu que le rire est le propre de l’homme, ce dernier a également l’apanage d’une autre pratique, tout aussi subversive : la fellation. Franck Spengler, auteur de récits licencieux tels que La Vie amoureuse des fées, Brèves de sexe, ou encore 1969-2009, années érotiques, propose cette fois une Anthologie littéraire de la fellation, publiée aux éditions Blanche, spécialisées en écrits érotiques, qu’il dirige depuis 1996.

Tous les genres, au sens propre et figuré, s’essayèrent à cette audacieuse évocation : des poèmes, comme Hombres de Verlaine, des préfaces, comme L’Avis d’une femme de Françoise Rey, des dialogues (Sept Petites Histoires de cul d’Anne Cécile), ou encore des chroniques (Scènes de péripatéticiennes de Pierre Loüys), voire des chansons (La Taille du bambou du groupe Rita Mitsouko). Les textes classiques (Les 11 000 verges d’Apollinaire, Sexus d’Henry Miller) côtoient des auteurs moins connus : Philippe Nollet, Géraldine Zwang, Clara Basteh, Lucie Lux… Les passages attendus de la littérature française et étrangère (L’Ennui, de Moravia) font ainsi figure de modèles paradigmatiques, que déclinent des écrivains contemporains, souvent publiés aux éditions Blanche d’ailleurs, dans des récits où s’exagèrent les tensions luxurieuses.

Dans la distribution des actants amoureux, la “vassalité femelle”, pour reprendre la formule de Jacques Montfer, ne se prosterne à l’asservissement viril qu’en apparence. Au sein de ces vastes marivaudages phalliques, les figures féminines apparaissent bien comme les maîtresses habiles d’un jeu délicieux auquel leurs compagnons sont incapables de se soustraire, tout entier esclaves des plaisirs buccaux attendus. Et de constater que nombre d’écrivains sont des plumes féminines, qui témoignent dans les moindres détails leurs expériences tantôt néophytes, tantôt expertes, faussement ingénues, souvent perverses. Parfois, à l’instar de Julie Saget, l’écriture s’infléchit dans le sens d’une dégradation volontairement triviale : la recherche de sensations trop fortes, où s’exacerbent la corporéité fauve, va alors de paire avec une plume volontairement provocatrice : le rut stylistique surenchérit alors l’outrance sexuelle. Ailleurs, chez Agnès Pareyre, les désirs s’écrivent tout en suavité, et la langueur phrastique mime les langueurs sensuelles.

Certes, ces jouissances partagées se compliquent assez souvent d’autres variations érotiques. Longtemps relégué dans les enfers des bibliothèques, Hombres propose un aspect méconnu de l’auteur des Poèmes saturniens : une sulfureuse déclamation aux dons quasi divins de l’éphèbe chéri. L’évocation de ces amours particulières varie encore, et emprunte des accents plus humoristiques avec L’Histoire de Boris : ou comment les préférences buccales du protagoniste éponyme suscitent le large sourire des lecteurs.

Se dessine également, au fil de ces tendancieuses narrations, oscillant entre l’obscène et le lyrique, le scandale et l’humour, toute une mythologie de la fellation, à l’instar de l’impératrice Messaline, qui se faisait induire du sperme d’adolescents, ou encore de la mandragore, censée poussée de la semence des pendus.

Certes, ces courts extraits permettent une distrayante lecture, souvent provocatrice et curieuse, toujours enlevée, mais sourd également une recherche stylistique variée, qui représente un certain intérêt littéraire. Au-delà des amusantes descriptions, l’observation du travail d’écriture encourage ainsi, pour en revenir aux références rabelaisiennes, à rompre l’os, et à en sucer… la substantifique moelle. “Jouir ou respirer ?”, s’interroge Andréa Luccella dans l’un des récits du recueil. Une troisième alternative libidinale se dessine alors : lire.