* Najat Vallaud-Belkacem, porte parole de François Hollande pour la campagne présidentielle et Jean-Loup Amselle, directeur d’études en ethnologie et anthropologie à l’EHESS répondent aux questions de nonfiction.fr autour du thème culture et diversité, deuxième volet de la série Cultures en débat.
Nonfiction.fr - Aux prochaines élections législatives, " la gauche passe enfin à la couleur ", pour reprendre le titre d'une une de Libération, au prix de quelques coups de force et parachutages, est-ce pour vous un sujet de satisfaction ?
Najat Vallaud- Belkacem – Aujourd'hui, sur les 555 députés de métropole, trop rares sont ceux à porter sur leur visage ou dans leur parcours cette " diversité " qui caractérise pourtant d’évidence la société française. Pour les élections législatives de 2012, le Parti Socialiste a investi 25 candidats d’origine étrangère, mais aussi des candidats au parcours original ; voyez par exemple Axel Kahn qui défendra nos couleurs dans la 2ème circonscription de Paris. Il s'agissait avant tout pour le PS non pas tant de mettre quelques individus en avant en raison de leur origine, que de permettre à l’assemblée de refléter réellement la composition véritable du pays. L'action volontariste du PS en la matière est une manière de briser le plafond de verre, comme cela a été fait avec la parité il y a plus de dix ans maintenant et d'amorcer une dynamique vertueuse.
Nonfiction.fr - Une note de Terra Nova encourageait le Parti Socialiste à s'adresser à « la France de demain » assimilée pour une large part à " la France de la diversité ", plutôt qu'à la classe ouvrière. En faisant de la diversité un étendard, pour les législatives futures, le Parti Socialiste obéit à des motivations clientélistes ?
Najat Vallaud-Belkacem – Le rapport de Terra Nova est un travail de sociologie électorale qui analyse les dynamiques à l'œuvre. Il ne propose aucunement, contrairement à ce que raconte la propagande UMP, d'abandonner les classes populaires. Le Parti socialiste est un parti républicain. Il s'adresse à tous les français sans distinction d'origine sociale ou ethnique. Opposer les " Français issus de la diversité " aux classes ouvrières n’a aucun sens. D’abord parce que je vous rappelle que beaucoup d’ouvriers sont eux-mêmes des enfants de l’immigration, ensuite parce qu’ils partagent souvent les mêmes difficultés : chômage élevé, précarité dans le travail, difficultés d'accès au logement, déclassement... Ce sont les premières victimes de la crise et surtout de la politique injuste menée par le gouvernement, politique fiscale, politique sociale et puis politique de stigmatisation de tous ceux en qui on préfère voir des " assistés " voire des " classes dangereuses " plutôt que des gens qui ne demandent qu’à travailler et qu’à s’intégrer, les deux étant évidemment liés. Il est du devoir de la gauche de recréer la cohésion sociale tant mise à mal par ces années de désignation de boucs émissaires.
Nonfiction.fr - En relayant les revendications croissantes des particularismes culturels, la gauche n'encourage-t-elle pas un communautarisme nuisible à la cohésion nationale ?
Najat Vallaud-Belkacem – Ce qui nuit à la cohésion nationale ce sont les inégalités éducatives, économiques, sociales et les discriminations qui frappent aujourd’hui encore tant de gens. Entre le républicanisme pur et dur, qui sous couvert d'égalité formelle, en oublie l'égalité réelle et le différentialisme qui enferme dans un déterminisme originel, une troisième voie existe, celle de ce que j’appelle " l'égalité des opportunités " : donner à chacun les moyens de son émancipation en lui offrant les moyens de sortir de l’assignation à résidence dans une " origine ", un genre, une religion ou un quartier. L'idée n'est pas de donner des droits spécifiques à certaines catégories de la population mais bien d'assurer l'égalité réelle entre tous les citoyens et d’être collectivement conscients et fiers de la diversité de la population française.
Nonfiction.fr - Le risque n'est-il pas que le candidat de la gauche soit celui des minorités visibles, quand une Marine Le Pen se pose en candidate des " invisibles " ?
Najat Vallaud-Belkacem – Mais voyons, les minorités visibles font partie des " invisibles ", ces outsiders qui restent aux portes du marché du travail, aux portes des responsabilités politiques, aux portes de ce que certains cherchent à faire passer pour "l’identité nationale ", dans une société qui se construit sans eux. Marine Le Pen fait un tri dans les " invisibles ". Il y a selon elle les " bons invisibles " et les " mauvais invisibles ". Elle a fait de la division de la France son fonds de commerce. Comme Nicolas Sarkozy, elle découpe la société en rondelles pour mieux la diviser, créer une stratégie de tension, dont elle espère tirer des bénéfices personnels. La République est et doit rester une et indivisible. Dans le fond, ne sont invisibles que ceux qu’on ne veut pas voir : il faut regarder la France en face.
Nonfiction.fr - Dans une tribune publiée dans Le Monde à l'automne 2011, Jean-Loup Amselle accusait la gauche d' "abandonner le terrain des luttes économiques au profit de l'affirmation d'identités ethniques et raciales ". Ce jugement est-il fondé selon vous ?
Najat Vallaud-Belkacem – C’est réduire son propos à l’excès... et formulé ainsi, je ne peux que le contester en bloc. D’abord parce que " l'affirmation d'identités ethniques et raciales " n'a jamais fait partie du programme du Parti socialiste. Ensuite parce que la protection et la conquête de droits sociaux ainsi que le développement d'une économie régulée au service de l'humain et notamment des plus défavorisés est au cœur du projet de François Hollande. Face à la montée du chômage et de la précarité, notamment chez les jeunes, les luttes économiques et sociales sont primordiales. C'est dans ce sens que François Hollande a fait de la jeunesse son thème principal de campagne afin que la prochaine génération ne vive pas moins bien que l'actuelle. C’est aussi pour cette raison qu’il est si attaché à une réforme fiscale en profondeur qui permette de rétablir la progressivité et donc la justice de l’impôt. Face au gouvernement qui a instauré le bouclier fiscal et supprimé l'impôt sur la fortune tout en créant une trentaine de nouvelles taxes qui pèsent sur les classes populaires et moyenne, les efforts nécessaires au retour à l'équilibre des comptes publics doivent être justement partagés. Maintenant, il est certain que la lutte des classes n’est plus l’alpha et l’oméga de la pensée de gauche, et que les questions de société ont leur place au Parti socialiste… si c’est cela qu’il voulait dire.
Nonfiction.fr - Faute de parvenir à l'idéal de démocratisation culturelle qui promettait la " culture pour tous ", n'est-on pas en train de défendre la culture de et pour chacun des groupes culturels ?
Najat Vallaud-Belkacem – La culture pour chacun est une théorie fumeuse. C'est une politique déterministe, de repli et de division. C'est la culture pour personne. La culture pour tous est un idéal du Parti Socialiste qu'il défend aujourd'hui plus que jamais. Tout d'abord c'est la culture accessible à tous. Dix ans de politique de droite ont fait beaucoup de mal à la démocratisation culturelle, les primo-visiteurs, les jeunes et les ouvriers sont aujourd'hui moins nombreux à fréquenter les salles de spectacles ou les musées qu'il y a dix ans. La priorité culturelle de la gauche est de parvenir à une réelle diversification des publics. Cela passe par le développement de l'éducation artistique et culturelle à l'école, mais aussi par le développement de la médiation culturelle. C'est aussi la valorisation de la culture de tous. La diversité culturelle est une richesse pour notre pays et pour l'humanité. Les cultures populaires, émergentes, urbaines ou étrangères sont trop souvent déconsidérées par rapport à la culture considérée comme élitiste. Or c'est cette diversité qui contribue à l'enrichissement du patrimoine culturel. C'est le croisement des différentes formes de culture qui est à l'origine d'innovations. Surtout, cette diversité culturelle permet d'aller à la rencontre de l'autre, de lever les préjuger et favorise le vivre ensemble.
Nonfiction.fr - Dans la contribution au projet culturel du Parti socialiste, proposée par le Secrétariat national à la culture, on trouve 19 fois le mot de " diversité ". Il est question, à deux reprises seulement, de " multiculturalité " et de sociétés "multiculturelles ". Ces mots sont-ils devenus tabous au PS, après qu'Angela Merkel et David Cameron ont fait le constat de l'échec du multiculturalisme ?
Najat Vallaud-Belkacem – Le multiculturalisme n'est pas un mot tabou. Mais au même titre que la diversité c'est un mot polysémique. Or le sujet qui nous concerne a besoin de précision pour éviter les amalgames et les incompréhensions. Personnellement, dans le cas présent, je préfère que l'on utilise le terme de pluralité. Celui-ci me semble plus adapté pour décrire une société consciente de la richesse de son corps social, mobilisée pour la cultiver et donner un sens à un principe d'égalité qui reconnaisse les individus dans leur singularité.
Nonfiction.fr - " Puisque nos sociétés sont désormais multiculturelles ", lit-on dans le même texte, le rôle du politique doit être défini de manière nouvelle : il lui revient d' " organiser la confrontation de plusieurs communauté interprétatives et instaurer des espaces d'intercession " . Plutôt que d' " intégration ", la gauche préfère parler de " confrontation " et d' " intercession " ?
Najat Vallaud-Belkacem – L'idée est de favoriser le dialogue entre les cultures et d'éviter résolument la confrontation entre les différentes communautés. Le rôle du politique c'est d'organiser le vivre-ensemble dans une société riche de sa diversité. C'est aussi de mettre cette diversité au service de la société et des individus qui la composent.
Nonfiction.fr - En 2007, Ségolène Royal avait imposé dans la campagne présidentielle le concept de " République métissée ". Quels dispositifs concrets François Hollande mettra-t-il en oeuvre pour que ce mot d'ordre se traduise dans les faits ?
Najat Vallaud-Belkacem – La République métissée passe par le respect de la pluralité des individus qui la composent. Ce respect doit s'inculquer dès l'école. C'est notamment pour cela que François Hollande a fait de l'école la première de ses priorités. Il augmentera les moyens en faveur de la politique éducative et recréera des postes d'enseignants supprimés par la droite. La lutte contre les discriminations sera renforcée, que ce soit par l'instauration du CV anonyme ou par l'expérimentation de l'attestation de contrôle d'identité afin d'éviter les contrôles de police au faciès. Enfin, si la gauche arrive au pouvoir, elle instaurera le droit de vote et l'éligibilité aux élections locales pour les étrangers en situation régulière résidant dans notre pays depuis cinq ans.
Nonfiction.fr - " Réenchanter le rêve français ", c'est défendre une France multiculturelle et diverse ou plaider pour une République une et indivisible, soudée autour de valeurs culturelles communes ?
Najat Vallaud-Belkacem – Entre une république une et indivisible d'un côté et le multiculturalisme de l'autre, il existe un espace pour une République qui reconnaisse la richesse de la pluralité. " Réenchanter le rêve français " c'est faire que chacun trouve sa place dans la société et que la société s'enrichisse de chacun de ses membres. C'est faire que la France renoue avec ses idéaux de justice, de progrès, d'émancipation, d'égalité et de fraternité