Recueil organisé d’articles qui met en lumière les rapports entre l’Antiquité méditerranéenne et le judaïsme.

Parmi les différentes enquêtes que mène l’auteur, la première cible les premières représentations que les Grecs se font des Juifs. C’est à la fin du IVème siècle avant notre ère qu’on trouve trace d’une rencontre entre les Juifs et les Grecs. La première désignation qu’utilisent les Grecs pour parler les Juifs est celle de " peuple de philosophes nés " - qui donne son titre à l’ouvrage. Cette première mention des Juifs chez un Grec, en l’occurrence Théophraste, dérive du fait que cet auteur met au centre de ce qu’il connaît du judaïsme leur monothéisme. Or en Grèce, le monothéisme est plus qu’une religion, c’est une position éminemment philosophique ; dès lors un peuple entièrement monothéiste ne peut qu’être un peuple de philosophes. A ce premier portrait élogieux des Juifs s’ajoute une autre caractéristique positive, celle par laquelle on pense " Moïse nomothète ". On doit cette expression à Hécatée d’Abdère. Cette représentation de Moïse en fait un législateur inspiré semblable aux législateurs vénérables de la polis naissante. Mais cette " image globalement positive "   du Juif va être rapidement contrebalancée par une autre, relayée par toute une série d’auteurs égyptiens, qui fait des Juifs un peuple séparatiste et qui relit l’épisode de l’Exode en mettant à l’origine de ce dernier le fait que les Juifs sont des étrangers indésirables, malades et contagieux. Et les Grecs eux-mêmes reprennent ensuite aux égyptiens leurs critiques à l’égard des Juifs qu’ils accusent de ne pas respecter les règles de l’hospitalité car ils refusent de se rendre aux cérémonies pour les autres dieux et de partager leur repas avec les non-juifs. Dès lors résulte de cette première rencontre entre Juifs et Grecs une image ambiguë du judaïsme, haute pensée ternie par des comportements que les Grecs jugent inadéquats avec l’idée qu’ils se font d’une humanité accueillante.

A partir de cette première rencontre et d’autres analyses ponctuelles de la façon dont les Juifs sont perçus dans l’Antiquité, l’auteur réfléchit à l’antijudaïsme antique. Prenant position dans un vif débat opposant ceux qui pensent que l’antijudaïsme naît avec le christianisme et ceux qui prétendent en trouver les premières manifestations bien plus tôt, Joseph Mélèze Modrzejewski prend parti pour les seconds. Dans l’antijudaïsme païen, ce qui est d’abord reproché aux Juifs, c’est leur insociabilité, leur amixia. Les juifs se mettent à l’écart des autres peuples. Ce n’est qu’ensuite qu’on leur reproche leur athéisme ou leur impiété, notamment à l’égard des cultes officiels de la religion établie. A ces griefs s’ajoutent des fables antijuives d’origine égyptienne, et qui versent dans l’irrationnel   . Ce sont elles qui permettent à l’auteur d’affirmer qu’il y a un authentique antisémitisme, et non quelques reproches visant telle ou telle attitude qu’on trouverait fréquemment dans le judaïsme.

Cette présentation des origines de l’antisémitisme païen permet aussi de comprendre l’impossible synthèse du judaïsme avec l’hellénisme. Contrairement à ce que croyait le fondateur de l’histoire hellénistique, J. G. Droysen, le monde hellénistique est une période de rencontres, de tensions, de crises politiques, religieuses et identitaires, mais n’est pas chemin de symbiose, fertile et pacifiée union de peuples, d’idées et de territoires. L’entité dénommée " judéo-christianisme " qui aurait eu pour cadre le monde hellénistique, qui serait censée traduire le fait que nous sommes aujourd’hui encore héritiers des Grecs et les Juifs, n’est pour l’auteur qu’une fiction. Les relations entre Juifs et Grecs sont à penser comme antagonistes, voire conflictuelles, et non comme symbiotiques ou harmonieuses. De l’impossibilité d’être dans les faits à la fois pleinement Juif et pleinement Grec ne peut résulter un illusoire composite, le judéo-hellénisme, qui soit une synthèse de ces deux civilisations vivante et cohérente   . En effet, les Juifs, comme d’autres peuples n’intéressent ceux qui les conquièrent d’abord que d’un point de vue économique. Il n’y a pas une grande curiosité grecque pour le judaïsme, et si les Juifs cherchèrent à s’accommoder du mode de vie grec, l’inverse est faux, tant l’helléno-centrisme est vif   . Les Grecs restent prisonniers de leurs préjugés ; les Juifs de leurs illusions. Conquis par les Grecs, les Juifs sont éblouis par leur culture et leur puissance. Ils aspirent à participer à leur civilisation, à prendre part à la nouvelle société instaurée par les conquérants. Mais cette illusoire aspiration est une déception : l’admiration des Juifs pour les Grecs n’est pas réciproque, et tous les rêves de cohabitation harmonieuse entre Juifs et Grecs, malgré les efforts juifs pour se conférer une grandeur véritable de multiples façons   , trouveront leur limite. La vraie difficulté reste pour le Juif de vivre le mieux possible avec des Grecs en demeurant le mieux possible Juif, c’est-à-dire en s’efforçant de respecter au mieux les lois et les rites juif dans un monde régi par les valeurs et les principes grecs.
 
L’auteur prend le temps d’étudier brièvement différentes communautés juives qui ont laissé des traces permettant de se faire une idée de la façon dont ces communautés étaient juridiquement intégrées et réglées, notamment en comparant les législations des pays dans lesquels ces communautés vivaient et ce qu’on sait des rites et des institutions du judaïsme de ces époques. Judaïsme alexandrin, romain ou palestinien sont étudiés. L’auteur s’attarde ainsi sur la compatibilité à un moment de l’histoire romaine entre circoncision et droit romain, comme sur le rapport entre législation romaine sur le divorce et interprétations de la Torah.  Ces analyses sont complétées par des remarques sur la fiscalité et les persécutions contre les Juifs.

La dernière partie de l’ouvrage est consacrée au problème de la matrilinéarité juive. En effet, selon la loi rabbinique encore en vigueur, est juif celui ou celle dont la mère est juive. Or cette matrilinéarité est apparemment en contradiction avec la loi biblique qui privilégie la position du père (en particulier dans règles pour établir liens de parenté dans le cadre des successions, ou dans la transmission du sacerdoce héréditaire). Selon l’auteur, ce qui est l’origine de la matrilinéarité, c’est la situation démographique du judaïsme, dévasté par la répression de révoltes et les persécutions. Après ces terribles événements, il ne restait essentiellement que des femmes (les hommes ayant été tués, captifs ou déportés). Il fallut alors " puiser hors de la communauté juive l’élément masculin qui lui manquait. "   En effet, comme l’édit d’Hadrien   , qui voulait mettre un frein au prosélytisme juif interdisait la circoncision à tous ceux qui n’étaient pas juifs de naissance, il était extrêmement difficile pour un homme de se convertir au judaïsme. La seule solution fut donc de transmettre la judéité par la mère, et c’est cette idée qui figure dans la Michna   . Comme le souligne l’auteur, " en définitive, quels que soient ses antécédents historiques, le principe de la matrilinéarité n’a prévalu dans le judaïsme rabbinique que grâce à un privilège conféré aux Juifs par le pouvoir impérial de la Rome païenne. Le caractère éminemment contingent de cette réglementation est patent. C’est pour avoir voulu protéger l’intégrité physique des esclaves que la législation impériale s’est engagée dans la voie qui, à la longue, devait conduire à la confirmation normative du principe de la filiation maternelle pour les Juifs. " (p. 422).