Au même titre que la philosophie, la politique est affaire de discours. Quelques hommes et femmes politiques, certes, cachés derrière leurs pupitres pour camoufler leurs fautes de français, nous font parfois douter. Mais si la dimension poétique des interventions publiques se perd progressivement, la rigueur argumentative tend néanmoins à rester une constante pour le philosophe Gary Gutting. Ces périodes électorales sont là pour nous le rappeler : la parole politique ne peut se contenter d’effets d’annonce, il faut aussi savoir convaincre.

Cette similitude ne doit pas pour autant dissimuler les différences essentielles qui existent entre l’argumentation philosophique et l’argumentation politique, comme le rappelait Gary Gutting dans un article publié le 19 janvier sur le riche blog philosophique du New York Times, The Stone. Pour lui, la différence majeure entre ces deux méthodes de démonstration n’est pas liée à la moindre rigueur intellectuelle des politiques qui, pour plus d’efficacité rhétorique, tendent parfois à opérer des raccourcis argumentatifs, mais bien dans la place accordée à la position adverse.

En effet, si les philosophes s’attachent à comprendre le plus minutieusement possible le raisonnement de leurs contradicteurs, afin de le déconstruire de l’intérieur, les politiques, eux se contentent souvent d’affirmer des arguments d’autorité et des notions idéologiques. Il s’agit de justifier ses propres positions et de décrédibiliser l’adversaire en rappelant régulièrement ses maladresses d’expression.

Pourtant, le débat politique aurait tout à gagner en empruntant à la méthode philosophique, ce que Gary Gutting se propose de démontrer en nous offrant une déconstruction des positions républicaines conservatrices. Dans un premier temps, conformément à ce qu’il prône, il explicite les points essentiels de cette doctrine politique, à savoir la défense de l’éthique chrétienne et de la libre entreprise. Or, et telle est la deuxième étape de son raisonnement, il existe une indubitable tension entre ces deux valeurs. Si la morale chrétienne n’est qu’amour du prochain, le libéralisme assume quant à lui une vision individualiste des hommes qui agissent en vue de leur propre intérêt individuel. Si le libéralisme défend une morale utilitariste (les comportements égoïstes sont justifiés par le bien commun qui résulte de leurs interactions), le christianisme ne justifiera jamais le moyen par la fin.

On peut certes douter de l’efficacité du premier argument philosophique. Il suffit de se référer au texte canonique de Max Weber L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme qui montrait comment des valeurs protestantes, comme la valorisation sociale du travail ou l’idée de la prédestination   , ont pu servir de terreau au développement d’un système économique tel que le capitalisme de marché. Pour autant, toute initiative visant à améliorer le niveau du débat politique, trop souvent embourbé dans de stériles tempêtes médiatiques - pensons aux mètres de papier consommés pour le prétendu " sale mec " adressé à Sarkozy par Hollande – ne peut qu’être saluée