Actes de conférences organisés conjointement par les Écoles des Beaux-Arts de Rennes et de Lyon, Architecture & Typographie se présente sous la forme d'un recueil de 5 textes consacrés aux périodes, expériences ou curiosités où se mêlent l'architecture et la typographie. 

Fruit d'une série de conférences organisées conjointement par les Écoles des Beaux-Arts de Rennes (Eesab) et de Lyon (Ensba) à l'initiative de trois enseignants-chercheurs (Jean-Marie Courant, Jérôme Saint-Loubert Bié et Catherine de Smet), Architecture & Typographie se présente sous la forme d'un recueil de 5 textes, répartis autour d'un album couleur de quelques-unes des réalisations remarquables qui mêlent, —pour certains de façon évidente, pour d'autres plus subtiles — l'architecture et la typographie. La couverture de ce recueil de grand format, est "illustrée" par l'index des artistes, architectes, graphistes, villes, bâtiments ou mouvements cités dans les 60 pages qui le constituent. Un rapide coup d'œil convainc de la permanence de la conjugaison de ces deux "disciplines". Y voisinent en effet, suivant l'ordre alphabétique, Bâle et Giacomo Balla, Eiffel et Enluminure, Evangile et Esprit nouveau, Lurçat et Lustig, Venise et Vitebsk.

 

Si cette entrée en matière peut paraître quelque peu aride, les textes, eux, se concentrent sur des aspects parfaitement circonscrits de cette ample problématique. Le premier texte, écrit par Sonia de Puineuf, commence par ce qui semble être le commencement : les avant-gardes. En brossant les expériences mêlant architecture et typographie des artistes du début du XXème siècle, elle souligne la genèse de ce frottement dont El Lissistzky fut un des pionniers. Les espaces "Proun" de l'artiste russe furent parmi les premiers à interroger les liens entre l'espace, la pièce, et le tableau, en l'occurrence par le biais de volumes colorés fixés aux murs et reliés par des lignes peintes. Ce travail, né dans les années 1920, ne tardera pas à contaminer toutes les avant-gardes européennes grâce aux diverses revues qui circulent dans les cercles artistiques de cette époque. Le protagoniste suivant sera hongrois, Lajos Kassàk, qui présente ses projets sous le nom d'architecture-image. On remarque au passage comment, l'un comme l'autre, travaillaient sur des projets de kiosques. Architectures modestes par leurs dimensions, ces édicules étaient souvent saturés de typographie : enseignes, slogans (souvent révolutionnaires). Peu furent construits, mais cette forme "foraine" d'architecture semble être la forme de prédilection de ces expérimentations. Après l’architecture, Puineuf explore l’épopée des "constructeurs de livres", selon la formule empruntée à Lissisky, dépouillant dans le détail les ramifications révolutionnaires dans la mise en page même des livres conçus par les artistes du début du XXème siècle. Refus de l’ornement, prégnance de l’asymétrie et vocation publicitaire sont les axes majeurs des similitudes qu’elle observe entre l’architecture et le design éditorial de cette époque. Souvent conçus par des architectes (tels Le Corbusier), ces "nouveaux livres" se veulent, à cette époque, "les œuvres d’art les plus monumentales" (El Lissistky).

Manifeste

Le sommaire nous conduit alors à la découverte d’une curiosité, décrite par Alena Kubova-Gauché. Il s’agit d’un ensemble de panneaux à vocation didactique conçus en 1933 par Jiri Kroha sur un thème alors répandu dans les cercles modernistes de l’époque. En 89 panneaux, conservés aujourd’hui au Musée de Brno (Tchécoslovaquie), Kroha décline des fragments sociologiques de l’habitat. Bien que lui-même architecte, ses "fragments" sont avant tout d’ordre sociologique, parfois anthropologique mais toujours politique. A l’aide de photomontages et de courts textes, ces "fragments" analysent tour à tour, la nécessite de l’hygiène, le repos selon les classes sociales, la sexualité et la contraception, le cycle de vie des femmes prolétaires ou bourgeoises etc. C’est avec l’aide de ces pièces de propagande que Kroha, membre du Front Gauche, fondera sa science de l’habitat et développera, chez les "spectateurs" de ses panneaux, une critique sociale, en rapport avec l’habitat.

 
 
 

Architecture du livre renaissant

Après un intermède illustré (en couleur), le texte d’Olivier Deloignon lui-même graphiste et historien de l’art, montre comment, bien avant les avant-gardes du XXème siècle, architecture et typographie entretenaient des relations étroites. C’est donc dès les débuts de l’histoire du livre, au XVème siècle, que l’architecture influenca la forme visuelle des livres. En effet, la relation, à cette époque, semble être univoque. Appuyé sur une riche iconographie (et une solide érudition), ce texte brosse tant en Italie que dans les régions du Rhin supérieur, l’apparition de "l’architecture" dans la structure du livre. Le lecteur remarquera d’ailleurs, que cette apparition prendra notamment la forme d’ornements architecturaux qui fleuriront désormais sur les pages des livres imprimés : la page de titre se présentant comme une façade, des pilastres encadrant des colonnes de textes et des frontons venant signaler les nouveaux chapitres. Ce texte expose également les inventions qui furent, à la fin du XVème siècle, imaginées pour accompagner ou aménager le texte : les enluminures qui, d’abord peintes seront "imprimées" dans une couleur autre que le noir et dont la fonction de rubricage du texte est, ici, précisément expliquée ; les folios (numéros de pages) ou encore les notes, appelées alors "glose", aujourd’hui communément en bas de page mais "inventées" dans les marges du texte principal. L’apparition de l’image posera de nouveaux problèmes et engendrera de nouvelles solutions. D’abord techniques, en mêlant xylographie et typographie mais aussi d’ordre esthétique avec le développement "d’images génériques" (ou "gravures de réemploi") qui rempliront la fonction jusqu’alors dévolue aux initiales ornées à savoir le marquage, visuel, d’une nouvelle unité textuelle.

Peu à peu, les motifs reprenant l’architecture antique (encadrant souvent des titres composés en capitales "romaines épigraphique") cèdent la place à des éléments inspirés du répertoire architectural de la Renaissance. C’est au cours de la première décennie du XVIème que ce style se développera, partant de l’Italie et conquérant les éditeurs humanistes de l’Allemagne du Sud.

Le travail d’ornementation deviendra alors la marque de fabrique de l’éditeur qui y collabore avec l’auteur du texte et des "ornemenistes" que ces derniers recrutent parmi les artistes contemporains, comme Hans Holbein le Jeune. Cette richesse artistique, dont la forme emprunte tant à l’architecture, parviendra à faire du livre un "édifice" représentatif de la culture et du goût de l’époque.

 

Tous à l’abri

Le texte qui conclut l’ouvrage explore les ressorts d’un phénomène éditorial. Shelter a été publié en 1973 et traduit en plusieurs langues. Vendu à près de 200 000 exemplaires, ce livre fait figure de curiosité dans le paysage éditorial lié à l’architecture. D’autant que ce phénomène n’est ni une monographie, ni un ouvrage signé d’une grande signature. Lloyd Kahn, californien ayant étudié à Stanford, publie Shelter (abri, en français) en plein choc pétrolier. Il y détaille les moyens de construire sa propre maison (son "abri") avec des moyens simples et des matériaux pouvant être récupérés. Stimulé par la contre-culture qui s’empare d’une Amérique embourbée au Vietnam, ce livre sera d’abord celui d’une génération. Comme le souligne l’auteur du texte, Caroline Maniaque, ce n’est pas uniquement un ouvrage consacré à l’architecture vernaculaire mais sans doute un livre "anti-architecture". Faisant écho au manifeste de Kroha, Shelter provoque également une prise de conscience qui pousse à la vie en communauté, à l’autosuffisance et à la responsabilité individuelle.

En France, ce manuel de construction, sera traduit et publié en 1977. Il sera aussi sensiblement adapté à la culture française, exposant, par exemple, les difficultés d’obtenir des permis de construire des habitations "aux formes peu traditionnelles". C’est cependant cette version qui incitera, nous apprend le texte, de nombreux Français à construire leur "Shelter", notamment en Ariège et Midi-Pyrénées et qui initiera, sur le territoire, une véritable contre-culture de l’habitat et une résistance à la vie consumériste qui s’impose durant les Trente Glorieuses