Une réflexion philosophique aussi courte que brillante contre l'érotisme et pour la pornographie.
Pourquoi parlons-nous de sexe constamment ? Serait-ce le témoignage d’une plus grande liberté de parole, de pensée où chacun, alors libéré du puritanisme pourrait non seulement parler mais également s’adonner aux plaisirs de la vie, à la jouissance sexuelle ultime ? C’est du moins ce que laisserait penser l’hédonisme contemporain qui derrière le concept d’érotisme défend l’émancipation de la sexualité et l’idée de l’orgasme comme "réalisation des conditions d’intensité de satisfaction" de la vie. Autrement dit, vivre=orgasmer.
Selon le philosophe Daniel de Sutter, l’érotisme, au contraire, révèlerait une considération embarrassée de la sexualité et en limiterait l’exercice. En assimilant la jouissance à l’orgasme, la santé sexuelle à l’amour, l’érotisme opère une métonymie des organes génitaux au corps entier. Le paradigme bonheur /orgasme qu’il impose comme une norme contraignante s’avère d’autant plus pernicieux qu’il appuie sa légitimité sur le principe de l’émancipation et de la liberté.
Dans son essai Contre l’érotisme, de Sutter va droit au but : il faut trouver un nouvel art de jouir. On suit alors le cheminement intellectuel de l’auteur au fil de son analyse ciselée en 52 chapitres aussi courts que remarquablement efficaces.
Pourquoi la révolution sexuelle est-elle un échec ?
Pour Laurent de Sutter, la révolution sexuelle n’a pas eu lieu et n’aura jamais lieu. Ce combat hédoniste des années 60, non seulement politique mais naturaliste, trouve ses limites dans les fondements mêmes de sa démarche.
S’appuyant sur les travaux de Wilhelm Reich et d’Arthur Schopenhauer, le philosophe rend compte de la naturalisation de la sexualité par l’évolutionnisme contemporain. Ce dernier estime, en effet, que toute manipulation des organes génitaux étant naturelle, il n’existe pas de bons ou de mauvais érotismes. Pourtant déjà, de Sutter relève une certaine contradiction dans le fait que la théorie évolutionniste et la révolution sexuelle rejettent la pornographie. La considérant comme au-delà de la sexualité, elle est illégitime car inimaginable. Or, il est indéniable que la pornographie existe. L’érotisme trouve ainsi un point commun avec le puritanisme en établissant un "extérieur" pour "pouvoir assurer la cohérence de l’offre d’orgasme considérée comme bonne" .
A la théorie, s’ajoute également le combat politique de la révolution sexuelle et l’application de son programme. Si l’on tirait les conséquences du naturalisme de la sexualité, il faudrait alors prendre en compte et reconnaître toutes les pratiques sexuelles relevant de l’érotisme, même les plus perverses. Toutefois une telle interprétation de la théorie et son application ont été rejetées ce qui manifeste bien alors les difficultés de l’érotisme à libérer la sexualité. Loin d’être révolutionnaire, l’érotisme est un conservatisme.
La pornographie comme solution
La solution viendrait donc de la pornographie, envers de l’érotisme, qui, en dissociant la génitalité de l’amour, recouvre la sexualité toute entière, sexualité d’ailleurs sans frontière. Embrassant l’idée d’infinité, la pornographie est une collection d’expériences sexuelles, de jouissances, qui met fin à la métonymie organes génitaux/corps/être. Elle ne se limite pas à l’orgasme mais englobe toutes les formes de jouissances. Laurent de Sutter va jusqu’à affirmer que si la sexualité est la vie, alors, " la pornographie est la réalisation de la vie " .
Les jouissances sont infinies et également singulières. Ainsi, l’auteur remet en cause la division établie entre plaisir masculin et féminin et disqualifie toute forme de distinction du point de vue de la jouissance. Elle n’est pas tenue par un choix d’objets et ne saurait pas non plus être réglée par des pratiques et des normes. En ce sens, le sexe comme transgression perpétuelle des règles ne saurait être considéré comme politique : "la sexualité n’est pas apolitique ; elle est antipolitique" .
Par le rejet d’une éthique de la jouissance, la pornographie contribuerait à un monde "plus parfait" où chacun serait libre de trouver son plaisir dans une infinité de possibilités. Sans principe et sans règle, la sexualité finalement décomplexée donnerait à l’individu la liberté de jouir et donc de vivre comme il l’entend