Le Conseil de l'Education Supérieure (Malag), haute instance chargée des affaires universitaires au niveau national a accepté les conclusions de la commission concernant le département des études politiques et gouvernementales   de l'Université de Ben-Gourion (UBG) à Beer-Sheeva. Désormais, l'épée de Damoclès pend au-dessus de ce jeune département menacé de fermeture pour les raisons que l'on verra. Selon le premier chapitre d'introduction de ce rapport, la décision de commanditer une commission internationale de professeurs chargés d'évaluer la qualité de l'enseignement et des contenus académiques proposés aux étudiants dans les départements de Sciences Politiques en Israël, procédure relativement anodine dans le cadre des fonctions du CES, aurait été prise lors de la réunion du 7 octobre 2008. Néanmoins, la lettre de nomination signée par le ministre de l'éducation, Gideon Saar, qui a succédé à YulieTamir (Parti travailliste) ministre de l'éducation jusqu'en février 2009, adressée aux membres de la commission est datée du 30 novembre 2010 et la commission tient sa première réunion le 15 février 2011. Il semblerait donc que la mise en marche tardive de la procédure et ses conclusions catastrophiques soient liées aux activités de discréditation des universités en Israël menées tambour battant par ImTirzu, groupe politique extraparlementaire fortement soutenu par la droite israélienne depuis sa victoire lors des dernières élections en février 2009.

Les quatorze pages du rapport suivies de 3 pièces en annexe sont accessibles sur internet via le journal 972magazine. La commission y conditionne l'existence de ce jeune département largement apprécié par ses étudiants à une refonte d'un cursus jugé trop "interdisciplinaire", à une augmentation de quelques quatre postes, et à un "équilibre politique" à respecter dans les discours tenus en classe. En bref, une mise à mort enveloppée dans le langage aseptisé de la rhétorique académique   .
Dans un article publié le 2 décembre dans le quotidien Haaretz   , la journaliste Talila Nesher établit un lien explicite entre la décision du CES, le rapport officiel et celui rédigé par le groupe politique ImTirzu, intitulé: "Intimidation, Exclusion et Parti-Pris Antisioniste dans les Universités", publié en mai 2010   . Ce dernier s'employait à dénoncer les "tendances antisionistes", "devenues monnaie courante sur les campus israéliens ces dernières années" et qui "empêchent les sionistes de faire entendre leur voix". ImTirzu accuse dans quelques 66 pages les professeurs de museler leurs étudiants et de faire régner un climat de terreur   .

Cloué au pilori depuis l'affaire de Neve Gordon que j'évoquerai plus loin, le département d'études politiques et gouvernementales de UBG s'est trouvé tout particulièrement dans le collimateur des rédacteurs du rapport qui ont dénombré 9 professeurs sur 11 impliqués dans des activités politiques affiliées à la gauche radicale et autres scandales de ce genre. En acceptant les conclusions des uns, le CES fait le jeu des autres, une victoire hautement revendiquée par ImTirzu qui s'enorgueillit sur sa page d'accueil d'avoir déclenché ce processus de disqualification grâce auquel la (sa) vérité fait enfin jour.

ImTirzu a pignon sur rue en Israël aujourd'hui. Se définissant comme un mouvement "extra-parlementaire centriste qui agit pour régénérer les valeurs du sionisme en Israël et pour renouveler l’idéologie, les fondements et les principes du sionisme afin de garantir le futur du peuple juif et de l’État d’Israël et afin de renforcer la société israélienne dans les défis auxquels elle fait face", le mouvement prétend s'inscrire dans le sillon tracé par le père fondateur du sionisme, Théodor Herzl. Il s'approprie le slogan du premier congrès sioniste de Bâle en 1897: "Si vous le voulez, ce ne sera pas une légende" (Im Tirzu, einzo Agada), pour en faire son patronyme suivie de l'intitulé: la seconde révolution sioniste.Se présentant comme "modéré" (centriste), "sioniste" (dans la lignée des grandes figures de l'histoire de l'Etat d'Israël) et profondément "patriote" (soucieux du futur du pays), ImTirzu parle haut et fort au nom de principes démocratiques qui, nous dit-il, lui sont chers et, surtout, il revendique un seul sionisme, le sien.

Si ImTirzu se définit comme "centriste", on peut légitimement se demander ce dont se réclament les mouvements de droite en Israël. Quant à la gauche, nul besoin d'insister, elle menace l'existence même de l'état juif sioniste. Dans un langage assaisonné à la sauce d'une terminologie éclairée: "pensée critique", "droit d'expression", "liberté d'expression", "pluralisme", etc., le texte dénonce l'état d'ignorance et de dogmatisme des universités israéliennes assiégées par les forces radicales antisionistes et réclame le droit de propager la bonne nouvelle, celle de ce "second sioniste" qui ne doute de rien. Face à de telles accusations, on est en droit de se demander comment ces universités ont réussi à survivre dans de telles conditions, pire, à jouir d'une réputation des plus prestigieuses dans le monde depuis plusieurs décennies.

Foin de questions imbéciles. L'important est de réinstaurer la liberté d'expression et la pensée critique en chassant de la cité ces juifs frappés d'un aveuglement destructeur, et, en premier lieu, les plus repérables. Ainsi, l'appel à un boycottage international lancé par Neve Gordon, professeur de sciences politiques à l'UBG, dans un article publié en août 2009 dans le journal américain Los Angeles Times a provoqué l'ire de plusieurs israéliens de droite comme de gauche. La chose en soi n'est pas condamnable, bien au contraire, et l'on aurait aimé assister à un vrai débat politique.Las. Le ministre de l'éducation Gideon Saar a donné le ton en exprimant son "dégoût" à l'encontre de propos aussi "scandaleux" prononcé par un enseignant de l'UBG qui est "une institution sioniste". L'alignement ministériel sur l'équation basique mais apparemment efficace de ImTirzu selon laquelle toute énonciation et/ou tout acte critiques à l'égard de la politique israélienne est considéré comme irresponsable voire dangereux pour la sécurité – diplomatique, économique, culturelle, sociale - d'Israël, joint à une intimidation ouverte et une menace latente de sanctions économiques qui risquent de tomber sur une institution employant ces post-anti-sionistes invétérés, le tout imprégné d'une ambiance délétère qui muselle les plus rebelles, ont sans doute motivé la présidente de l'UBG, le professeur Rivka Carmi, à durcir ses positions lorsque quelques mois plus tard, un autre "rebelle" fait la "une" des journaux.

Cette fois, la proie désignée s'appelle Idan Landau, maître de conférences au département de langues et littératures étrangères. Condamné à une semaine de prison pour avoir refusé de servir sa période de réserviste dans les territoires occupés, Idan Landau découvre un mois plus tard, que 50% de son salaire hebdomadaire a été déduit de sa fiche de paie faute d'avoir "pu travailler sur sa recherche" lors de son incarcération. Pour toute personne connaissant un tant soit peu le travail de recherche scientifique dans le domaine des humanités, l'argument est absurde   . Pour la première fois une université israélienne sanctionne économiquement un de ses chercheurs pour des choix idéologiques personnels. Refermons la boucle et rappelons l'épée de Damoclès.

En début de semaine, la secrétaire d'Etat américaine, Hillary Clinton a exprimé son inquiétude voire son désarroi face aux lois antidémocratiques votées par le parlement israélien ces deux dernières années. Deux ministres au moins lui ont gentiment signifié de s'occuper de ses oignons. Quant aux campus israéliens, le climat d'intimidation qui souffle aujourd'hui sur ceux qui se positionnent idéologiquement à gauche entraîne un couvre-feu intellectuel qui ne présage rien de bon pour la démocratie israélienne, ses valeurs laïques et ses principes moraux universels.