Au-delà du traitement médiatique, une enquête qui pourrait affirmer la légitimité des think tanks dans le débat public comme chaînon manquant entre recherche et journalisme de terrain

Depuis hier, mardi 4 octobre 2011, la question des banlieues est de retour dans le débat public. C’est en  effet la date qu’a choisie l’Institut Montaigne pour présenter sa grande enquête Banlieues de la République.  Réalisé par Gilles Kepel ,  spécialiste du monde musulman et auteur en 1985 des Banlieues de l’Islam, et par une équipe de cinq jeunes chercheurs , ce travail exceptionnel est une monographie de deux communes de banlieues parisienne, Clichy-sous-Bois et Montfermeil .

Ce territoire qui fut le foyer des émeutes urbaines de 2005 est présenté comme un champ de recherche représentatif des banlieues françaises du fait du caractère symptomatique des problèmes qui le touchent. Bien que leur traitement médiatique souvent axé sur la seule question de l’Islam aie plus ou moins faussé leur lisibilité (nous y reviendrons), les conclusions de l’enquête réalisée rappellent un fait essentiel : la rénovation du bâti ne peut rien contre le mal-développement de certains territoires si elle ne s’inscrit pas dans une politique globale menée sur les fronts de l’éducation, de l’emploi, de la santé, des transports et de la sécurité. Elle en appelle également à l’humilité de la puissance publique qui doit nécessairement être relayée par l’action de personnes privées : entreprises, associations et citoyens.

Si la présentation de l’enquête a connu un fort retentissement médiatique, , ce n’est pas  sous l’angle de cette conclusion globale que les journalistes en ont rendu compte. Comme le montre notre collaboratrice Marie-Cécile Naves sur son blog Un monde de diversité, les résultats de l’enquête ont été prioritairement abordés à travers le prisme de l’Islam et de sa progression dans les quartiers, présentée en filagramme comme menaçante. En attestent pour la seule presse écrite les articles de France Soir , du Monde et cette dépêche AFP reprise dans Libération.

La question de la laïcité et des pratiques religieuses n’est pourtant qu’un des six piliers d’une enquête portant également sur le logement, l’éducation, la participation politique, la sécurité, l’emploi et l’attractivité économique. Par ailleurs, malgré la représentativité supposée du territoire concerné et la qualité indéniable du travail fourni, les conclusions des Banlieues de la République ne concernent en propre que deux communes bien identifiées. Elles ne pourraient donc suffire à dresser un tableau global sur le rôle de l’Islam dans l’ensemble des banlieues française et encore moins sur la place de cette religion en France. C’est pourtant de cette manière qu’elles tendront et tendent déjà à être interprétées dans le débat public.

Ce traitement médiatique est d’autant plus regrettable que la présentation de l’enquête par l’Institut Montaigne sur son site http://www.banlieue-de-la-republique.fr/#!/ est exemplaire de ce que le travail des think tanks et le format web peuvent apporter de meilleur à la compréhension de grands enjeux sociaux. Prélude à la publication sous forme de livre des résultats de l’enquête et des propositions consécutives qui aura lieu en janvier prochain, la mise en place du site exploite fort à propos des mécanismes d’interactivité qui changent notre rapport à l’information. Il propose ainsi une très bonne carte interactive qui permet de superposer sur une image satellite de la ville plusieurs couches de données localisées géographiquement et correspondant aux différents piliers de l’étude. La mise en place de tels procédés qui rendent le résultat des recherches en sciences sociales plus tangibles, ne serait-ce qu’en offrant la possibilité d’une représentation spatiale des questions étudiées, ouvre des perspectives stimulantes. Le raccordement aux réseaux sociaux, la présence de sondages et d’un fil d’actualité thématique alimenté quotidiennement placent l’enquête dans un processus continu de débats et de transmission. En dépassant la logique du simple rapport ou de l’étude ponctuelle et en profitant des moyens offerts par Internet, le site de présentation des Banlieues de la République montre la pertinence des Think tanks dans le débat public comme passerelleentre la recherche et le journalisme de terrain

Allan Kaval