Les réactions de l'affaire DSK passées à la loupe dans ce collectif féministe.

Définition

La définition de l'expression un "troussage de domestique", reprise en titre par un collectif coordonné par Christine Delphy, est on ne peut plus claire. Péjorative et archaïque, elle décrit le fait d'avoir des relations sexuelles avec le personnel de maison. On se place donc du côté du "maître". Dans le langage commun, vulgairement dit, un troussage de domestique implique que l’homme "se tape la bonne". Les clichés ont la vie dure. C’est, en tous cas, la seule constatation possible devant la réaction de Jean-François Kahn qui estimait que le comportement de son ami Dominique Strauss-Kahn- accusé de tentative de viol sur une femme de chambre dans son hôtel new-yorkais en mai 2011-, n‘était pas si grave que cela.

Les symboles ont, eux aussi, toute leur importance. De nombreux politiciens, et politiciennes, ont pris la parole en publique pour défendre M. Strauss-Kahn. "Ce n'est pas son genre", "cela ne peut être qu'un complot", a-t-on entendu. Il est vrai qu'au beau milieu d'une échéance électorale, cela ne pouvait pas plus mal tomber. Comme si la position de M. Strauss-Kahn, en tant que favori du Parti socialiste à l'élection présidentielle 2012, avait été un bouclier. Mais cela va encore plus loin. C'est comme si un homme politique, cultivé et mondialement reconnu, de surcroît blanc, ne pouvait pas être coupable de tels faits.

Devant tant d’hypocrisie, les auteures du collectif coordonné par Christine Delphy, chercheuse au CNRS, posent des questions. Dès la préface, elles annoncent la couleur, sans mauvais jeu de mots. Le but du livre n'est pas de supplanter le verdict de la justice, c'est-à-dire de désigner un coupable, mais bien de montrer du doigt le sous-texte des réactions concernant l'affaire: "Le sujet de ce livre, c'est ce que l'immense majorité des réactions de nos "élites" disent de la société française, aujourd'hui en 2011."   . "L'affaire DSK" a en effet fait remonter à la surface un cadavre qui semblait avoir été relégué dans les limbes du passé : la permanence du sexisme en France, des préjugés racistes, sexistes et de la misogynie ambiante. Mais où étaient donc cachés ces faits ? Sous le poids du déni.

La culture du soupçon

Une vingtaine d'auteures- journalistes, politiciennes, avocates, bloggeuses, historiennes, chercheuses, professeures, toutes militantes féministes- ont donc participé à cet ouvrage. Les textes ont été réunis le 7 juillet 2011, bien avant le rendu du jugement. Ils décortiquent à la loupe l’ensemble des réactions autour de l’affaire. Et ce qui saute au yeux, en premier lieu, c’est le déni collectif au sein de la classe politique, mais aussi des médias.

Sur le viol tout d'abord, Christine Delphy rappelle quelques chiffres. Sur 75 000 cas dénombrés par an (car il ne faut pas oublier ceux qui ne sont pas dénoncés), 10 000 donnent lieu à une plainte, et 2000 seulement aboutissent à une condamnation. Les faits sont là : déni, soupçon et impunité se portent très bien ! Merci. Doit-on parler de l'affaire DSK comme d’une illustration de cette triste réalité (Le 22 août, le procureur Cyrus Vance a demandé au juge l'abandon de la procédure) ?

La chercheuse au CNRS montre également à quel point le discours qui entoure le viol est encore, au mieux, douteux et, au pire, une raison de plus donnée aux victimes pour se taire. Le viol n'est pas une question de pulsions, ni de beauté, ni un rapport sexuel "un peu violent", le viol "c'est la volonté de rabaisser, de détruire – psychiquement sinon physiquement- les femmes"   .

Si un viol est si difficile à dénoncer, c'est, d’abord, à cause du climat d'impunité qui l'entoure mais, surtout, à cause du soupçon qui pèse de manière générale sur les victimes, ce qui serait impensable pour d'autres formes de crimes. Sabine Lambert introduit un autre niveau de lecture dans son texte : "Bienvenue chez les pas chez nous, pas chez nous" . Le viol, dans l'inconscient collectif, a une couleur et une origine. Le violeur ne peut être de chez nous, le sexisme cela existe chez les autres. C'est aussi ce que dénonce Clémentine Autain dans le sien : "Dans notre imaginaire, le violeur se recrute plutôt dans les catégories populaires. Les tournantes se passent en banlieue, avec des jeunes garçons arabo-musulmans. Pas dans les hôtels de luxe, avec des super-diplômés richissimes."   . Les médias ont bien illustré les propos de la classe politique, qui s'est, pour le coup, montrée très solidaire, y compris à droite (On retiendra, par exemple, les propos de Christine Boutin décrivant DSK comme étant "vigoureux"   ). Un déni collectif s'est donc opéré et pas que dans la classe politique ! L'affaire DSK a envahi toutes les discussions, au travail, à l'école, dans la rue avec autant de gens pour défendre l’homme que pour le mettre à terre.

Chronique du sexisme ordinaire


Les textes réunis dans ce livre démontrent tous le même problème : cela fait longtemps que l’on refusait de voir certaines évidences. En effet, DSK était décrit depuis belle lurette comme un "chaud lapin", un séducteur, alors que, dans les milieux autorisés, chacun savait que le problème était bien plus sérieux que cela. Mis à part le correspondant de Libération, Jean Quatremer, personne n'avait osé parler ouvertement avant l'affaire du Sofitel. Pour Christelle Hamel, "En France, en matière de violences faites aux femmes, il y a une volonté de ne pas savoir"   . D’ailleurs, on parle souvent d’une dichotomie entre la sphère du privé et celle du public, ce qui permet, dans les moments pour le moins "embarrassants", de se tourner de l'autre côté, de refermer la porte sur le salvateur jardin secret sans se soucier de quoi que ce soit. Cependant, DSK avait déjà prouvé par le passé que sa relation avec les femmes n’était pas très sereine : qu’on pense à l'affaire Piroska Nagy, sa collègue du FMI avec qui il aurait eu une relation pas entièrement consentante. Dans ce cas, les méfaits de la volonté de ne pas savoir ont été illustrés à tous les niveaux (politique, médiatique).

Plus généralement, c'est l'histoire du féminisme qui en prend un coup. Depuis les années 60 qui a vu l'avènement de la libération des femmes, de nombreuses lois ont été introduites dans la juridiction française. Les femmes ont les mêmes droits que les hommes. Pourtant, des inégalités subsistent. Les femmes accomplissent toujours plus de tâches ménagères que les hommes au sein d'un couple. Elles sont trop peu nombreuses à occuper des postes à haute fonction tandis qu’elles occupent la majorité des temps partiels. A poste et à qualification égale, elles sont moins rémunérées, etc., etc. De plus, le sexisme demeure envers et contre tout. Il fait même partie d'un certain patrimoine typiquement français, nous dit-on, connu sous le nom de la gauloiserie ou de la galanterie. Et gare à celles qui voudraient perdre les acquis de cet ancien régime ! Mais de quels avantages parle-t-on exactement ? Perdrait-on tant que cela à tourner le dos au paternalisme gaulois ? Comme le dit Natacha Henry, "le paternalisme lubrique, c'est un pilier central du plafond de verr "   . N’importe quelle salariée a déjà vécu les avances plus ou moins subtiles de ses collègues supérieurs sur le lieu de son travail. Bien entendu l'inverse existe, mais n'est jamais excusé comme peut l'être une certaine forme de paternalisme.

Tant que ce décalage existera entre hommes et femmes, tant que les violences, harcèlements sexuels, viols mais aussi la simple relation entre hommes et femmes sera analysée uniquement à travers la vision d'une certaine catégorie de la population (mâle, blanc, hétérosexuel), les "minorités" seront lésées. Car, de ce point de vue, il faut bien se le dire, la femme fait encore partie d'une minorité.

Le livre nous montre donc à quel point certaines notions ne sont définitivement pas entrées dans la conscience collective, vu qu'elles n'ont pas non plus été représentées au niveau politique. Aussi, pourquoi avoir rejeté la faute sur les Etats-Unis ? Les oppositions entre privé et public, entre une France libertine et une Amérique puritaine n'ont servi qu'à cacher un bien grand malaise devant cette affaire : "L'élite masculine et blanche", comme l'appelle Sylvie Tissot   , s'est largement exprimée et a eu du mal à faire passer un discours universaliste. Les mouvements féministes n'ont pas tardé à se faire entendre et ont dénoncé les réactions initiales de cette catégorie sociale dominante. Il est difficile de dire si l'affaire DSK fera avancer le combat féministe, les auteures du livre se gardent bien de faire une telle prédiction. Elles auront néanmoins eu le mérite de crever un abcès. Reste à espérer que l'on ne retombe pas de sitôt dans le non-dit