Deux ouvrages complémentaires et indispensables pour lutter contre le Front national.
Un même sujet pour deux approches. À l'aune de l'élection présidentielle, la personnalité de Marine Le Pen et le renouveau annoncé du Front national interrogent ici des femmes et hommes politiques, de droite et de gauche, selon des modalités différentes. Si en mai dernier, l'écrivaine Christine Angot soulignait que "Marine Le Pen plaît à 20% d'entre nous et en fascine 80%" , un récent sondage TNS/Sofres pour France Info, Le Monde et Canal + précisait ce ratio et révélait que 31% des sondés se disaient d'accord ou plutôt d'accord avec les idées du FN. La lecture croisée de ces deux analyses s'avère ainsi d'une nécessité brûlante.
Livre personnel pour Nathalie Kosciusko-Moriset, abécédaire pour Guillaume Bachelay et Najat Vallaud-Belkacem, les deux ouvrages décryptent le vote front national, le programme du parti et son représentant. Une réponse engagée, politique et républicaine à la fascination exercée par la candidate lepéniste, soi-disant "dédiabolisée".
La construction du Front antinational et de Réagissez, répondre au FN de A à Z reflète leur parti pris.
Le premier s'articule classiquement autour d'une introduction ouvertement droitière ("les intellectuels de gauche", "lorsque l'étranger nouvellement arrivé semble réclamer comme un dû les fruits de la solidarité – et de la générosité - nationale", etc.), suivie d'une démystification de la féminité de Marine Le Pen, l'héritière, véritable prélude à une analyse précise et éclairante sur les membres du parti, véritable Front familial, auquel répond de manière assez maladroite un chapitre consacré aux valeurs de progrès portés par la droite.
À l'inverse, l'abécédaire, véritable boîte à outils intellectuels, s'ouvre sur une lettre adressée à un citoyen tenté par le Front national. Le ton direct et enlevé, le tutoiement, ainsi que l'invitation à entrer en discussion annoncent l'objet du livre : "elle dit vouloir être jugée sur ce qu'elle dit et non sur ce qu'elle est ? Banco !". Suit alors, à l'occasion de chaque temps de l'alphabet, un décorticage de l'ensemble de la prose et des idées frontistes, s'appuyant sur un extrait d'un discours, du site Internet du parti, des blogs des dirigeants ou encore de vidéos accessibles à tous. Le mode opératoire est chirurgical. La proposition est développée jusqu'à son terme, soulignant l'impasse d'idées séduisantes, avant de laisser place aux propositions du Parti socialiste.
Afin d'écarter la tentation du vote frontiste engendrée par le charisme de son porte-étendard, que chacun des auteurs reconnaît et comprend, s'opère de part et d'autre une profonde mise à mal d'une illusion savamment entretenue. Le vernis d'un personnage remodelé depuis quelques mois par les médias ne résiste pas à l'analyse. Quelle soit d'une historicité immédiate, par le jeu des discours prononcés au sein ou hors des meetings, ou au contraire lointaine, par le rappel nécessaire du parcours idéologique de Marine Le Pen.
Les développements sur les expériences locales avortées des années 1990 se révèlent particulièrement éclairants quant à la mise à l'épreuve d'un programme presque inchangé. Le constat de la gestion de ces municipalités, ces "mini-France" selon Guillaume Bachelet et Najat Vallaud-Belkacem, est édifiant : recettes amoindries, chute des investissements, baisse des subventions aux associations, réduction de l'action sociale et surtout initiatives anti-républicaines (fichage ethnique, primes à la naissance, détournements de fonds publics, etc). Nathalie Kosciusko-Morizet le résume d'une formule sans appel : "outrances et ruine". L'actuelle ministre de l'écologie opère à la suite une comparaison inédite avec les partis extrémistes européens, qui ont toujours majoritairement refusé de soutenir le Front national.
En matière économique, le constat est le même. En apparence, entre le père et la fille il est indéniable qu'un changement de cap radical est annoncé, avec le passage d'un créneau ultralibéral à des mesures réactionnaires et classiques, pour l'une, et d'un tatchérisme bon teint à une politique inspirée des travaux de Thomas Piketty, pour les autres. Néanmoins, tous soulignent l'approximation dangereuse de ce programme incohérent et réducteur qui creuserait davantage l'inégalité fiscale des citoyens. Aucune mesure n'est chiffrée, aucune dépense n'est compensée, seul l'effet d'annonce demeure .
Si l'immigration constitue avec l'économie un des piliers du livre de Nathalie Kosciusko-Morizet, son traitement empiète sur les terres du Front national, en abusant d'une rhétorique axée sur une "immigration de complaisance, qui fait un usage abusif des allocations chômages et familiale", rendant prioritaire "la lutte contre ces abus". Et cela, alors que le parti de Marine Le Pen feint d'ignorer des mesures existantes en raison de l'action du gouvernement actuel, comme le souligne Madame la ministre. La seule démarcation transparaît alors au détour de son histoire personnelle et du rejet de la binationalité prôné par le parti frontiste.
Les deux temps distincts de la rédaction se retrouvent dans le choix des thématiques. Réduites dans Le front antinational, elles sont en revanche pléthoriques dans Réagissez, véritable avant-projet politique, balayant chacun des sujets de la campagne. Une telle différence est également illustrée par la rigueur de l'analyse. Là où l'ouvrage de Nathalie Kosciusko-Morizet reste en surface, les deux auteurs de Réagissez s'arment de chiffres, de références et de comparaisons afin de combattre les idées reçues sur le Front national et son représentant. Et ce pari est bien plus convaincant
En définitive, les deux partis pris sont sous-tendus par deux stratégies politiques opposées, à l'image de la place occupée respectivement par les trois auteurs.
L'ouvrage de Nathalie Kosciusko-Morizet s'appuie sur une critique du Front national afin de soutenir un bilan personnel, en tant que maire de Longjumeau, et collectif, en raison de sa fonction de ministre de l'écologie appartenant au gouvernement en place. Le propos alterne alors insensiblement entre opposition et séduction, en vue de rallier les électeurs issus et déçus par la droite républicaine.
En revanche, les écrits de Guillaume Bachelay et Najat Vallaud-Belkacem promeuvent davantage les idées du projet du Parti socialiste, détaillées, expliquées, justifiées. L'adresse initiale au citoyen résonne comme une main tendue vers l'électorat ouvrier désabusé par un discours socialiste médiatiquement trop peu attentif à ses attentes. Ici les thématiques chères à Guillaume Bachelay, coordonnateur de la rédaction du projet socialiste, prennent corps et permettent au lecteur républicain, de droite ou de gauche, de comprendre le Front national afin de mieux le contrer