Un ouvrage de synthèse sur l’attaque de Pearl Harbor.

" Tora ! Tora ! Tora ! " : c’est par ces mots – devenus depuis le titre d’un film – que Mitsuo Fuchida, le commandant japonais du raid aéronaval contre Pearl Harbor aurait annoncé le succès de sa mission. Le 7 décembre 1941 (le 8, à Tokyo), le Japon attaquait par surprise la flotte américaine du Pacifique au mouillage à Hawaï, dans sa base de Pearl Harbor. L’objet de cet ouvrage d’Hélène Harter, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Rennes-II, n’est pas d’étudier les conséquences, bien connues, de cette attaque, mais de proposer une synthèse de l’événement lui-même et de ses prodromes.

Une rivalité ancienne

Dans un premier temps, l’auteur retrace l’histoire de la rivalité entre Américains et Japonais dans le Pacifique. Elle naît en 1853, quand le Japon féodal des Tokugawa est contraint d’ouvrir ses frontières après l’entrée en baie de Tokyo de l’escadre du commodore Perry. Le pays se réforme alors, sous l’impulsion de l’empereur Meiji, pour ne pas subir la domination étrangère. La modernisation de sa marine emprunte ainsi beaucoup à la Royal Navy et à l’US Navy. En particulier, les thèses de l’amiral américain Alfred Mahan, popularisées par son maître-ouvrage, The Influence of Sea Power upon History s’imposent au Japon. Plaçant au cœur de la conception de la puissance la suprématie maritime, elles nourrissent l’expansionnisme japonais. Ce dernier se heurte toutefois aux ambitions américaines dont témoigne l’annexion d’Hawaï.

La prise de conscience de la puissance japonaise intervient lors de la guerre russo-japonaise de 1904-1905. Pour l’US Navy, la destruction de la flotte russe de Baltique par la marine nippone dans le détroit de Tsushima en mai 1905 est une révélation. Dès l’année suivante, elle en fait son ennemi prioritaire dans le célèbre " plan Orange ". Toutefois, l’engagement japonais dans le camp de l’Entente pendant la Première Guerre mondiale a " brouillé les cartes   " des stratèges américains. D’autant que le Japon est, en 1922, l’un des signataires du traité de désarmement de Washington. Le fragile équilibre américano-japonais dans le Pacifique est cependant remis en cause par la crise de 1929, quand Tokyo entreprend une politique expansionniste agressive à l’égard de ses voisins. Après une première réaction au milieu des années trente pour accroître le tonnage de l’US Navy, les Etats-Unis s’engagent dans la course aux armements navals avec la seconde loi Vinson de 1938 et le Two Ocean Navy Act de 1940   . Désormais, l’affrontement entre les deux marines ne fait plus guère de doutes.

La planification

Hélène Harter présente ensuite la genèse du plan contre Pearl Harbor. Son analyse est pertinente et bien documentée, même si la taille de l’ouvrage ne lui permet malheureusement pas de détailler le processus politico-militaire de prise de décision à l’œuvre à Tokyo   . Elle met parfaitement en évidence l’originalité de la carrière de son concepteur, l’amiral Yamamoto. Stratège brillant, commandant du premier porte-avions japonais, il a compris que l’aéronavale était l’avenir des forces navales, à une époque où les cuirassés sont encore perçus comme les " capital ships " des flottes. L’ouvrage souligne également à juste titre l’influence du raid britannique contre la flotte italienne au mouillage à Tarente en novembre 1940 sur la planification de l’opération contre Pearl Harbor.

Malgré les tensions croissantes entre les deux pays, les Américains sont convaincus que la base principale de l’île abritant leur flotte du Pacifique est en sécurité. Pourtant, une dizaine de jours avant le raid, l’US Navy a bien averti tous ses commandants du risque d’une attaque inopinée. Mais la conviction qu’il est impossible de réaliser une action de projection de forces aussi loin du Japon, leur fait écarter toute menace sur Pearl Harbor. La surprise que constitue cette attaque continue, encore aujourd’hui, à étonner. Ce n’est pas tant l’incapacité des Américains à se procurer du renseignement qu’une exploitation défaillante qui est en cause. Au plus haut niveau, ils ont réussi à casser le code diplomatique japonais et, par l’intermédiaire des télégrammes magics   , connaissent les instructions envoyées à l’ambassadeur nippon à Washington. À Hawaï, à quelques heures de l’attaque, aucun lien n’est fait entre la présence de sous-marins japonais et la détection par le radar d’Opana de l’approche d’avions.

Une réussite en trompe-l’œil

Dans un troisième temps, l’auteur décrit en détail les différentes phases du raid. Les premières cibles sont les installations aériennes de l’île. Rapidement détruites, elles garantissent aux Japonais la maîtrise du ciel, indispensable pour frapper ensuite la flotte au mouillage. Deux vagues successives attaquent alors la base navale de Pearl Harbor. Les dégâts sont considérables. Ainsi, l’explosion et le naufrage du cuirassé USS Arizona provoquent la mort de plus 1 100 hommes, soit près de la moitié des pertes humaines totales. Cependant, les porte-avions américains, cibles prioritaires de l’attaque de Pearl Harbor sont absents d’Hawaï. Et ce sont précisément eux qui permettront ensuite aux Etats-Unis de mener la contre-attaque et de remporter la guerre du Pacifique.

En dépit de grandes qualités qui en font une incontestable réussite, le livre présente cependant des lacunes. Hélène Harter, spécialiste reconnue de l’histoire nord-américaine, maîtrise mal le volet militaire de son sujet. Si certaines inexactitudes relèvent incontestablement de la coquille typographique, comme une vitesse de 56 nœuds pour un porte-avions   , d’autres sont plus gênantes en raison de l’ambition de l’ouvrage. Les matériels sont rarement désignés sous leur dénomination correcte : ainsi, les fameuses forteresses-volantes sont des B-17 et les chasseurs de l’aéronavale américaine sont des Wildcats F4F-3   . Des erreurs factuelles sont à noter, comme le croiseur léger USS Helena présenté parfois comme un cuirassé   ou le porte-avions Shokaku qui n’a pas été coulé en 1942 mais en 1944. Enfin, le traité de désarmement naval de Washington, fondamental dans l’histoire naval de l’entre-deux-guerres, est présenté de façon incorrecte. Contrairement à ce qu’écrit l’ouvrage, il ne limite pas le tonnage total des différentes flottes, mais uniquement le tonnage des porte-avions et des cuirassés qu’elles peuvent posséder. La nuance est de taille, quand l’on sait par exemple que la France n’est jamais parvenue à atteindre le quota qui lui avait été offert car sa priorité était de reconstruire des unités légères.


L’ouvrage d’Hélène Harter constitue une bonne synthèse sur l’origine et le déroulé de l’attaque de Pearl Harbor. Les imprécisions sur le volet militaire n’enlèvent rien à sa qualité générale.