Parmi les enjeux du parti socialiste pour les prochains mois, l’un des premiers sera celui d’assoir sa crédibilité pour affronter la réalité de la crise et une situation sociale paradoxale…

* Cet ouvrage a été publié avec l’aide du Centre national du livre.

 

Le Parti socialiste doit faire face à la crise et à une situation sociale paradoxale : jamais le fatalisme et l’individualisme n’ont été aussi marqués, jamais l’affirmation de la solidarité n’a été aussi nécessaire. Il ne s’agit plus, semble-t-il, de remettre en cause un système économique global mais de l’adapter au désarroi des citoyens. Ce parti doit néanmoins affirmer son identité, tout en se démarquant des effraies de la collectivisation des moyens de production dans lesquelles on voudrait l’enfermer.

Le postulat du socialisme

Lorsqu'il naît en France dans les années 1830, le mouvement socialisme ne s’oppose pas au libéralisme, au sens de la défense des libertés. Il constate, par contre, une impuissance de cette doctrine à réaliser les libertés si elle n'est pas accompagnée d'une exigence d'égalité et de démocratie. Le socialisme est, à cette époque, profondément républicain et démocratique. C’est la démonstration de Jean Fabien Spitz, philosophe et professeur de philosophie politique, à travers sa présentation d’une partie des “ Textes politiques” de Louis Blanc (1811 – 1892) aux éditions Le bord de l’eau.
On peut regretter que l’ouvrage ne présente pas une biographie plus exhaustive de la vie, pourtant intense, de Louis Blanc et se concentre sur des textes écrits à partir de 1839, date de création de la “Revue du Progrès” et de la publication de son œuvre majeure “l’organisation du travail”, jusqu’à sa mort. Ce journaliste et historien est à la fois un acteur pragmatique de la vie politique en étant membre du Gouvernement provisoire de 1848 ou député sous la troisième république et un théoricien de la démocratie sociale et du socialisme, dénonçant très tôt la peine de mort, défendant le crédit gratuit, le suffrage universel et, surtout, la propriété pour tous.

La propriété pour tous

Récemment on a comparé la situation actuelle à la période de la fin des années 1920. Pourtant le 19ème siècle n’est pas en reste. Beaucoup recherchent déjà les supports indispensables de la liberté des citoyens et de contrepoids au pouvoir de la finance et des grandes entreprises. Ce siècle est celui d’une nouvelle génération d’intellectuels post-1789, qui revisitent la Révolution et la pensée de Rousseau, soit pour en critiquer les conséquences politiques, soit pour regretter son inaboutissement par la voie révolutionnaire. Louis Blanc observe les conséquences de la concurrence anarchique et de l’économie de marché qui ne peuvent aboutir “qu’à la victoire d’un seul, profitant du travail des autres”. Avec une France de plus en plus pauvre, “Les faubourgs des grandes villes regorgent d’une main d’œuvre vagabonde, l’oligarchie financière est omnipotente, et à défaut de voir s’organiser le travail c’est la criminalité qui s’organise”. Comment réguler le travail et assurer une véritable démocratie sociale ? Comment construite l’égalité sans nier la propriété ?
C’est en répondant à ces questions que la vision politique de Louis Blanc prend toute sa dimension, en définissant un socialisme épuré de toutes considérations anarchistes. Parce que Louis Blanc ne veut pas détruire la propriété, au contraire de Proudhon, mais la généraliser !
Ce n’est pas un socialiste utopique, à l’image de Saint Simon, Robert Owen ou Charles Fourier. Son analyse d’historien et de journaliste sur le rôle de l’Etat, de l’entreprises s’inscrit dans une volonté de construite un vrai républicanisme basé sur le droit au travail et la démocratie. “Une vraie république ne peut finalement s’épanouir sans un étroit contrôle des mécanismes de répartition des moyens de l’indépendance des individus et donc sans une étroite surveillance des mécanismes de la société civile et du marché dont la tendance naturelle conduit certains à une situation où ils seront incapables d’échapper à la domination, incapables de faire de choix autonome et de développer pleinement leurs facultés”. La véritable utopie est de croire que la libre concurrence peut autoréguler la société et rendre les hommes libres et égaux.

Une démocratie sociale et républicaine

“La légitimité fait défaut lorsqu’elle consacre des situations de dépossession des individus”, c’est-à-dire de dépendance, de domination, créées par la propriété dont certains peuvent jouir par rapport à d’autres. Chez Louis Blanc la démocratie sociale et l’accès la propriété par tous sont indispensables pour permettre à l’homme de se réaliser et d’accéder à l’égalité. Cette démocratie sociale n’est pas possible sans démocratie politique. Seule l’institution démocratique garantie les droits et les libertés et elle ne peut être que le produit de la volonté de l’ensemble des citoyens, agissant par le biais de l’Etat et de la représentation parlementaire.
Cette volonté d’abolir la dépendance due à l’absence de répartition des moyens de production et des richesses doit s’entendre chez Louis Blanc par ce que certains décrivent comme une “économie sociale et solidaire”, même si cette expression suscite de nombreux débats et imprécisions de part et d’autre. Le socialisme de Louis Blanc est un socialisme au sens “fraternel” et non au sens de l’appropriation collective ou publique des moyens de production. Il défend la nécessité de généraliser la propriété privée parce qu’elle reste la condition de la liberté, à commencer par la propriété de soi-même. C’est une conception libérale du socialisme où l’influence de Rousseau est aussi marquée que celle de John Locke

Le droit au travail et à la liberté

Redistribuer la propriété impose une nouvelle forme de propriété, ce que Louis Blanc appelle et revendique en 1848 “le droit au travail”. Ce droit doit être garanti afin de permettre une liberté égale pour chacun. Il doit en particulier être garanti à celles et ceux qui n’ont pas les ressources matérielles du travail. L’Etat doit pour cela être attentif sur les échanges et les accords, même entre les individus et sur le risque de domination qu’ils peuvent engendrer. Le libéralisme de Louis Blanc n’est pas celui qui s’attacherait au “laisser faire” ou à la concurrence anarchique, dont découle l’anarchie moral. C’est celui qui reconnaît la propriété et veut lui permettre de se consolider à travers un principe d’association, palliant “la recherche continue de l’homme de son propre intérêt dans toutes ses actions”. C’est en fin de compte une recherche d’unité du corps social, s’appuyant sur une unité politique, condition de l’unité morale.
Sa vision démocratique de l’Etat est donc corrélative à son organisation du travail. Le vote est le moyen d’expression permettant “de mandater des personnes pour servir les intérêts des individus à différentes échelles d’associations”, dans l’entreprise, la commune ou l’Etat. Le citoyen travailleur devient souverain dans tous les univers de sa vie.
Le travail de Louis Blanc permet une question que se résumerait ainsi : peut-on être libéral et socialiste ? Les deux thèmes semblent faire bon ménage dans cet ouvrage consacré à un homme, attachant autant d’importance à la théorie qu’à la pratique. On ne peut en tirer de conclusion hâtive pour l’avenir. L’histoire se répète parfois mais les outils et leviers politiques de l’action ne cessent jamais d’évoluer. Néanmoins, cette lecture permet de comprendre plus précisément ce qui change, ce qui ne change pas et ce qui peut changer.