Dans un livre dense et court, Jean-Paul Maréchal explique les raisons qui font qu’une sorte d’alliance objective lie Chine et États-Unis sur la question du climat. Il démontre comment ces deux pays, qui forment prés de 37 % du PIB mondial et 41 % des émissions mondiales de carbone, ont peu d’intérêt à entrer en conflits et ont beaucoup de raisons de se ménager politiquement l’un l’autre, tout en se livrant à une concurrence forte sur le plan de la technologie avancée.

Les relations entre la Chine et les États-Unis sont en réchauffement progressif depuis les rencontres de ping-pong des années 1970 et la politique d’ouverture réciproque qui a suivi. Un point sur lequel ces deux pays (les deux premières puissances économiques actuelles) sont également particulièrement d’accord est de ne rien faire trop vite pour diminuer le réchauffement climatique global. Aucun n’a ratifié le protocole de Kyoto et aucun ne s’empresse particulièrement de pousser vers un accord contraignant. La prochaine conférence sur le climat, qui doit se tenir en décembre 2011 à Durban en Afrique du Sud, verra en effet ces deux pays défendre une position commune : ne pas reprendre une ligne de partage désormais dépassée, c’est-à-dire celle du protocole de Kyoto. Pour eux deux, il s’agit de demander un accord dont les vérifications sont “non intrusives”, “non punitives” et “respectueuses de la souveraineté nationale”.

Pourquoi une telle chaleureuse convergence ? Dans un livre dense et court, Jean-Paul Maréchal explique les raisons qui font qu’une sorte d’alliance objective lie Chine et États-Unis sur la question du climat. Il démontre comment ces deux pays, qui forment près de 37 % du PIB mondial et 41 % des émissions mondiales de carbone, ont peu d’intérêt à entrer en conflits et ont beaucoup de raisons de se ménager politiquement l’un l’autre, tout en se livrant à une concurrence forte sur le plan de la technologie avancée.

Dans un premier chapitre intitulé “G2 et CO2”, Jean-Paul Maréchal présente d’abord l’économie des deux pays et leur imbrication. La monnaie chinoise est nettement sous évaluée mais les chinois détiennent (en 2008) environ 800 milliards de dollars en bons du trésor américains. Le chiffre exact n’est pas connu car le gouvernement chinois est discret sur ce point, mais il est estimé en 2011 à plus de 1 000 milliards. La Chine n’a donc aucun intérêt à une baisse du dollar. Pour les États-Unis, le problème est symétrique : ils n’ont aucun intérêt à ce que la Chine cesse de financer leur déficit. En juillet 2009, Obama déclare que “la relation entre les États-Unis et la Chine façonnera le XXIe siècle” et le gouvernement chinois a déclaré vouloir quadrupler son PIB d’ici 2020. Le taux de croissance du PIB chinois en 2010 est de 10,3 %, ce qui rend cette annonce très sérieuse. Du point de vue des chinois, il faut tenir compte de la différence de population. Le PIB chinois par habitant est d’environ 3 200 dollars alors que celui des États-Unis est d’environ 46 000 dollars. Le rapport est de 1 à 14. Un PIB/h chinois quadruplé (13 000) diminuerait ce rapport à environ 1 à 3,5. Les émissions chinoises sont de 4,9 tonnes/h alors qu’aux États-Unis elles sont de 18 tonnes. Les premières ont quadruplé depuis 1980 tandis que les secondes ont diminué de 10 % sur la même période.

Dans la suite du livre, Jean-Paul Maréchal aborde deux enjeux importants. Le premier est selon lui un piège logique. En tant que groupe humain toute société a intérêt à minimiser les impacts de changement climatique ou à minimiser le réchauffement. En tant qu’individu personne n’a intérêt à réduire son niveau de vie ou à renoncer à se développer. Or tous les pays à IDH élevé sont aussi des pays gros consommateurs de carbone par habitant. En gros, pour gagner 3 000 dollars de PIB/H et pour passer de 0,5 à 0,8 d’IDH, il faut émettre, statistiquement parlant, environ une tonne de carbone de plus par habitant. De toute évidence, ces corrélations statistiques sont des corrélations, pas des mécanismes déterminants, mais ces corrélations ont cependant un sens dans le bilan global. Il convient donc de s’interroger sur le partage du fardeau, c’est-à-dire sur la capacité éventuelle qu’auraient certains de consommer plus pour se développer tandis que d’autres, mieux lotis, pourraient songer à consommer moins sans pour autant perdre en IDH.

Jean-Paul Maréchal décrit alors trois indicateurs qui permettent d’appréhender les inégalités d’émissions et de développement de façon moins simpliste. Le premier est l’intensité carbone de la croissance. Il mesure la variation de la quantité de carbone émise par augmentation de point de PIB. De 1971 à 2008, le point de croissance de PIB aux États-Unis a nécessité – 56,7 % d’émissions. En Chine, sur la même période, la diminution est de 65,7 %. Un autre indicateur rapporte la quantité d’énergie produite à la quantité de carbone consommée et le troisième lie la quantité d’énergie utilisée pour produire 1 dollar de PIB. En 2005, il faut 9 000 kjoules pour produire un dollar de PIB américain, tandis que 7 000 suffisent en Chine. Qui fait alors le plus d’efforts ?

Les apparences sont un peu trompeuses. Les deux pays ne partent pas du tout du même point, car en 1971 les deux économies n’avaient rien de comparable et en 2010 les deux populations sont extrêmement différentes. C’est là que commence la partie la plus originale, la plus engagée et la plus passionnante de l’ouvrage. L’auteur s’intéresse aux ruptures internes à la société chinoise. Il y a en Chine entre 23 et 40 % des habitants qui appartiennent à la classe moyenne. D’autres estimations fixent la valeur à 157 millions de personnes avec une prévision de 670 millions vers 2020. Or les 10 % de ménages chinois les plus riches consomment (et émettent) environ 30 % de plus qu’un ménage américain moyen ! Ce groupe représente environ 50 millions de personnes, c’est-à-dire largement plus que nombre de pays riches qui, eux, se sont engagé à diminuer leurs émissions et ont ratifié Kyoto.

Il est donc absolument nécessaire de regarder de près les évolutions de la société chinoise, dans laquelle, selon Jean-Paul Maréchal qui la connaît bien, une prise de conscience économique et écologique n’est pas du tout absente. Il est très clair que la stabilité du gouvernement repose sur sa capacité à faire régulièrement croître le niveau de vie de l’ensemble de la population et pas seulement de 10 % d’entre elle. Il y a eu, en 2009, 90 000 “incidents de masse” c’est-à-dire des troubles sociaux dans des sites le plus souvent industriels. Les pollutions (de l’air en particulier) font entre 100 000 et 350 000 morts par an et provoquent 51 000 des 90 000 incidents. Le gouvernement chinois est donc le premier à chercher à diminuer fortement l’intensité carbone de son économie parce que c’est (selon lui) une des conditions de sa survie politique. La situation est très différente aux États-Unis. Le niveau fédéral fait peu mais de nombreux États ont une politique très volontariste. La Californie a rendu obligatoire l’essence sans plomb et les pots catalytiques alors que l’État fédéral s’y opposait. En juin 2007, 500 maires américains se sont engagés à appliquer Kyoto dans leur ville et ils représentent 65 millions d’habitants.

Ce livre transforme donc le débat sur le climat en un enjeu politique clair et multiscalaire : qui décide de réduire les émissions et quel groupe dans la population doit en porter le fardeau ? La réponse est (c’est attendu) complexe : tout dépend de la structure du pouvoir et de la distribution des inégalités sociales. Deux idées essentielles subsistent : l’échelle mondiale est la seule qui permette de poser les enjeux scientifiques d’évolution du climat et ses relations avec les grands équilibres macroéconomiques. L’échelle du “pays” (au sens État-nation) n’est pas à coup sûr l’échelle pertinente pour appréhender les réponses au global change.

La question de fond porte alors sur la capacité du corps social d’un lieu précis (une ville, une province, une entreprise, voire un gouvernement) à s’approprier une discussion globale et à construire une réponse durable localement et acceptable pour les voisins. Le travail de Jean-Paul Maréchal est à cet égard novateur, intelligent et incite à réfléchir avec distance à ce que des slogans simples comme “penser global-agir local” ont de réducteur. Il faut penser à plusieurs échelles et agir à plusieurs niveaux. On voit très vite que ce n’est pas plus simple, au contraire. Il faut alors lire ce livre avec une grande attention et s’attacher aux pages qui argumentent au sujet des performances des économies en matière d’innovation technologique, d’énergie verte. Il faut aussi lire celles qui parlent de l’Anthropocéne (l’ère géologique où l’homme devient acteur de son climat) et celles qui discutent des enjeux militaires du global change. Ce livre doit donc absolument être lu avant la conférence de Durban.