Un essai de démocratisation de la science économique.

Après la publication du Petit Cours d’autodéfense intellectuelle de Normand Baillargeon, Lux Editeur a cette année donné accès (au lecteur francophone) à une nouvelle partie des cours de Jim Stanford nommée Petit cours d’autodéfense en économie. Tandis que le premier ouvrage se centrait sur l’analyse des différentes manières de déformer l’information (par l’usage de la rhétorique, du mensonge par omission, de graphiques aux échelles déformées, etc.), le nouveau cours de Jim Stanford se propose « d’encourager les non experts à aiguiser leur curiosité, bien ancrée dans la réalité, pour l’économie » puisque « l’économie est une réalité trop importante pour être laissée entre les mains des économistes »   .

Plus précisément, il s’agit d’une analyse de l’économie capitaliste contemporaine et principalement de sa facette néolibérale, ainsi qu’une nécessaire prise de conscience de la dimension profondément politique de l’économie : Jim Stanford fait ainsi entendre d’une part que le capitalisme n’est que l’une des multiples façons d’organiser le travail nécessaire à la production   , et d’autre part que « l’économie est une sphère où s’entrechoquent les intérêts de différents groupes, et la science qui l’étudie reflète fidèlement ces conflits »   .

A ce titre, Jim Stanford n’échappe pas à la règle   puisque sa démarche vise clairement à défendre les intérêts des « 99% »   en donnant des clés de compréhension et de critique du système capitaliste contemporain. Ce constat se comprend aisément quand on garde à l’esprit que le Petit cours est le condensé de différentes sessions réalisées par Jim Stanford pour les cadres du syndicat des Canadian Auto Workers   . Il se comprend également lorsque l’on rappelle que Jim Stanford est un des membres fondateurs du Progressive Economics Forum, association canadienne regroupant les divers membres et défenseurs de l’économie sociale et solidaire, à l’image du CNCRES ou du CIRIEC.

Pour mener son projet éducatif et profondément politique à bien, Jim Stanford procède de manière progressive : après une présentation de notions préliminaires, comme ce que l’on peut entendre par « économie », « capitalisme » ou « science économique »   , il propose une analyse de l’économie comme un circuit (c'est-à-dire que l’analyse est centrée sur les flux de richesse circulant entre les différents acteurs de l’économie), complexifié au fur et à mesure de l’ouvrage par divers ajouts. Tandis que les chapitres 5 à 10 présentent la « boucle de base » de l’économie capitaliste, les chapitres 11 à 25 en donnent les caractéristiques complémentaires. Un schéma récapitulatif est ainsi progressivement constitué dans l’ouvrage   , permettant de saisir en un coup d’œil les rapports économiques et sociaux fondamentaux de l’économie capitaliste et ainsi les sources de conflits d’intérêts. Le livre se conclut par trois chapitres proposant une « remise en cause » du capitalisme sur la base des objectifs défendus par l’auteur   ainsi que diverses propositions pour réformer et in fine transformer le capitalisme.

L’exposé de Jim Stanford est à tous égards très clair : de manière simple, sans complication technique ou mathématique, l’auteur expose différents mécanismes économiques, certains propres à la théorie néoclassique (majoritaire dans la science économique), d’autres empruntés aux courants hétérodoxes dont Jim Stanford s’inspire abondamment, notamment en la personne de Michal Kalecki ou de John Kenneth Galbraith. Mais penser aux non experts n’empêche pas Jim Stanford d’écrire aussi son livre pour des lecteurs déjà au fait de certaines théories économiques. Les différents chapitres permettent en effet d’assembler les diverses pièces du circuit économique final, mais tout en permettant une analyse parfois plus poussée de certains mécanismes économiques. Le lecteur habitué aux théories économiques pourra à ce titre trouver divers éléments intéressants, comme son résumé de l’histoire économique   et de la science économiqu   ou son analyse de la concurrence comme un motif de « peur » s’ajoutant au motif du profit   .

Pour autant, divers défauts, non rédhibitoires, caractérisent le livre. D’une part, l’ouvrage manque cruellement d’un lexique permettant au non initié de comprendre rapidement le sens des termes techniques, parfois avancés avant l’heure de leur explicitation. Le site web anglophone de l’ouvrage comble ce manque pour les lecteurs anglophones. D’autre part, de par sa nature politique clairement assumée   , l’ouvrage cherche à remplir un objectif politique ce qui conduit l’auteur à certains raccourcis ou certaines omissions calculées. Par exemple, dans sa présentation des justifications du profit   , Jim Stanford oublie la théorie schumpétérienne du profit comme rémunération du travail d’innovation de l’entrepreneur, sans doute parce que son propos tend à considérer le profit comme rémunération d’une seule propriété privée sans apport de travail de la part du propriétaire. De la même manière, évacuer l’argument économique de la « recherche de gains » pour expliquer les comportements au motif que « au moins 85% de la population ne travaille pas pour le profit, mais pour un salaire »   est quelque peu fallacieux   .

Enfin, on pourra reprocher à l’ouvrage certaines affirmations semblables à des théories du complot. La volonté politique de l’auteur de remettre en cause le néolibéralisme le conduit à des propos difficiles à prouver, comme : « dans la fin des années 1970, on a haussé les taux d’intérêt dans le but délibéré de créer et de maintenir un « bassin » de chômeurs »   ; ou : « cette récession délibérément provoquée […] a inauguré le long et pénible processus de résignation de la population quant à ce que l’économie peut lui apporter »   .

Mis dans la balance, ces divers défauts n’empêchent cependant pas au lecteur conscient du caractère politique et polémique de la science économique de se plonger dans la lecture d’un ouvrage stimulant, tant par ses enseignements   que par ses omissions. Comme l’écrivait Joan Robinson, « on n’étudie pas l’économie pour trouver des réponses toutes faites aux questions d’ordre économique, mais plutôt pour apprendre à ne pas se laisser tromper par les économistes ». A ce titre, Jim Stanford remplit parfaitement un objectif louable de démocratisation de la science économique.