Non seulement Voltaire a tenté l’aventure de l’opéra, mais de nombreux compositeurs ont aussi tenté d’adapter les textes de Voltaire à l’opéra. Le point sur la question. 

Le théâtre et l’opéra partagent-ils quelques éléments communs ? En tout cas, et au XVIIIe siècle, certainement pas les "machines", ces "inventions qu’on a mis en usage pour les faire apparaître sur la scène et les en retirer d’une manière qui imite le merveilleux" (Abbé Mallet, Encyclopédie). Depuis longtemps, les genres artistiques font l’objet d’un classement. C’est en vertu de ce classement que les "machines" sont proscrites au théâtre, car elles contreviennent au vraisemblable et relèvent d’une esthétique du merveilleux. Voilà qui cependant n’empêche pas Voltaire de mélanger les genres. Il refuse d’opposer l’expérience imaginaire et l’expérience de la perception. Il se propose même clairement d’intégrer la seconde dans la première, de soumettre en quelque sorte les sens à l’imagination. Il déplace la conception classique de l’illusion au théâtre dans la mesure où il détache l’adhésion sensible du spectateur de sa justification rationnelle pour la situer sur le plan de l’imaginaire. Ainsi peut-il s’attaquer aussi au genre "opéra".

Au XVIIIe siècle, en effet, l’opéra sort des châteaux et se propulse en public. L’opéra tel que Voltaire l’expérimente comprend à la fois le grandiose et l’intime. Le philosophe aime la gaieté et désire qu’elle s’exprime dans des contextes inattendus. On se plaît donc à l’opéra, écrit-il, même s’"il n’y a rien de si ridicule que de faire chanter en agissant, soit qu’on délibère dans un conseil, soit qu’on donne des ordres dans un combat". Pour autant, même s’il paraît saugrenu, l’opéra attire puissamment Voltaire : "L’opéra, écrit-il encore, est un spectacle aussi bizarre que magnifique, où les yeux et les oreilles sont plus satisfaits que l’esprit, où l’asservissement à la musique rend nécessaires les fautes les plus ridicules, où il faut chanter des ariettes dans la destruction d’une ville, et danser autour d’un tombeau..."

Laissons de côté la Querelle des Bouffons que chacun connaît, comme d’autres querelles célèbres de l’époque. Voltaire et Rousseau, sans doute plus musicien que le précédent, ne s’y trouvent pas du même côté. Voltaire écrit pourtant un Temple de la gloire et une Princesse de Navarre, mais ce sont des ouvrages d’apparat. Reste évidemment un chef-d’œuvre inconnu : le Samson de Voltaire et Rameau. Présenté aux autorités en octobre 1734, le texte est tombé sous le couperet de la censure.

Ceci nous vaut, dans cet ouvrage, une mise au point sur le fonctionnement de la censure, déployée à partir de la découverte récente de nouveaux documents. Cet opéra fut classé dans les œuvres d’impiété, parce qu’il confondait, croyait-on, le profane et le sacré. La rigueur de la censure s’explique précisément par le choix d’un sujet biblique et non mythologique, comme le voulait la tradition, ce qui a entrainé une procédure de censure supplémentaire. La seule association du nom de Voltaire avec ce sujet biblique a éveillé de toute évidence la méfiance du pouvoir, et a justifié, d’une certaine façon, la censure. Il ne faut pas oublier, par ailleurs, que l’épisode se situe au lendemain de la publication des Lettres philosophiques. Cela dit, la pièce comporte bien d’autres choses encore. Et la censure elle-même porte contre le livret des accusations très édulcorées en regard des réelles implications que laisserait transparaître son analyse précise (invectives contre les croyances de tous bords, invitation à l’indifférence religieuse, critique de la tyrannie).

Vient ensuite l’épisode Grétry. Une collaboration manquée ? Sans doute. De tous les livrets écrits par le philosophe pour le jeune musicien belge, aucun n’a survécu, et souvent ils ont même peu vécu, restés à l’état d’ébauches. Les auteurs analysent ici le cas de l’opéra Pierre le Grand. Remarque importante : ce qui est posé, ici, dans cet opéra, c’est la possibilité pour le genre de l’opéra comique de satisfaire aux exigences du monde nouveau, qui est en train de naître. Créé le 13 janvier 1790, l’opéra connaît un succès relatif.

Au passage, les différents commentateurs rassemblés dans cette revue ne cessent d’attirer notre attention sur un point essentiel relativement aux arts. Désormais les œuvres ne cherchent plus à s’adresser au roi. Nous assistons à l’émergence de la notion de public et à la prise en compte de la "plus nombreuse partie des spectateurs" (note du Spectateur national, 1790). Et un des auteurs de conclure. La collaboration de Voltaire et de Grétry est donc importante en ce qu’elle pose la question de l’identité de l’opéra-comique et cette question, à la fin du XVIIIe siècle, est destinée à prendre une nouvelle envergure : "Les foules de la Révolution vont au spectacle, et rompent, en quelques mois, l’équilibre qui existait encore entre les différents modes de représentation lyrique."

Les autres articles qui composent cet ensemble sont sans aucun doute plus spécialisés, et plus éloignés de la figure même de Voltaire. Ils n’en sont pas moins importants, à d’autres égards. On les lira notamment pour apprendre comment un librettiste peut modifier un texte de base afin de composer un livret d’opéra. On les lira pour se confronter aussi au travail d’adaptation lyrique des œuvres littéraires. C’est l’exemple de la Sémiramis de Voltaire. Mais on retiendra aussi cette composition musicale pour l’erreur qu’elle rend possible, celle de croire que – puisque cette tragédie lyrique devenue l’Olympie de Spontini est censée ouvrir la voie au grand opéra romantique – Voltaire serait par conséquent un lointain inspirateur du romantisme. Illusion rétrospective évidemment !

Pour faire une dernière remarque, on notera que les derniers articles de ce recueil sont précisément plus proches du commentaire musical si nécessaire à l’opéra que les premiers. L’organisation de ce volume collectif a tout de même failli nous coûter la référence à la musique même. Comment ne pas céder alors à la nécessité d’indiquer qu’un article porte sur le Candide de Leonard Bernstein, et que le dernier article, signé de la main du compositeur Paul Méfano, porte effectivement sur une version de l’action lyrique en sept tableaux intitulée Micromégas (donnée à Karlsruhe) ? Et le compositeur de souligner que "le travail abordé dans Micromégas est lié à plusieurs impératifs : ne pas trahir le texte et la pensée de Voltaire, en faire une priorité mais rester fidèle à ma personnalité dans cette mise en œuvre". Le compositeur reconnaît qu’il ne s’agit dans son œuvre ni d’une illustration sonore du texte de Voltaire ni d’une appropriation abusive