Dans un article publié hier sur son site internet, le Global Times accusait les puissances de l’ouest d’instrumentaliser les moines bouddhistes par l’intermédiaire du Dalaï Lama. S’il évoquait une série d’immolations par le feu, initiée en mars 2011 par un bonze du monastère de Kirti, c’était pour y déceler l’ombre d’un complot occidental, par ailleurs prouvé par l’inclinaison de la presse internationale à évoquer ce phénomène uniquement sous l’angle de la " persécution religieuse " menée par le gouvernement chinois   .

La mention des médias européens dès la première phrase de cet article nous met immédiatement sur la piste : nous sommes ici au cœur d’une guerre médiatique. Sur ce terrain miné, la juste appréciation des sources est essentielle. Précisons donc que le Global Times est la version anglaise du quotidien chinois Huan Iu Shi Bao. Suivant la ligne éditoriale du journal officiel, le Quotidien du Peuple, ce dernier, créé en 1993 s’est spécialisé dans l’analyse des affaires internationales. Lancée en 2009, la version anglaise, elle, traite davantage de politique intérieure et s’adresse aux étrangers. Il s’agit donc d’un canal, à vocation mondiale, de la propagande gouvernementale chinoise.

Le propos de l’article est simple. Il s’agit de nier la responsabilité des autorités chinoises dans cette série de suicides politiques grâce à une technique ancestrale dont l’efficacité n’est plus à prouver : la désignation d’un autre coupable. C’est ainsi le Dalaï Lama lui-même qui est incriminé dès le titre (" Le Dalai se sert du suicide à des fins politiques ") comme le grand responsable de ces tragédies   . Le chef spirituel du bouddhisme et ses partisans sont alors présentés comme un groupe d’intérêt à la solde de l’occident dont l’unique but serait de déstabiliser la puissance chinoise de l’intérieur, et non de libérer le Tibet, ou, pour reprendre exactement les mots du texte, " les provinces tibétaines chinoises ".

Trop visibles, ces ficelles peuvent faire rire. Mais – et cet article en est aussi la preuve – il est des façons plus insidieuses de déplacer les frontières manichéennes entre les bons et les méchants. En condamnant également le Dalaï Lama pour son non respect des valeurs bouddhistes, lui qui célébrerait les immolés comme des héros, en ne diabolisant jamais les bonzes comme des fauteurs de troubles, mais en les évoquant toujours à travers un vocable victimaire, l’article transforme par magie le gouvernement chinois en défenseur de la religion bouddhiste. A voir le crédit grandissant accordé au Global Times,   là se situe sans doute le vrai danger