Nous reproduisons ici, avec l'aimable autorisation de Publico.es, l'article de Ferran Mascarell , conseiller chargé de la culture auprès de la Generalitat de Catalogne, paru dans la section "Dominio Publico", daté du 20 septembre 2011,  traduit par Maxime Jacquet.

Público m’invite à livrer mes réflexions sur le débat linguistique suscité par la décision d’imposer par voie de justice des modifications dans le système éducatif catalan   . Je le fais tout en sachant qu’il sera difficile de vous faire comprendre notre réalité. Les préjugés ancrés chez beaucoup d’Espagnols sont si nombreux que l’on peut douter qu’il soit utile d’exposer une fois de plus les raisons qui nous poussent, d’une part, à vouloir que la catalan continue d’être une langue vivante et une langue d’avenir, et d’autre part, à défendre, malgré les réticences du gouvernement espagnol, le droit des  Aranais de maintenir en vie leur séculaire langue occitane   , que nous considérons comme telle. Face à cela, je dois avouer que nous sommes nombreux, nous, Catalans, à ne pas comprendre les raisons pour lesquelles dans le reste de l’Espagne, certains refusent d’accepter pour la Catalogne   ce qui, dans leur cas particulier, leur semblerait être un droit qui ne peut, en aucun cas, être remis en cause. Imaginez-vous leur réaction si l’on voulait décider à leur place de l’organisation de leur système linguistique ? C’est proprement impensable. Ils auraient raison de ne pas accepter qu’on leur dise comment organiser ce système nerveux fondamental dans la construction de leur identité personnelle et collective. Dans notre cas, les choses sont très claires depuis que nous avons pu décider comment protéger notre langue historique – le catalan – et comment garantir l’apprentissage  du castillan – la langue de beaucoup de ceux qui ont construit leur vie en Catalogne. C’est dans l’enceinte de notre Parlament   que nous sommes parvenus à un accord, en nous appuyant sur un très large consensus social. C’est ce que l’on a appelé l’immersion linguistique, grâce à laquelle nous avons pu garantir l’apprentissage du catalan et du castillan, la cohésion de tous au sein d’une mêle communauté, indépendamment des origines, et la liberté de chacun dans l’usage quotidien de la langue.

Croyez-moi : nous sommes une majorité de Catalans à ne pas comprendre l’intérêt qu’un tiers pourrait avoir à vouloir rompre un modèle construit de manière aussi démocratique et pédagogique. Nous, Catalans, aimons notre langue de la même façon que vous chérissez la vôtre. Mais nous aimons également le castillan, que nous apprenons et utilisons parfois autant, ou plus, que notre propre langue. Peut-être devrais-je rappeler que le catalan est, lui aussi, une langue millénaire, transmise de génération en génération, malgré les divers outrages qu’il a pu subir au cours de l’histoire, jusqu’à aujourd’hui. C’est une langue connue, à travers ses différentes modalités   , par plus de 25 % de la population espagnole, et qui constitue la neuvième langue la plus parlée au sein de l’Union Européenne. Le catalan est la langue des Catalans, et personne ne devrait souhaiter qu’elle cesse de l’être, à l’image de la langue de tous les Espagnols, si l’on interprète la Constitution stricto sensu.

Les résultats du modèle linguistique catalan sont très satisfaisants. En Catalogne, nous apprenons deux langues pour le prix d’une seule. Le catalan est parvenu à un point que nul n’aurait pu imaginer il y a trente ans ;  le niveau général de connaissance du castillan est égal ou supérieur à celui observé dans les autres communautés autonomes, et la cohabitation linguistique et sociale a toujours été, et continue d’être, exemplaire. Sans doute serait-il bon de rappeler que le modèle catalan a reçu l’aval de l’Unesco et de l’Union Européenne elle-même, et qu’il a été érigé en exemple à l’échelle internationale par ces mêmes instances. Et cependant, nous assistons, de plus en plus perplexes, aux attaques, plus idéologiques que pédagogiques, dont notre réalité linguistique est toujours l’objet. En Catalogne, la colère grandit face à cette ingérence qui répond à des intérêts particuliers. Notre société est plurielle et intelligente : nous voulons que nos enfants apprennent et parlent un très bon catalan ainsi qu’un très bon castillan et qu’ils maîtrisent en plus une troisième langue, et si possible une quatrième.

Pour beaucoup de Catalans, le débat actuel résonne comme un énième râle du traditionnel bipartisme centralisateur et de l’autoritarisme de certains membres des vieilles élites de l’Etat. Nous sommes nombreux à penser que la démocratie est ainsi remise en question. Les règle linguistiques de la Catalogne ont été établies au Parlament, et bafouer ses décisions équivaut à remettre en question l’autonomie de notre communauté autonome. Souvenez-vous de ce que dit la Constitution : « La richesse des diverses modalités linguistiques de l’Espagne constitue un patrimoine culturel qui fera l’objet d’un respect et d’une protection tout particuliers ». Pure rhétorique. L’Etat, et ses partis majoritaires en tête, n’est non seulement pas un agent actif et efficace en faveur du catalan, mais il entrave le déploiement de notre projet linguistique.

Sans doute ne comprend-on pas que lorsque quelqu’une personne apprend le catalan, elle apprend en fait à manier un outil indispensable pour s’insérer dans notre espace public et se construit en tant que un citoyen actif. Parce que le catalan n’est pas le patrimoine exclusif de ceux qui portent un nom de famille catalan ; c’est le patrimoine de tous ceux qui ont décidé de vivre en Catalogne, et qui offre à chacun la possibilité de prendre pleinement part à vie de la communauté. Je sais que vous serez nombreux à me comprendre et que vous devez savoir qu’il nous est difficile à nous, Catalans, de comprendre pourquoi tant d’Espagnols ne veulent pas admettre qu’il n’y a, en Catalogne, pas de problème linguistique, et que nous ne voulons pas qu’il y en ait. Les langues sont des outils de communication et de cohésion sociale, et nous voulons qu’elles continuent à tenir ce rôle. Ceux qui ont un problème linguistique sont ceux qui  veulent imposer leur modèle de l’extérieur. Autrement dit, la formule, démocratiquement choisie, d’enseignement du catalan et du castillan n’est pas un problème en Catalogne.  Le problème existe pour ceux qui, s’abritant sous le parapluie du pouvoir administratif, économique et médiatique, ont mis au point une lecture restrictive de l’Espagne qui n’admet pas son caractère plurinational et plurilinguistique. Cependant, et malgré tout, le catalan sera toujours notre langue historique, en bonne intelligence avec le castillan. Ce sera toujours la marque la plus évidente de notre identité, parce que le peuple de Catalogne, dans son écrasante majorité, en a décidé ainsi