Malgré des contributeurs divers, l’unité de la collection est garantie par une présentation chronologique des œuvres par périodes, qui garantit la clarté de l’ensemble. C’est donc une série de synthèses qui se distingue des innombrables publications sur le cinéma par le double souci de la pédagogie et du lien avec les dernières avancées de la recherche esthétique. En effet, les auteurs n’oublient jamais de remettre les films dans leur contexte historique, économique et industriel, mais par petites touches, sans exposés trop lourdement didactiques. Les notions esthétiques ou culturelles mentionnées sont toutes assorties d’un appareil de notes utile et précis. Les ouvrages se lisent d’un trait, grâce à l’élégance de plume de la plupart des auteurs.
Il faut souligner enfin la beauté et la richesse de l’iconographie retenue, qui voisine avec des encarts portant un éclairage plus particulier sur tel motif de prédilection, telle problématique plus large, ou encore tel enjeu analytique qui ne déparerait pas dans des publications universitaires.
Collection inégale pour "grand public" intelligent
Déplorons seulement que certains ouvrages aient été moins bien édités que d’autres. A ce titre, la monographie de Renoir par Charlotte Garson laisse un peu à désirer : on note dès les premières pages un "compte de Muffat" qui ferait se retourner Zola dans sa tombe , ainsi que la légende fautive d’une photo du film Catherine ou Une vie sans joie (1924) .
Au-delà de ces détails, les différences entre les ouvrages tiennent bien évidemment à la diversité des cinéastes et des œuvres traitées : les 7 films de Sergio Leone sont évoqués en détails dans de très fines analyses de Jean-Baptiste Thoret, alors que la soixantaine d’œuvres de Bergman est abordée plus rapidement. Saluons d’ailleurs l’exceptionnelle réussite que constitue ce dernier livre : la complexité et la modernité du cinéaste suédois n’est jamais sacrifiée à l’horizon du "grand public" que cette collection traite avec respect et intelligence. Certes cela va de pair avec une grande densité des formules de Jacques Mandelbaum, mais ces dernières sont un modèle de vulgarisation dans le sens le plus noble du terme, et font mouche à chaque fois. Citons entre mille cette phrase à propos du monument Persona (1965) : "Remise en cause de la vocation testimoniale du cinéma (le film mis en charpie, le ruban de pellicule qui tourne à vide à la fin du film) en même temps que célébration magistrale de sa puissance onirique, Persona est allé à son époque plus loin que tout autre dans l’appréhension par le cinéma de la dévoration imaginaire, de la faillite de l’humanité et du désenchantement du monde" .
Aux cinéastes absents
Cet exemple prouve à la fois le grand mérite de la collection en général, mais limite peut-être aussi ses usages : il n’est pas sûr que ce soit la meilleure introduction à un cinéaste, mais plus sûrement un parfait récapitulatif des beautés et problèmes d’une œuvre déjà connue et que les différentes monographies, toutes stimulantes, incitent à fréquenter davantage.
Autre interrogation que suscite la collection : le choix même des "grands cinéastes". S’il est bon d’y avoir inclus des réalisateurs vivants comme Eastwood ou Burton pour ne pas figer le cinéma dans un passé révolu, on ne peut que déplorer l’absence de certains autres grands, au hasard Ozu, Pialat, Pasolini, Hawks, Pabst, Mankiewicz, Visconti… Or il ne s’agit pas là d’une critique gratuite s’attaquant à un palmarès par définition subjectif, mais d’un vrai problème éditorial au regard de la volonté encyclopédique de l’ensemble. En effet, pour qu’une vision synoptique et raisonnée du cinéma se dégage des monographies de réalisateurs, il aurait fallu aborder plus largement les cinéastes de genres, Lubitsch ou Capra pour la comédie américaine, Minnelli pour la comédie musicale, Hitchcock pour le policier, et bien d’autres encore, pour prévenir le risque d’une perspective biaisée sur le cinéma, victime d’une "politique des auteurs" qui a fait long feu et dont l’étude des genres peut être une voie de renouvellement. Certes Sergio Leone figure au catalogue, mais il ne fait que rendre plus cruelle l’absence de John Ford, maître du western dont Jean-Baptiste Thoret évoque la valeur matricielle mais sans pouvoir donner plus de détails dans le cadre de son ouvrage.
Il arrive ainsi un moment où le riche appareil de notes qui visent à clarifier les noms et les notions employés ne peut plus se substituer à lui seul aux monographies manquantes. Et même si le choix de se contenter de 24 cinéastes est peut-être un clin d’œil aux 24 photogrammes par seconde qui à eux seuls peuvent donner tout le cinéma, espérons que ces vides criants soient l’occasion de prolonger une collection dont la très bonne tenue et la qualité feraient déplorer qu’elle tourne court.
> Collection grands cinéastes, Le Monde – Cahiers du cinéma
Prix prévu : 8,60 € chaque week-end, le livre et le DVD avec Le Monde ou 7 euros en librairie le livre seul.
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crédit photo : Joel Mann/flickr.com