"En dehors de Marine le Pen, plus personne ne défend la laïcité". Ces propos tenus par Elisabeth Badinter dans une interview du 28 septembre accordée au Monde des Religions pourraient ouvrir une nouvelle polémique sur la la laïcité française, après avoir été vivement attaqués sur son blog par l'historien et sociologue spécialiste de la laïcité Jean Baubérot.

Les propos mis en cause apparaissent en conclusion d’un entretien portant sur la question des valeurs à défendre après la disparition des grandes idéologies. L'historien y prône un retour aux fondamentaux de la pensée républicaine et à un humanisme rationaliste classique. Convoquant Kant et Descartes, elle s’inscrit en faux par rapport à ce qu’elle tend à considérer comme une montée en puissance protéiforme des forces de l’irrationnel.

Elle associe ainsi au fil de ses réponses le naturalisme de certains courants de l’écologie profonde et du féminisme au triomphe de la pulsion individuelle contre la raison universelle, phénomène auquel se rattacherait selon elle l’extériorisation des pratiques religieuses. Ces dynamiques convergentes sont successivement présentées comme des menaces pesant sur la centralité de la place de l’être humain dans le monde, sur la libération féminine, sur la prévalence de la règle démocratique collective et bien sûr la laïcité. Cette dernière notrion est présentée comme un outil normatif dont la fonction idéale serait selon elle de limiter les pratiques religieuses à la seule sphère de l’intime et d’empêcher leur extériorisation publique, ces dernières étant en soi porteuses d’une aliénation. Dans cet d’idée elle déplore que cette laïcité ne soit plus défendue que par Marine le Pen et, qu’à l’exception de Manuel Valls, elle ait été abandonnée par une gauche relativiste qui associerait cette valeur cardinale de la République au racisme ou à la xénophobie.

C’est précisément contre cette conception de la laïcité française que s’est élevé, le lendemain de la mise en ligne de l’article, Jean Baubérot dans le billet inaugural de son nouveau blog, hébergé par Mediapart. Partisan d’une laïcité libérale il y fustige une convergence objective entre la ligne défendue par Elisabeth Badinter et la réappropriation par l’extrême droite d’un concept dévoyé et dirigé à l’encontre de l’islam pour affirmer en sous-main la seule identité catholique de la France. Pour Jean Baubérot, la laïcité française est aujourd’hui victime d’un dangereux glissement de sens lié à la confusion de la sphère privé et de la sphère intime. Selon lui, l’esprit de la loi de 1905 ne s’oppose en rien à l’expression publique de l’appartenance religieuse. La sphère publique est celle de l’Etat et n’englobe pas l’espace public dans son ensemble. Respecter l’esprit de la laïcité républicaine c’est respecter l’esprit d’une laïcité ouverte et accommodante mieux adapté à la pluralité religieuse française et à l’état d’une société qui, bien au-delà des fondamentalismes divers, se rend plus disponible au retour du sacré. Jean Baubérot invite ainsi à nuancer l’idée selon laquelle la religion est une affaire rigoureusement privée. Privée dans la mesure où elle ne relève pas du champ d’action de l’Etat, que l’Etat n’a pas de religion officielle et se tient à égale distance des différents cultes, elle n’est pas pour autant strictement intime.

Qu’il s’évanouisse ou qu’il prospère dans le climat propre d’une campagne présidentielle bourgeonnante où, malgré la situation économique, les questions identitaires ne manqueront pas de s’imposer, ce débat encore embryonnaire pose des questions de fond sur la notion de la laïcité. Il invite à un questionnement sur le sens de la notion de sphère privée et sur la nécessité d’une définition rigoureuse de ce concept, seul moyen de dépasser l’opposition superficielle mais devenue usuelle ces dernières années entre ceux qui, à droite, s’érigent en défenseurs de l’orthodoxie républicaine et une gauche qualifiée de bien-pensante pour en avoir trahi les principes