En réunissant différentes archives familiales, Nicolas Pagnol rend hommage à son grand-père en découvrant la personnalité hors du commun de ce touche-à-tout écrivain et réalisateur.

Marcel Pagnol naît en 1895 à Aubagne, dans les Bouches-du-Rhône. Fils d’un instituteur laïc et attaché à la République, Joseph Pagnol, et d’Augustine, jeune femme d’une santé fragile. Il est l’aîné d’une famille de quatre enfants (Paul, Germaine et René). Très attaché à sa famille, il la mettra au cœur de ses romans les plus connus. Son environnement représente également pour lui une importante source d’inspiration, comme un passé idéalisé. La Bastide neuve, maison que louaient les Pagnol pour les vacances, Marseille, Aubagne et le village de La Treille seront les points d’ancrages de ses pièces, scénarios et romans.

On connaissait ces pans de la vie de Marcel Pagnol et on les retrouve avec plaisir dans le livre de Nicolas Pagnol, mais ce qui rend cet ouvrage si intéressant ce sont toutes ces photographies de tournage où on le découvre en réalisateur, entouré d’une bande d’acteurs (Fernandel, Raimu) devenus ses amis ; ce sont ces extraits de manuscrits où l’on devine, sous le trait assuré de son écriture, toute l’importance que représentait pour lui de coucher sur papier ses souvenirs d’enfance ; ce sont ces représentations de lui, entouré de ses amis écrivains (Jean Giono, Albert Cohen) ; et ce sont, enfin, ces instants presque volés de sa vie de famille. Son père, Joseph, figure emblématique et presque familière pour tous ceux qui ont lu puis vu La Gloire de mon père et Le Château de ma mère, son frère Paul, dernier berger des collines et atteint de troubles psychologiques, puis sa femme Jacqueline, son fils Frédéric et sa fille Estelle, décédée très jeune.

On découvre également un homme extrêmement attaché à sa liberté. Dès 1930, Marcel Pagnol se tourne vers le cinéma qu’il voit comme une image parlante, parfaite pour mettre en scène ses créations. Il s’attelle à adapter pour le grand écran ses pièces de théâtre. Le succès, qui a déjà entouré toutes ses représentations théâtrales, se retrouve au cinéma et, lorsque Marius sort au cinéma grâce à la Paramount, pour la première fois l’auteur du scénario est mis en avant au détriment des acteurs et du metteur en scène. Mais, bientôt, et c’est ce que montre très bien Nicolas Pagnol, révolté par les dépenses des studios et les changements imposés dans le scénario, Marcel Pagnol décide de créer deux sociétés, Les Auteurs associés et, plus connu, Les Films Marcel Pagnol. Dans l’article annonçant la création de ces deux sociétés, on peut lire : “Marcel Pagnol réussit à grouper autour de lui un état-major dans lequel règle un véritable esprit d’équipe. À sa tête est placé naturellement M. Marcel Pagnol secondé d’hommes qu’il a choisi avec un grand discernement : René Pagnol, directeur de production ; Marcel Gras, administrateur des Auteurs associés et directeur de production ; Charles Brun, réalisateur (Léopold le bien-aimé). Enfin, Charles Fasquelle, l’éditeur bien connu et administrateur des Auteurs associés.”

Marcel Pagnol s’entoure de personnes dans lesquelles il a confiance et avec qui il va pouvoir réaliser ses films, selon ses propres termes. Sur ce même document, on lit : “Avec Marcel Pagnol, plus de metteur en scène interposé entre son œuvre et lui-même ou, s’il l’accepte, le metteur en scène travaille en étroite collaboration avec lui. Plus de films passant de mains en mains avant la sortie du public […]. Avec des idées neuves concernant le cinéma, Marcel Pagnol est entré dans la lutte.” Premier réalisateur à s’affranchir des studios, indépendant, Marcel Pagnol peut enfin laisser libre cours à ses idées de mises en scène et réaliser les films qu’il souhaite. C’est ce qu’il fait avec Angèle, adaptation du roman Un de Baumugnes de son ami Jean Giono et c’est ce qu’il fait en réalisant trois fois sa pièce Topaze (la première version fut réalisée par Louis Gasnier, avec Louis Jouvet et produit par les studios Paramount ne lui convient pas, il en réalise une seconde en 1936 avec Antoine Arnaudy dans le rôle principal mais qui ne lui plaît pas. Finalement, en 1951, il réalise la version définitive avec Fernandel, c’est la plus connue). Peu à peu, auréolé de succès, le logo des films de Marcel Pagnol devient un gage de succès.

En 1932, Marcel Pagnol créé ses premiers studios à Marseille. Ces studios viennent compléter son agence de distribution, sa société de production, ses laboratoires et ses salles de cinéma. Nicolas Pagnol l’écrit : “Cet outil lui permet de réaliser les films qu’il souhaite en toute indépendance.” Dès lors, il ne se refuse rien. Il est le premier réalisateur à tourner en décors naturel (grâce à des camions lui permettant de capter le son), dans les paysages de son enfance, il reconstruit des pans entiers de village pour ses films, ainsi les décors de Regain, adapté du roman de Jean Giono, réalisé en 1937. Une église de dix-huit mètres de haut est créée, des maisons sont bâties. Comme le dit Nicolas Pagnol, “tous les matériaux nécessaires à la construction furent acheminés à dos d’hommes par un sentier de muletiers. Il subsiste encore aujourd’hui quelques vestiges du village”.

Malgré ses occupations en tant que réalisateur et producteur, Marcel Pagnol n’en oublie pas moins d’écrire, et ce d’autant plus que la vente de ses romans lui permet de faire vivre ses studios. C’est ainsi qu’il rédige La Femme du boulanger, qu’il s’empresse de mettre en scène avec l’inoubliable Raimu. C’est également de cette façon qu’il écrit La Fille du puisatier. Mais les événements viennent ralentir la cadence. Lorsque la France capitule et que l’Occupation débute, les Allemands pressent Marcel Pagnol pour qu’il travaille pour eux. Ne voulant ni collaborer ni vendre ses studios aux Allemands – ce qui arrivera s’il n’accepte pas – Marcel Pagnol prétend être devenu aveugle et vend ses studios à la société française Gaumont. Selon Nicolas Pagnol, “cette époque marque la fin du rêve de Marcel Pagnol : construire un centre de production cinématographique au château de la Buzine, acheté pour mener à bien ce projet, et qui ferait du cinéma français un dangereux concurrent face aux réalisations étrangères”. Puis la guerre s’achève et, accompagnée de sa jeune femme, l’actrice Jacqueline Bouvier, épousé en 1945, il tente de retrouver une certaine stabilité. Il est nommé président de la SACD et refuse la chasse aux sorcières. Aucun auteur ne sera condamné pour collaboration. Et les événements s’enchaînent : en 1947, il est nommé à l’Académie française et, en 1948, son rêve de créer une production française capable de concurrencer les Américains prend forme mais l’arrivée de la couleur repousse son ambition. Il tourne alors Manon des sources dans les paysages brûlants de Provence.

À la mort de leur fille, Estelle, le couple décide de s’installer à Paris avec Frédéric, leur fils. Marcel Pagnol continue de tourner, et met en scène Les Lettres de mon moulin d’après Alphonse Daudet. Mais ses difficultés personnelles et son impossibilité de mettre sur pied son grand projet d’indépendance totale des studios le poussent à mettre un terme à sa carrière cinématographique et retrouve son besoin d’écrire. Il retravaille ses scénarios, ajoute celui de Jean de Florette, reprend sa trilogie Les Souvenirs d’enfance, semble trouver, selon Nicolas Pagnol, un “équilibre et une force créatrice”. L’ouvrage de Nicolas Pagnol ne s’achève pas avec le décès de Marcel Pagnol en avril 1974. Il va plus loin en nous ouvrant les portes d’un autre côté de la personnalité de l’écrivain : sa curiosité scientifique. Créateur curieux et inventeur, il cherche à apporter le progrès à tous les aspects de sa vie. Ainsi, on découvre la Topazette, sorte de voiture accessible au peuple mais qui ne dépassera pas le stade du prototype. En 1955, il crée également une foreuse pour assurer l’arrivée de l’eau au domaine de l’Étoile.

Marcel Pagnol est entré dans la mémoire collective grâce à ses romans, empreints de sa jeunesse dans le sud de la France. Ainsi, La Gloire de mon père, Le Château de ma mère, Le Temps retrouvé font ressentir aux lecteurs la vie de la famille Pagnol. Sa famille, ce monde-là, Nicolas Pagnol l’idéalise et le retranscrit comme un bonheur perdu. Grâce aux photographies et aux textes – notamment l’oraison funèbre prononcée par Marcel Pagnol lors de l’enterrement de Raimu – on a envie de se replonger dans les textes et les films de l’académicien car, s’ils sont basés sur son enfance, ils ont bercé la nôtre.