Après la Grèce, le Portugal, la Tunisie et le Mexique , le Collège International de Philosophie continue son tour du monde et s’installe en Chine le temps du numéro 72 de sa revue numérique, libre d’accès, Rue Descartes . Coordonné par Dandan Jiang et Pierre Carrique, ce numéro se refuse à " ajouter un énième regard sur la pensée chinoise ". Il ouvre donc ses colonnes à des intellectuels chinois, investis de la lourde tâche d’offrir un aperçu de la philosophie chinoise, de sa singularité, de ses transformations, de ses échanges avec les traditions occidentales, et surtout des interrogations qui la traversent.

La revue s’ouvre sur une mise en perspective historique de la philosophie contemporaine chinoise qui permet au lecteur de réinscrire les articles suivants, davantage thématiques, dans leur contexte culturel. Selon Dandan Jiang, auteur de cette introduction, la pensée philosophique chinoise a toujours eu une conscience aigüe d’elle-même et s’est posée sans relâche la question de sa légitimité - en regard et en confrontation à l’Occident - depuis l’apparition tardive du terme " philosopher " en Chine à la fin du XIXème siècle. Constante, cette question fondamentale de la légitimité s’est néanmoins déclinée de manière diverse au fil du temps, et il est possible d’isoler trois points nodaux dans les évolutions de cette pensée. Il y eut ainsi le temps des " Nouvelles Lumières " de la déconstruction marxiste, soldée par la répression des étudiants à Tienanmen. Le temps de la " conscience de crise " lui fit suite dans les années 1990, marqué par des travaux qui se donnaient pour objectif de remplir le "vide spirituel " laissé par les échecs idéologiques successifs en s’attachant à une actualisation de la tradition chinoise. Enfin, après cette période intellectuelle sino-centrée, vint l’ère de l’universalisation de la pensée chinoise, sous-tendue par la volonté des penseurs de renouer avec l’idée d’une "philosophie universelle"  capable de transcender les oppositions Orient/ Occident.

Ce tour d’horizon mené à bien, la revue s’attarde alors sur des concepts précis, ceux de l’être, du temps, de l’universalité des valeurs, ou de l’utopie. Des questions qui entrent en résonnance avec nos préjugés - nous qui opposons si simplement la conception cyclique du temps, propre à la civilisation chinoise, à la conception linéaire issue de notre tradition judéo-chrétienne ; ou qui nous offusquons des attaques portées par la Chine à notre sacralisation de la Raison universelle – pour mieux les déconstruire de l’intérieur.

Plus qu’un état des lieux de la pensée chinoise, Philosopher en chine aujourd’hui tente de sortir de la logique binaire et de l’opposition dualiste entre la Chine et l’Occident en réintégrant la diversité inhérente à ces ères culturelles, trop souvent pensées comme homogènes