Le 29 juillet dernier, l’ONU annonçait son inquiétude quant à la crise alimentaire subie par les pays de la Corne de l’Afrique. L’organisation internationale entendait ainsi attirer l’attention sur ce qui était décrit comme " la pire sécheresse depuis soixante ans ", et sur les menaces pesant sur la vie de 12 millions de personnes. Dans ce contexte, les grands quotidiens français se sont mobilisés et la question de la famine dans cette région du monde a fait la une pendant deux semaines.

 

Quatre mois plus tard, ce sujet ne mobilise plus. Si le Kenya a été évoqué dans les journaux cette semaine, c’était essentiellement pour annoncer le décès de l’otage française Marie Dedieu. Pourtant, bien qu’elle ait presque déserté la scène publique, la crise alimentaire s’est entre temps empirée, la question des réfugiés et l’urgence sanitaire étant désormais venues s’ajouter à la crise alimentaire. Les sites internet des ONG spécialisées nous le rappellent : 40% de la population dans le nord du Kenya souffre de la faim, proportion qui s’élève à 50% dans le sud de la Somalie.

 

Il ne s’agit pas ici de dénoncer, tant le battage médiatique autour de ces crises que leur oubli, mais de s’interroger sur les liens qui existent entre les médias et les milieux humanitaires. Comment expliquer que l’on parle d’une crise et pas d’une autre ? Pourquoi et comment ses sujets disparaissent-ils des unes ?

 

L’utilité des médias pour les organisations non gouvernementales n’est plus à démontrer : on se souvient de la phrase de Bernard Kouchner : « sans caméra, une tragédie n’existe pas ». La médiatisation est un moyen efficace de sensibilisation et de mobilisation de la société civile, essentielles notamment pour recueillir des dons, comme l’a particulièrement bien illustré la campagne qui a suivi le tsunami en Asie du Sud en 2004.

 

Les logiques de l’information sont quant à elles moins explicites. Certes, on conçoit qu’un certain sensationnalisme puisse faire vendre, mais la question est plus complexe. Dans son ouvrage Les médias et l’humanitaire, Rony Brauman évoque ainsi quatre critères nécessaires mais non suffisants pour qu’une crise soit médiatisée : des images doivent être disponibles ; la crise ne doit pas être concurrencée par un autre événement ; la victime doit être authentifiée par un " acteur-médiateur "   ; et la victime doit être innocente. Or, en raison de l’agitation politique de la Corne de l’Afrique, les organisations internationales ont peu ou pas accès à ces régions : il y a donc très peu d’images disponibles et "l’authentification " des victimes ne peut pas avoir lieu. D’autre part, la mise en scène de " l’innocence " peut s’avérer moins évidente dans la mesure où la Somalie est le théâtre d’actes de piratage et le Kenya, celui d’enlèvements, la mort de Marie Dedieu en étant le rappel. Pour finir, entre les primaires, la question de la dette ou encore la récente mort de Kadhafi, la concurrence médiatique semble particulièrement rude ces dernières semaines.

 

 

 

* Pour aller plus loin
Rony Brauman, Les médias et l’humanitaire, Victoires, 1998
Yves Lavoinne, L’humanitaire et les médias, Presses Universitaires de Lyon, 2002