L’auteur propose l’instauration d’un nouveau mode d’évaluation de l’entreprise : le bilan citoyen. Il plaide pour ce type d’initiative qui doit selon lui mener à l’émergence d’un modèle économique plus solidaire.
 

Christian Felber, écrivain autrichien issu du mouvement altermondialiste, expose dans un avant-propos les fondements de son modèle : l'économie citoyenne. Les crises récentes du capitalisme démontrent pour lui la nécessité de trouver des alternatives à l’économie de marché libérale. Ces crises, explique-t-il, sont liées entre elles et ont la même origine : le cadre incitatif de notre système économique dont l’objectif suprême est de faire fructifier le capital financier et non de servir l’intérêt général. Partant de cette analyse, l'auteur plaide pour l'instauration d'un modèle de société alternatif basé sur la recherche du bien commun et la coopération.

Le modèle de l’économie citoyenne, élaboré avec une vingtaine de chefs d’entreprise d’Attac, vise à poser les "valeurs de départ" d’un large débat, poursuit-t-il. Ce modèle a également pour objectif de contribuer à constituer un cadre plus fécond pour les multiples approches mondiales de l’économie solidaire, précise-t-il encore, car face à la crise que nous connaissons, "les entreprises solidaires et orientées vers l’intérêt commun (…) ont besoin d’un ordre économique adapté à leurs objectifs" (p.15).

L’ "économie citoyenne" repose sur une inversion de la structure incitative du système économique actuel, fondée sur la quête du profit et la concurrence. L’auteur souligne la brutalité des comportements induits par l’économie capitaliste de marché dont la logique favorise l’égoïsme, et propose d’aller vers un modèle qui s'appuierait sur des valeurs sociales essentielles telles que la dignité, la solidarité ou encore la confiance.

Définir le bien commun

L’auteur décrit ensuite point par point les différentes composantes de son modèle. Celui-ci s’appuie en premier lieu sur une redéfinition de la réussite de l’entreprise, à laquelle il s’agit de donner un nouvel objectif : la recherche de l’intérêt général. Dans ce modèle, ce n’est plus lorsqu’elle aura obtenu d’importants profits financiers qu’une entreprise aura réussi, mais lorsqu’elle aura contribué, autant qu’elle le peut, au "bien commun". Le bilan financier devient secondaire et les bénéfices des entreprises contraints à certaines utilisations, notamment : investissements, redistribution aux collaborateurs et crédits sans intérêts aux partenaires.

Que recouvre exactement cette idée de bien commun que l'entreprise s'engagerait à favoriser ? Celle-ci serait préalablement définie par une convention dotée d’une légitimité démocratique et chargée notamment de déterminer de nouveaux indicateurs de réussite économique. 



Un bilan "citoyen"

Les actions en faveur de l'intérêt général seraient ensuite mesurées grâce à l'élaboration d'un bilan citoyen, qui deviendrait la forme d’évaluation principale des entreprises. Ce bilan transposerait en critères mesurables les valeurs sociales essentielles telles qu'elles ont préalablement été définies au sein de la convention économique. Son objectif serait de "déterminer clairement et sans équivoque le comportement d’une entreprise sur le plan de sa responsabilité sociale, de sa soutenabilité écologique, de son attitude démocratique et solidaire" (p 41).

Le bilan citoyen vise en particulier à éliminer des pratiques et des comportements "nocifs", précise l’auteur, tels que les OPA, l’utilisation de paradis fiscaux, l’appel à des fournisseurs ayant recours au travail des enfants, la production de semences génétiquement modifiées ou d’énergie nucléaire. Comme le souligne l’auteur, de nombreuses entreprises publient déjà des bilans annexes rendant compte de leurs efforts au regard de l’intérêt général ou démontrant qu’elles agissent dans un esprit de responsabilité sociale. Il s’agit désormais de faire de la recherche de l'intérêt général l'exigence première de toutes les entreprises.

Favoriser l’intérêt général

Pour évaluer la contribution à l'intérêt commun, l'auteur propose une série de critères réunis dans une "matrice citoyenne". Celle-ci comprend sur un axe horizontal des critères de mesure tels que le respect des valeurs de dignité, de solidarité, de soutenabilité écologique, des critères de qualité de l’emploi, ou encore de justice sociale, de transparence et de participation démocratique aux décisions, croisés sur un axe vertical avec les différents interlocuteurs de l’entreprise (fournisseurs, clients, collaborateurs, institutions, etc.).

Par un système de "points citoyens", les entreprises seraient ainsi incitées à oeuvrer en faveur de l'intérêt général : plus l’entreprise est  "responsable" socialement et écologiquement, plus elle obtient de points. Les entreprises "responsables" bénéficieraient alors d’avantages financiers tels que des crédits à taux préférentiels, des allègements d’impôts, etc.

Planification coopérative de marché

Plusieurs chapitres décrivent ensuite le fonctionnement de l’économie citoyenne : fixation politique des cours de change, des prix des matières premières et des intérêts pour les emprunts d’État, activités des banques, tournées elles aussi vers l’intérêt commun, propriété, transmission, etc. L’économie citoyenne n’est pas une économie planifiée, elle reste une économie de marché, mais elle est fondée sur l’incitation à favoriser l’intérêt général et la coopération, poursuit l’auteur. 

Qu’adviendrait-il des entreprises qui ne respectent pas ces contraintes ? Dans ce modèle, elles obtiendraient le moins de points d’intérêt général et disparaîtraient du marché parce que leurs produits deviendraient trop chers. Dans un chapitre intitulé "Planification coopérative de marché", l’auteur précise que cette coopération pourrait notamment s’avérer nécessaire entre différentes entreprises d’un marché en récession, par exemple pour mettre en œuvre une réduction concertée du temps de travail.

Un modèle généralisable ?

Conçu pour être instauré dans un premier temps dans l'espace européen, ce modèle devrait être mis en place dans le monde entier sous peine de voir le dumping anéantir les entreprises citoyennes, poursuit l’auteur, qui plaide pour un système de protection contre ces pratiques assorti de politiques d'incitations et de récompenses envers les entreprises et les secteurs s’engageant à servir l’intérêt général.
 
La crise que nous connaissons a redonné de l’actualité à la recherche d’alternatives au système capitaliste. L’économie citoyenne peut-elle constituer cette alternative ? Son modèle peut-il répondre efficacement et durablement à la crise ? A-t-elle vocation à se généraliser ? Telles sont les questions auxquelles Christian Felber s’efforce de répondre à travers cet ouvrage.

L’auteur voit dans ce modèle à la fois utopique et concret une solution à la crise actuelle par une redéfinition des objectifs fondamentaux du capitalisme et l’émergence d’une économie plus solidaire. Un essai détaillé et stimulant qui nous montre en tout cas que la recherche du profit n’est pas l’unique objectif qui puisse donner l’envie d’entreprendre