La démarche historique effectuée par Thomas Rabino dans son livre De la guerre en Amérique, publié en mai 2011 chez Perrin est partie de la volonté de clarifier une idée préconçue, véhiculée dans les médias, mais aussi dans les discours officiels, depuis une décennie. Cette idée est qu'il existerait "un avant et un après" attentats du 11 septembre. Il nous a été donné d'observer que cette thèse est toujours très présente, lors des commémorations du 11 septembre, abondamment relayées par les médias du monde entier. Pour Thomas Rabino, le point de rupture de ces attentats existe bien, mais ce n’est pas celui que l'on veut nous faire croire.

Tout au long de son méticuleux travail d'historien, Thomas Rabino explique que "la rupture du 11 septembre est d'abord psychologique" (page 26), mais également révélatrice de ce lien très particulier que le pays entretient avec la guerre. C'est à partir de ce lien qu'il est possible d'obtenir des clés de compréhension majeures sur le 11 septembre, mais aussi les Etats-Unis. Comme tous les grands empires, la guerre fait partie de l'histoire du pays. En effet, une puissance se construit économiquement, mais aussi militairement. Mais l'auteur va plus loin. Le pays lancerait une campagne de guerre tous les quatre ans en moyenne depuis 1774 (date de sa formation), ce qui permettrait de comprendre le caractère violent de la culture américaine, l'influence des entreprises d'armement ou encore l'importance du budget de la défense. Surtout, le 11 septembre, ainsi que les guerres qui en ont découlé, ne sont que des nouveaux épisodes d'une dynamique bien connue et rodée du pays : "les guerres américaines font les Etats-Unis d'aujourd'hui, et feront les Etats-Unis de demain" (page 10). Nous avons donc posé quelques questions à l'auteur pour en savoir un peu plus sur sa démarche.

 

Nonfiction.fr- Dans quel contexte et pourquoi avoir écrit ce livre ?

Thomas Rabino- Pendant le 11 septembre 2001, j'étudiais à l'université et notamment sur le sujet de l'entrée en guerre des grandes nations telles que la France, l'Allemagne, la Grande-Bretagne lors des conflits du XXe siècle. Je me plaçais du côté des populations pour savoir si elles étaient entrées en guerre de façon libre ou consentie. Je suis donc naturellement venu à étudier la question de la culture des guerres, de l'Union sacrée de la Première Guerre mondiale et le combat pour la civilisation. Enfin, j'ai observé des similitudes entre l'entrée en guerre en 1914/1918, en 1939/145 (1941 pour les Américains), et le lancement de la guerre en Irak, en 2003. A l'époque, on n'entendait parler nulle part de ces similitudes, mais j'ai voulu faire un travail d'historien sur ce sujet, toujours en me plaçant du côté des populations.

 

Nonfiction.fr- Quels sont les éléments qui vous ont le plus marqué lors de ces recherches ?

Thomas Rabino- L'élément clé dans la période du post-11 septembre a été de faire oublier à la population les traumatismes liés aux guerres passés, en particulier ceux de la guerre du Vietnam, pour obtenir un consensus total de sa part. Au lendemain du 11 septembre, le traumatisme était grand pour la population, mais pour entrer en guerre en 2003, c'était une autre histoire. De nombreux vecteurs y ont contribué ; Internet, le cinéma, les médias, le sport, le business, les jeux vidéo, etc. Tout cet arsenal existait déjà avant le 11 septembre. Pour chaque guerre, il a toujours été question de propagande et d'enrôlement de la population. Mais il y a dix ans, ce qui a changé, c'est l'utilisation d'Internet, des jeux vidéo, et des nouveaux médias. L'aspect novateur a donc été l'instantanéité, rendu possible par les nouveaux moyens de communication. Le temps de réaction s'est raccourci, ce qui est un avantage indéniable pour l'embrigadement des populations. Prenons l'exemple des armes de destruction massive comme argument d'entrée en guerre en 2003. Même si ce n'était pas le seul, il est loin d'être original. A chaque grand conflit, on trouve un prétexte fédérateur d'entrée en guerre. Il a pu être relayé de différentes manières (médias, pub, etc.) afin de devenir acceptable, légitime. Sa diffusion a été générale et démultipliée sur plusieurs supports. Il en a été de même pour le suivi du déroulement de la guerre. Les soldats basés en Irak communiquaient directement sur le monde grâce à Internet. La guerre du Vietnam avait mis des images animés sur un conflit, le 11 septembre a permis aux soldats de transmettre leurs vécus et leurs émotions instantanément sur Internet, [et donc ouvert à tous].

 

Nonfiction.fr- La propagande américaine reste-t-elle- dans le fond- la même au fil des conflits ?

Thomas Rabino- Le message est en effet le même, ce qui change ce sont les canaux de diffusion. Ils sont très variés aujourd'hui. Néanmoins, il y a tout de même un terreau favorable à la propagande aux Etats-Unis. Je détaille beaucoup cette culture de la guerre, la violence qui règne dans la culture du pays dans mon livre. Cela se retrouve dans les médias, mais aussi les jeux vidéo, les jouets pour enfants, les manuels scolaires, etc. La propagande a de nombreuses voies de pénétration, et elle est de surcroît très manichéenne. Le mythe national, selon lequel les Etats-Unis sont une nation bienfaitrice diffusant la démocratie marche encore très bien, on l'a bien vu pour la guerre en Irak. Il faut savoir que les carences culturelles dans le pays sont énormes entre les différentes couches de la population. Ma démarche a donc été d'investiguer de façon historique sur des supports très différents; archives, catalogues de jouets que j'ai "historicisé", des témoignages de soldats, etc. Cela m'a permis d'adopter un point de vue d'ensemble, sans être partout à la fois, ce qui n'était pas possible.

 

Nonfiction.fr- Vous abordez à la fin de votre livre la position du président américain Barack Obama sur les événements du 11 septembre. Quelle est votre interprétation de cette attitude ?

Thomas Rabino- Obama a une position plus qu'ambiguë sur les événements du 11 septembre, ce qui a de nouveau été illustré avec les commémorations du dixième anniversaire de ces attentats. En effet, tous ses discours donnés pour les commémorations du 11 septembre sont calqués sur ceux de George W. Bush. Il y défend les valeurs américaines et le courage de ceux qui ont défendu les intérêts du pays, avec notamment l'héroïsation des pompiers, alors que ceux-ci pourraient être vus comme des victimes. L'idéologie est la même, rien n'a changé depuis Bush. Il parle bien du retrait de l'Irak et de l'importance de la souveraineté des peuples, mais cela n'est rendu possible que grâce à une intervention initiale des Etats-Unis dans ces pays. Au fond, on reste dans la même idéologie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale qui consiste à dire que les Etats-Unis se doivent d'apporter la démocratie face au terrorisme, avant c'était la civilisation face au nazisme, aux pays soumis. Dans la même veine, Obama a souhaité garder le centre de détention à Guantanamo ouvert, et les lois liberticides érigées juste après le 11 septembre ont non seulement été conservées, mais renouvelées et étendues. Ce double discours, celui du retrait mais aussi de la défense d'un idéal qui va parfois à l'encontre de la volonté des peuples, est encore à l'œuvre dans le discours de l'actuel président des Etats-Unis

 

* Propos recueillis par Sarah Bonnefoi.