EuroCité, le think tank européen progressiste, publie une longue analyse de Joël Le Deroff sur les élections législatives de l'Union européennes en 2011 qui marquent un renforcement de la domination de la droite. En voici un résumé.

>> Joël Le Deroff, « Chronique des élections législatives de l'Union européenne (2011) : la poursuite du glissement à droite », EuroCité, 21 décembre 2011.

 

À la fin de l’année 2010, EuroCité publiait une chronique des élections législatives de l’Union européenne (2009-2010), sous titrée « le glissement continu à droite ». L’objet de cette chronique était indiqué par le choix délibéré de la préposition « de [l’Union] », la où le lecteur aurait pu attendre l’usage du mot « dans ». En introduction de cette mise à jour annuelle, il est bon de rappeler la justification de cette terminologie. Les élections législatives dans les pays membres de l’Union européenne sont bien des élections législatives dans l’Union européenne. Cependant, ce qui nous intéresse ici, c’est la couleur politique d’un des deux législateurs de l’Union, le Conseil, composé des gouvernements nationaux. Les pays européens (à l’exception de Chypre) étant des régimes parlementaires, les élections législatives nationales sont donc également toutes des élections législatives de l’Union européenne.

La présente chronique, s’interdisant de commenter l’éternel débat sur la forme institutionnelle à donner à l’Union dans le futur, s’intéresse donc aux équilibres de pouvoirs au sein des institutions actuelles. Elle se fonde sur le principe selon lequel il serait du devoir des socialistes et des sociaux-démocrates européens – qui depuis les années 1950 ont participé au façonnement institutionnel de l'Europe telle qu'on la connait – de jouer un rôle dans le développement et l’enrichissement d’une compréhension partagée de ces institutions et en particulier des mécanismes législatifs qui en relèvent. De notre point de vue, cela impliquerait de prendre systématiquement en compte la dimension européenne des élections nationales et d’en tirer les conséquences dans la définition des programmes politiques présentés aux électeurs.

Cette exigence prend une résonance encore plus sensible en cette fin d’année 2011. Les douze derniers mois ont en effet été particulièrement mouvementés, rythmés de façon régulière par les réunions de chefs d’Etats et de gouvernements tentant désespérément de donner une réponse au chantage de marchés s’attaquant non plus à quelques Etats membres isolés, mais bien à l’ensemble des pays de la zone Euro, et par conséquent au modèle économique et social européen lui-même. Notons d’ailleurs que le niveau de ces réunions, donnant le premier rôle au Conseil européen, tend en réalité à faire passer au second plan le Parlement et le Conseil de l’Union (et ses formations constituées des ministres des gouvernements nationaux), qui sont pourtant les institutions chargées de l’adoption de la norme juridique européenne.

Au cours des derniers mois, il est devenu de plus en plus évident que la spirale de la spéculation boursière contre l’Euro et de la panique politique n’était pas remise en cause pour autant, pour notamment deux raisons. Premièrement, les chefs de gouvernements européens, très majoritairement à droite, ne parviennent pas à s’entendre sur un saut qualitatif permettant de renforcer la crédibilité de l’Euro et la cohésion et la solidité de l’Union en mettant en commun de nouveaux pans de souveraineté budgétaire et fiscale, tout en élargissant le champ d’intervention de la Banque centrale européenne. Deuxièmement, toutes les mesures prises ont visé à rassurer les marchés en appliquant des recettes d’austérité dans la ligne du consensus de Washington, entraînant les pays les plus touchés dans un cercle vicieux où la rigueur budgétaire renforce la récession, limite les recettes fiscales et, faisant baisser la richesse nationale, aboutit à une augmentation mécanique de l’indicateur privilégié de la période, le ratio dette public/PIB. La pression des marchés, dont on peut considérer qu’elle s’est initialement enclenchée pour des raisons en partie arbitraires de type phénomène de moutons de Panurge, ne peut se trouver que justifiée, pour ne pas dire auto-justifiée par l’impossibilité d’un retour à l’équilibre. Elle ne fait donc que se renforcer.

Face à ce fiasco, la presse européenne tend de plus en plus à commenter les défaites électorales successives de plusieurs gouvernements sortants comme une conséquence directe de la crise économique, supposant que la position même de sortant est devenue un « actif toxique » pour tout parti politique, quel que soit sa famille de pensée et son programme. Pourtant, vingt-trois élections législatives ont eu lieu dans l’Union depuis les élections européennes de juin 2009, dans vingt-et-un pays4. Alors même que la majorité des gouvernements se situait déjà clairement à droite, ce phénomène n’a fait que se renforcer. Si les partis de droite gouvernementale subissent aussi la concurrence de nouveaux acteurs, il est clair que seuls les sortants de gauche perdent systématiquement les élections. Il faut donc accepter de se pencher sur cette réalité, et de l’ausculter pour pouvoir faire face à un constat inévitable. Les citoyens européens sont vraisemblablement inquiets et pour beaucoup désespérés par les orientations politiques et socio-économiques en voie de s’imposer au niveau mondial et européen. Mais ils ne trouvent pas dans les discours et les programmes proposés par la gauche au niveau national de réponse conjurant ce qui se présente aujourd’hui comme une fatalité.