Retour sur le projet d'une ville nouvelle à la pointe de nombreux choix sociétaux comme le développement durable ou la démocratie participative.

En 1968, la section francophone de l'Université catholique de Leuven se voit contrainte de déménager dans un contexte d'oppositions fortes avec la communauté flamande. Les compensations financières qu'elle parvient à obtenir et l'autonomie dont elle bénéficie vont lui permettre de développer une stratégie de programmation urbaine et architecturale singulière pour décider des modalités de sa nouvelle implantation.

Alors que l'explosion démographique des effectifs étudiants et la montée des mouvements contestataires ont conduit, à la même période, des pays comme la France à construire des universités à la périphérie des grandes agglomérations en invoquant le modèle du campus sans les doter toutefois des mêmes conditions d'accueil que leurs homologues anglo-saxonnes, la communauté universitaire francophone de Leuven refuse d'être parachutée "dans un champ de betterave" et décide d'inventer un site urbain "à échelle humaine". Pour cela, elle fait travailler conjointement ses services administratifs et techniques, un comité d'habitants et un groupe de professionnels pluridisciplinaire, Urbanisme et Architecture, qui aura la responsabilité de la conception urbanistique du nouvel espace. Se construit alors de façon collective, dans un jeu de tensions et de négociations entre différents acteurs, le schéma directeur non pas d'un site universitaire mais d'une ville nouvelle. Ce document qui permettra à l'université de garder la maîtrise de son projet articule étroitement échelles urbaines et architecturales. Il met en scène des interactions sociales entre des espaces d'activités de nature différente afin de créer un "urbanisme relationnel" en rupture avec les approches fonctionnalistes traditionnelles, sans verser non plus dans le concept du "tout intégré". On constate alors que l'expérience de Louvain-la-Neuve est d'autant plus intéressante qu'elle a été à la fois portée par une vision urbanistique utopique et par une approche pragmatique liée à une obligation de résultat, deux ambitions qui conduiront en fait à bon nombre d'innovations.

Jean Rémy, professeur émérite à l'université catholique de Louvain et théoricien inspiré de la sociologie urbaine contemporaine, a été un observateur attentif de ce projet d'urbanisme depuis ses origines. Il nous en présente la genèse et l'évolution du point de vue de sa conception et de sa conduite, à partir d'une démarche d'évaluation qu'on souhaiterait voir appliquer plus souvent pour nos opérations en France, même si, comme le souligne l'auteur, le récit qu'il nous propose ne traverse qu'une partie des multiples dimensions du projet. Bien que Jean Rémy mette en garde à juste titre contre la tentation d'une évaluation globale compte-tenu de la multiplicité des angles d'approche possibles, le bilan à ce jour de l'expérience de Louvain-la-Neuve paraît assez positif eu égard à ses ambitions initiales mais aussi par rapport à des défis futurs. La ville s'est par exemple inscrite avant l'heure dans une logique de développement durable tant par la prise en considération d'éléments environnementaux que par l'instauration d'un fonctionnement démocratique local de type participatif, deux principes qui la caractérisent aujourd'hui et qui structuraient déjà l'esprit de cette aventure il y a quarante ans.

À l'heure où les universités françaises sont sur le point de se voir confier la gestion de leur patrimoine immobilier dans le cadre de la loi d'orientation sur l'autonomie votée l'été dernier, les enseignements de l'expérience qui nous est ici relatée, même s'ils méritent bien sûr d'être recontextualisés, devraient être médités par nos établissements d'enseignement supérieur, mais pas seulement. Ils concernent en fait tous ceux qui s'intéressent à l'exercice de la maîtrise d'ouvrage urbaine et à la notion de modernité dans le champ de l'aménagement de l'espace.


*Cette critique a été précédemment publiée dans la revue Urbanisme : voir urbanisme.fr


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